Fyctia
Les chutes du Niagara 2
Le climat est tendu entre nous. J’imagine qu’il doit se dire que c’est normal, que je suis gênée de me retrouver face à lui comme ça après avoir couché avec lui, hier soir. En fait, à l’instant précis, je suis surtout dégoûtée. De m’être laissée aller, de mettre fait avoir…
Je prétexte ma douche à prendre pour réfléchir et le laisser seul dans le salon. Je me dirige vers la salle de bains, ouvre le robinet et laisse couler l’eau. Puis à pas de loup, je traverse le couloir pour me rendre vers sa chambre. De toute façon, je suis chez moi et après ce que je viens de découvrir, j’estime qu’il est de mon droit d’aller fouiner dans ses affaires. Je ne sais pas trop ce que j’espère y trouver ou ne pas y trouver. Néanmoins, j’ai l’intuition qu’un bordélique comme lui doit bien laisser des traces de ce qu’il manigance dans son antre.
J’entre et laisse la porte entrouverte me fichant pas mal de me faire surprendre à présent. J’ouvre l’armoire qui ne contient que des fringues ramassées en boule. Je fais le tour de son lit défait pour m’approcher de son chevet et de sa collection de figurines Star Wars, seul endroit rangé de la chambre. J’ouvre le premier tiroir, fouille vite fait dans le bazar : paquet de chewing-gum, stylos, préservatifs, clé USB… Rien de palpitant.
Second tiroir. Le contenu me saute presque à la figure. Le choc m’oppresse la poitrine. Une vieille photo de moi qui date de plusieurs années… Comment et où a-t-il pu se la procurer ? Des photos de mes ex… Aurélien, Jérôme et Sylvain. Elles semblent toutes avoir été prises par un professionnel contrairement au cliché de moi . D’où sortent ces photos ?
Un dictaphone et des petites cassettes attirent mon attention au fond du tiroir. Chaque enregistrement est étiqueté. Je prends connaissance de certains d'entre eux.
Bio de A. Dasc – Entretien n°3
Bio de J. Bouvier – Entretien n°1
Bio de S. Deval – Entretien n°4
Choquée, je laisse retomber brusquement les petites cassettes dans le tiroir. Mon cerveau tourne à plein régime. Bastien a également rencontré Jérôme et Sylvain. Pour écrire leur biographie à eux aussi…
Au beau milieu des clichés et des cassettes audio, sont mélangés pêle-mêle des post-it de toutes les couleurs. Les mains tremblantes, j’en lis plusieurs avec agitation :
Point commun entre tous les ex : 2 mois de vie commune !!!
Muse ?
Emménager ensemble ?
Séduire ? Embrasser ? Coucher avec ?
J’ai l’impression d’avoir reçu un coup de poing à l’estomac. Je secoue la tête. Je ne veux pas croire ce que je suis en train de voir. Je ne tiens plus sur mes jambes. Je m’affale sur le lit. Les post-it retombent en pluie sur la couette froissée. Le sang pulse au niveau de mes tempes. Si fort que je n'ai pas entendu Bastien arriver devant la porte. Mais il est là. Immobile sur le seuil de sa chambre, prenant conscience de ce que je viens de découvrir, les bras croisés sur son torse. Son premier réflexe est de m'attaquer.
— Qu'est-ce que tu fous là ? T'étais pas censée prendre ta douche ! Et qui t'a autorisé à fouiller dans mes affaires !
Je n'ose même pas relever les yeux vers lui. Il m'écœure. Mon sang bouillonne dans mes veines. Ses propos agressifs me font l'effet d'une gifle qui me sort de ma torpeur. Comment ose-t-il s'énerver après moi ? Je me redresse d'un bond et balaie sa collection de figurines d'un grand coup de bras. Puis, je me retourne vers lui, prête à l'affronter. Il y a longtemps que je n'avais pas été si en colère contre quelqu'un. Je serre les dents et les poings.
— Tu te fous de moi ! Tu ne crois pas que ce serait plutôt à moi de te demander des comptes ? D'où sortent toutes ces putains de photos ?
Je me saisis de quelques clichés et les brandis à quelques centimètres de son nez. La mâchoire crispée, il reste le plus impassible possible même si sa respiration lourde, sa jambe agitée et son regard tantôt assassin, tantôt fuyant, laissent percevoir sa nervosité.
Je laisse retomber les photographies pour m'emparer brusquement des cassettes.
— Et ça ? Qu'est-ce que c'est, bordel ? Tu connais tous mes ex ! Tu as écrit leur bio à tous !
Furieuse, je jette ces nouvelles pièces à conviction à travers la pièce. Il est obligé de faire un pas en arrière pour esquiver un de mes lancers. Mon déchaînement a le mérite de le faire sortir de son mutisme.
Il explose :
— Putain, Clem', arrête !
L'entendre prononcer mon diminutif achève de me mettre folle de rage.
— Non, je n'arrête pas !
Je n'ai plus d'enregistrements à lui jeter à la figure, je m'attaque donc à sa précieuse collection Star Wars.
L'une d'entre elles l'atteint au front. Furieux, il fait deux grandes enjambées vers moi et me saisit brusquement par les poignets pour me faire lâcher mes munitions. Il hurle :
— Arrête ! T'es complètement folle !
Si mes yeux étaient une arme, Bastien serait mort sur le coup. Je deviens hystérique :
— Moi, je suis folle ? Mais c'est toi le taré ! T'es un grand malade ! Tu avais tout prévu depuis le début !
Mon regard se pose sur les post-it.
— Une muse, c'est ça ? T'as tellement peu de talent que t'en es rendu là ! C'est pathétique ! Tu me fais pitié ! Tu as couché avec moi pour ça ? Tu me dégoûtes !
Bastien baisse les yeux, secoue la tête.
J'en profite pour donner le coup de grâce.
— Le but c'était de rester deux mois avec moi, c'est bien ça ? Et bah, désolé pour toi, mais il va falloir revoir tes plans ! Tu as deux heures pour prendre tes affaires et te tirer de chez moi ! Je ne veux plus te voir ici ! Je ne veux plus jamais te voir, t'entends !
Je ne lui laisse pas le temps de répondre. Qu'est-ce qu'il pourrait dire de toute façon ? Je m'enfuis de la pièce, les larmes au bord des yeux. Je ne tiens pas à ce qu'il me voit pleurer. Je ne veux pas lui donner cette satisfaction. Je veux conserver le peu de dignité qu'il me reste après qu'il se soit servi de moi de la manière la plus humiliante qui soit.
1 commentaire
PIERRE SCHOTT
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Il y a 5 ans