Elsa Carat (A)muse-moi ! Le sage a dit

Le sage a dit

" Le sage a dit : le pardon est divin, mais ne paie jamais plein tarif pour une pizza en retard. " - Les Tortues ninjas - Michaelangelo

Rose dépose un bol de chocolat chaud fumant devant moi et une part de son gâteau au yaourt. Je bois le breuvage et boude la collation prétextant un manque d'appétit. Mes yeux se posent sur le sapin de Noël qui ploie sous un entrelacs de guirlandes brillantes et lumineuses et de boules décoratives. Avec les péripéties de ces dix derniers jours, j'en ai presque oublié l'approche des fêtes de fin d'année. Rose n'a pas pu oublier, elle. Ma filleule n'a que ce sujet à la bouche depuis déjà trois semaines.

Elle s'installe face à moi sur un tabouret haut.

— Tu sais... Je voulais encore m'excuser pour Bastien...

Je secoue la tête. Je n'ai pas du tout envie d'aborder ce sujet une énième fois.

— Quand j'ai fait mes recherches sur tes ex et que j'ai compris qu'il avait écrit leur biographie à tous, j'ai voulu tout te dire... Mais après tu m'as dit que vous vous étiez embrassés, puis que tu avais couché avec lui et tu avais l'air heureuse...

Je grimace.

— Bref, j'ai pensé que ça pouvait être une coïncidence, qu'il ne savait peut-être pas que tous ces hommes avaient été tes ex... Je m'excuse, j'ai été conne. J'aurais pas dû être aussi naïve...

— Non, Rose, tu sais bien que tu n'y es pour rien. Tu pouvais pas savoir que ce salaud avait tout manigancer depuis le début...

Je soupire. Elle pose sa main sur la mienne.

— Toi, non plus, tu ne pouvais pas savoir.

J'acquiesce. Il n'empêche que je me sens toujours aussi honteuse de n'avoir rien vu venir.


***

Accaparée par les achats de Noël, je n'ai pas eu le temps de faire des courses alimentaires. Je commande une pizza.

On sonne à la porte, une quinzaine de minutes plus tard. Je ne m'étonne pas tout de suite que le livreur ait pu passer le digicode en bas de l'immeuble. Mais je comprends mon erreur en ouvrant à l'intrus.

Bastien se tient face à moi, un regard indéchiffrable, une barbe de quelques jours, son écharpe du PSG autour du cou et un petit cadeau dans la main droite.

— Salut.

Je lui claque la porte au nez. Le dos appuyé contre la paroi qui nous sépare, j'essaie de récupérer mon souffle. J'aurais voulu être indifférente mais mon corps me trahit. Mon pouls s'est brusquement accéléré, une boule s'est formée dans ma gorge et mon estomac est noué.

— OK... Je comprends... De toute façon, je commence à avoir l'habitude de parler à ta porte...Tes voisins aussi... D'ailleurs, entre nous, je crois qu'ils ne sont pas si sourds que ça...

Sa tentative de dédramatiser la situation tombe à l'eau. Je l'entends se racler la gorge. Je l'imagine très nettement passer sa main dans sa chevelure hirsute d'un geste nerveux. Comment puis-je avoir, à la fois, l'impression de si bien le connaître et en même temps, de ne rien savoir de lui ? Jamais, je ne l'aurais cru capable de me manipuler de la sorte et pourtant...

— Je voulais juste te rendre ta clé... J'ai pas eu l'occasion de le faire encore...

J'ai envie de lui répondre : Glisse-la sous le paillasson et vas-t-en. Mais je n' y arrive pas. Je n'ose pas parler. Tout comme le reste de mon corps, je suis certaine que ma voix me trahirait. Bastien percevrait mon émotion dans les moindres variations de mon intonation. Je refuse de lui montrer mes faiblesses.

— OK... Je vais la passer sous ta porte...

Je m'éloigne de celle-ci, comme si elle pouvait me brûler.

La clé apparaît effectivement sur le parquet. Je ne la ramasse pas tout de suite, comme si je voulais lui faire croire que je me suis volatilisée. C'est ridicule. La vérité, c'est que, malgré moi, je suis aux aguets. Je tends l'oreille pour entendre chacun de ses mots.

