Fyctia
Bagarre 1
" Ne cherchez jamais la bagarre avec une personne laide, elle n'a rien à perdre" - Robin Williams
Les jours passent et se ressemblent. Je suis prise dans le tourbillon médiatique. J'ai dû fermer provisoirement le cabinet. Il n'était plus possible de distinguer les vrais patients des opportunistes. J'ai demandé à Natacha de prendre des congés. Elle est partie fêter le nouvel an chez sa tante dans le Sud de la France. Je me serais bien glissée dans sa valise. Mais ma mère dit qu'il ne faut jamais fuir les médias, qu'au contraire, je dois les affronter et que, de toute manière, ils me retrouveraient. Elle dit aussi que ça va finir par se calmer. Je la crois. Néanmoins, j'aimerais que ça arrive vite.
De son côté, ma mère a l'air de s'amuser de ce coup de projecteur sur moi et, par ricochet, sur elle. J'ai emménagé dans son loft le temps que ça se calme. Il y avait trop de journalistes devant mon appartement. Ici aussi, il y en a, bien sûr. Mais ma mère s'occupe d'eux. Je suis surprise de constater qu'elle connaît les prénoms et la vie de beaucoup d'entre eux. " Bonjour Georges, alors ça y est, tu es grand-père ? Une petite fille ! C'est fantastique ! Comment s'appelle-t-elle ? " Je suis sidérée. Quand je pense qu'elle ne prend aucune nouvelle de sa famille depuis des lustres... Elle est tout excitée par la situation et prend plaisir à embrasser son Alfredo à pleine bouche devant les paparazzi à chaque fois qu'elle sort de chez elle.
Cela dit, je dois bien avouer qu'elle m'est d'une grande aide. Sans elle, je serais complètement perdue face à toute cette effervescence. Elle répond pour moi au téléphone, décline avec tact les invitations des radios et des chaînes de télévision, poste quelques tweets désinvoltes et bien pensés pour faire taire les haters sans jamais m'autoriser à regarder ce qu'ils postent, se positionne entre le micro et moi pour parler à ma place à chaque fois qu'un journaliste m'approche d'un peu trop près. Elle me protège, un peu comme seule une véritable mère le ferait. Je lui en suis très reconnaissante.
En revanche, j'aime beaucoup moins sa manie de regarder tous les programmes débiles qui se sont emparés du buzz.
Ce midi, elle a allumé son grand écran plasma sur une chaîne dont j'ignorais même l'existence. People-quelque-chose. Je découvre avec horreur que l'animateur vedette de l'émission a invité tous mes ex sur son plateau. Il ne manque personne à l'appel. Pas même Bastien. Le revoir, qu'importe si ce n'est qu' à la télé, me fait un choc. Il n'est pas exactement comme d'habitude. Il me semble moins nonchalant, plus nerveux, plus triste aussi. Gigotant sur l'un des trois canapés blancs, j'essaie de ne pas trop montrer que ça me perturbe. Je sens que ma mère surveille la moindre des mes émotions du coin de l'œil. Pourtant, elle se fichait pas mal de mes réactions quand elle me laissait regarder des films d'Hitchcock avec elle alors que je n'avais que 7 ans et qu'elle soufflait le nuage de fumée de sa clope droit sur mon visage et celui de ma peluche Bunny qui, comme son nom ne l'indique pas, était un adorable petit chaton.
Perdue dans mes souvenirs, je demande :
— Tu as gardé Bunny ?
Ma mère relève des yeux interrogatifs vers moi.
— Bunny, qui c'est ça ?
— Ma peluche. Quand j'étais petite... Tu te souviens ? Je ne la quittais jamais... ( je baisse les yeux et secoue la tête en ajoutant plus pour moi même :) Non, tu ne dois pas t'en rappeler...
— Un petit chat. Affreux. Borgne. Tu ne voulais jamais qu'on le lave. Je l'ai jeté.
Je souris, nostalgique et attendrie.
Ma mère le trouvait peut-être très moche et sale et elle l'a mis à la poubelle à la première occasion, il n'empêche qu'elle se souvient que Bunny était un chaton et qu'il n'avait plus qu'un seul œil. Cette constatation me réchauffe le cœur.
— Je ne pensais pas que tu t'en serais rappelée...
— Oh, je t'en prie, Clem' ! Je ne suis quand même pas si vielle que ça ! Alzheimer me guette pas encore ! Et veux-tu bien te taire, s'il te plaît ? Que je puisse écouter ce que ces hommes vont dire de toi ! C'est bien un truc de mâles, ça. Jamais on interviewe des femmes pour leur demander à elles ce qu'elles pensent de leurs ex !
J'échange un sourire complice avec Alfredo qui s'est matérialisé à côté de ma mère avec un verre d'eau qu'elle s'empresse de lui retirer des mains. On sait très bien lui et moi qu'elle n'aime pas ressasser les souvenirs, pas plus que de dire merci mais sans doute que le cœur y est plus qu'on ne se l'imagine.
Je reporte mon attention sur le grand écran. L'animateur qui a un débit de paroles à faire pâlir Eminem, présente rapidement ses invités, assis face à lui sur une même rangée. On dirait le banc des accusés. Sauf que le présentateur s'adresse à eux comme s'ils étaient des amis de longue date.
— Merci d'avoir répondu présents, les gars ! Alors ça fait quoi de savoir qu'on a partagé la même ex ?
Le public qui assiste au Talk Show éclate de rire. Aurélien, Jérôme et Sylvain sont bon public. Mais Bastien et Benoît restent de marbre.
Quant à moi, j'ai déjà la nausée. Pourtant, je ne peux m'empêcher de détacher mes yeux de l'émission comme hypnotisée par les images. Je sais pertinemment que ça va me faire du mal mais je fonce quand même. C'est la même chose avec Instagram. J'ai tout à fait conscience que mater les photographies de femmes plus belles, plus bronzées, plus sportives, plus populaires, mieux maquillées, mieux habillées, mieux accompagnées et plus riches que moi pendant près d'une heure ne va rien m'apporter de bon, que je vais revenir à la réalité avec l'impression que ma vie est encore plus nulle, que je serais encore plus désespérée et déprimée mais je ne peux m'en empêcher. Comme je ne peux m'empêcher de scruter chaque nouveau cliché de Ryan Reynolds au bras de Blake Lively. Rien que d'y penser j'ai envie de me saouler.
A la télé, l'animateur poursuit avec la lourdeur qui semble le caractériser :
— J'ai l'impression que tout ce que touche cette fille se transforme en or ! Enfin, j'imagine qu'il ne suffit pas qu'elle touche la main d'un mec ! C'est sûrement de là que vient l'expression avoir des couilles en or !
Nouveaux éclats de rire dans l'assistance.
La caméra passe sur les visages hilares des spectateurs.
— Consternant, commente ma mère de ce ton détaché si caractéristique à sa personne.
Pour une fois, je suis complètement d'accord avec elle, à 100 %.
Zoom sur les dents blanches de l'animateur.
— Si chacun d'entre vous devait résumer Clémentine Fleury en quelques mots ? On fait dans l'ordre ! Qui était le premier ? Ah oui, Jérôme ! Le peintre ! Alors ?
Mes premiers ex donnent des qualificatifs pour me décrire. J'entends : encourageante, mystérieuse, secrète, sensuelle, inspirante, qui donne confiance... et je me demande si aucun de ces hommes m'a déjà vraiment connue. Je ne me reconnais pas du tout en ces termes.
Puis vient le tour du dernier.
1 commentaire
PIERRE SCHOTT
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Il y a 5 ans