— Ecoute, je sais que ce que j'ai fait n'est pas pardonnable... Donc je vais pas essayer de me faire pardonner... Mais je voulais juste que tu saches que je ne t'ai pas menti... pas tout le temps... Ce qui s'est passé entre nous, ce n'était pas juste parce que j'espérais que ça m'inspire comme ça l'a fait avec tes ex...

Il s'arrête quelques secondes de parler et reprend un peu plus fort :

— Bonjour Madame, je peux vous aider ?

J'entends une porte claquer au loin et la voix de Bastien se fait de nouveau plus hésitante.

— Désolé... Ta voisine nous espionnait. Maintenant, tu peux être sûre qu'elle n'est pas sourde... Bref, je ne sais plus ce que je te disais...

Que nous deux, ce n'était pas juste pour cette histoire ridicule de muse. Mais comment pourrais-je te croire, maintenant ? Et puis, même si ce n'était pas que pour ça, ça l'était quand même un peu...

— Bon, je vais te laisser tranquille...

Il dit ça mais j'entends toujours des petits bruits derrière la porte, des froissements de jeans, comme s'il se balançait d'une jambe sur l'autre, embarrassé et hésitant.

— Ah, j'ai quelque chose pour toi... Je le glisse sous la porte aussi. J'aimerais bien que tu l'ouvres avant de le mettre à la poubelle. J'espère que ça te prouvera que je n'ai pas toujours été malhonnête avec toi. ( Sa voix se brise un peu ) A ce moment là, j'étais sincère avec toi. Je t'assure, Clem'.

Il glisse le paquet à peine plus épais qu'une enveloppe sous la porte. J'attends quelques secondes d'entendre ses pas s'éloigner dans les escaliers pour aller chercher la clé et son présent.

J'aimerais avoir le courage de jeter ce dernier à la poubelle sans même l'ouvrir, rien que pour désobéir à Bastien mais la tentation de découvrir ce qu'il a bien pu m'offrir est trop forte. Je déchire l'emballage. Mes yeux tombent sur une photographie sépia de moi. Il l'a fait encadrer. Je reconnais la fontaine et la place de la Concorde en arrière-plan. Je me remémore cette soirée qui avait tout changé entre nous. Sur le papier glacé, j'ai un large sourire aux lèvres qui illumine tout mon visage, même mes yeux. Je me rappelle comment il avait réussi à m'apaiser, à me changer les idées, à me faire rire... juste avant de m'embrasser.

Le livreur de pizza sonne à l'interphone. Je sèche mes larmes le temps qu'il monte. Mais je suis sûre que mes yeux humides et gonflés témoignent de mes pleurs. Lorsque je lui ouvre le gars s'excuse pour le retard. Je laisse éclater toute ma rancœur avant de le payer :

— Ah ça ! Vous êtes tous désolés ! Mais c'est trop facile d'être désolé après coup ! Vous ne pourriez pas réfléchir deux secondes à vos actes avant d'agir ? On ne peut pas jouer avec les sentiments des gens comme ça !

Le livreur me dévisage, l'air de ne pas comprendre que je puisse me mettre dans des états pareils pour une simple pizza.

Il murmure timidement un "bon appétit" avant de tourner les talons. J'assène dans son dos :

— Je n'ai plus faim, maintenant !

Puis mon regard se pose sur la voisine d'en face qui a entrouvert sa porte pour assouvir sa curiosité. Je lui ai offert un beau spectacle, ce soir. Je lui désigne la boîte en carton :

— Vous en voulez ?

Prise sur le fait, elle s'empresse de refermer sa porte sans demander son reste. Je l'imite en claquant la mienne derrière moi.



Tu as aimé ce chapitre ?

1

1 commentaire

PIERRE SCHOTT

-

Il y a 5 ans

Ô RAGE ! Ô DÉSESPOIR ! PHOTO "ENCADRÉE" PASSÉE SOUS LA PORTE : BONJOUR LE "JOUR" QU'IL DOIT Y AVOIR DESSOUS : ATTENTION AU COURANT D'AIR ! (HUMOUR)
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.