Elsa Carat (A)muse-moi ! Les chutes du Niagara 1

Les chutes du Niagara 1

" Les chutes du Niagara ne sont jamais que la seconde grosse déception de la lune de miel " - Oscar Wilde

L'ordinateur portable de Bastien me fait de l'œil depuis la table basse. Mon colocataire/amant d'un soir a dû partir précipitamment parce que ce n'est pas son genre de laisser traîner son outil de travail. Ses fringues, ses clés, ses emballages de barres chocolatées, son regard sur mes fesses, oui. Mais jamais il ne laisse traîner son PC. C'est peut-être un signe ? Un signe que tous les deux nous avons passé une étape dans notre relation... Que je gagne petit à petit sa confiance... Ou c'est peut-être le signe qu'il faut que j'y jette un œil... au risque de perdre sa confiance...

Je suis face à un cruel dilemme. A cet instant précis, l'ordinateur portable de Bastien, c'est le fruit défendu, le cadeau de Noël déposé 48 heures avant le moment fatidique au pied du sapin, la paire de chaussures de mes rêves dans une vitrine et mon compte à découvert, Ryan Reynolds qui débarque à la cérémonie de mon mariage pour me supplier de passer une nuit avec lui, Bastien qui me porte et me dépose sur la table de la cuisine... Comment résister ? Surtout que tout un tas de questions se bousculent dans ma tête depuis que j'ai eu Rose au téléphone. Pourquoi ne se réjouit-elle pas de l'évolution de ma relation avec Bastien ? Que pense-t-elle avoir découvert sur lui ? Pourquoi s'inquiète-t-elle pour moi ?

La tentation est plus forte que mon cas de conscience. D'ailleurs, à bien y réfléchir, cet ordinateur déposé en évidence sur la table, c'est presque une invitation déguisée à en fouiller le contenu.

Je passe le doigt sur le clavier sans même regarder ce que je fais comme si mon index était tombé malencontreusement dessus. Je coule un regard furtif vers l'écran. Il a quitté le mode veille et s'est rallumé sur une session ouverte, un fichier de traitement de texte, me confirmant que Bastien a probablement quitté les lieux à la va-vite.

A ce stade, ce n'est plus une invitation, c'est un appel du pied, du harcèlement. Je jette quelques coups d'œil intempestifs autour de moi comme pour m'assurer qu'aucun intrus ne va sortir d'un placard ou de derrière le canapé pour me prendre en flagrant délit. Finalement, je m'assois en tailleur, m'empare du PC et le dépose sur mes cuisses, bien décidée à faire taire les petites voix désagréables dans ma tête.

Quelques secondes de lecture suffisent à soulager complètement ma conscience. Le sentiment de culpabilité est instantanément remplacé par des émotions plus tenaces encore : de la consternation, du doute, de l'angoisse qui ne cesse de grimper à mesure que j'avance dans la lecture du document.

Mon nom me saute aux yeux, puis ceux de mes ex : Aurélien Dasc, évidemment, mais aussi Sylvain Deval, Jérôme Bouvier... Il a créé un tableau répertoriant leurs goûts, leurs carrières, le temps exact que nous avons vécu ensemble...

Je ne comprends pas. Qu'est-ce que cela signifie ? Comment Bastien a-t-il obtenu toutes ces informations ? Et pourquoi les compiler dans un tableau ? Quel intérêt ? Le sens de toute cette démarche m'échappe complètement. Pourtant, un malaise grandissant me noue l'estomac. Bastien me manipule. Je ne sais pas encore pour quelles raisons, mais je suis sûre qu'il se joue de moi. Je le revois assis en face de moi sur ce même canapé, faisant semblant d'apprendre la réussite fulgurante de mes ex alors que je lui narrais les trouvailles de Rose. Je ne lui ai pas donné leurs noms. Il a donc créé ce fichier à partir d'une autre source d'informations. Si ça se trouve, il savait bien avant moi ce que chacun de mes ex était devenu ! Pourquoi s'être renseigné sur eux ? Et pourquoi me l'avoir délibérément caché ?

Je m'apprête à fouiller dans d'autres fichiers en espérant trouver des réponses mais du bruit dans le couloir m'en dissuade. Ni une, ni deux, je repose l'ordinateur à sa place et me remets debout. C'est un pur réflexe car dans le fond, je sens qu'il a plus de choses à se reprocher que moi.

Il est manifestement surpris de me trouver là quand il passe la porte d'entrée. Il sursaute.

— Oh, t'es là ! T'as fini plus tôt ?

J'acquiesce en le détaillant des yeux comme si je pouvais mieux le cerner maintenant que j'ai vu ce fichier dans son ordinateur. Mais ce n'est pas le cas. C'est plutôt tout le contraire. Plus ça va, plus j'ai l'impression d'être face à une énigme.

Je capte son coup d'œil inquiet vers la table basse et son PC. Je me rappelle maintenant toutes les fois où il éteignait son ordinateur dès que j'entrais dans la même pièce que lui. Je croyais que c'était de la courtoisie. Quelle idiote ! Je m'en veux de n'avoir rien vu de son petit jeu mais je lui en veux plus encore à lui. Pourtant, je fais de mon mieux pour ne pas me montrer trop agressive, guettant le moment idéal ( celui où il s'y attendra le moins) pour lui tomber dessus.

— Mon dernier patient s’est décommandé.

— Ah, d’accord. Et tu as fais quoi ?

Nouveau coup d’œil vers la table basse. Si je n’avais pas fait cette découverte quelques minutes plus tôt sur son ordinateur, j’aurais mis sa nervosité sur le compte de ce qui s’était passé entre nous la veille. Hier soir me semble soudain appartenir à une autre époque.

— Rien, je viens de rentrer à l’instant.

Je jurerais qu’il est soulagé d’apprendre que je ne suis pas restée seule ici avec son ordinateur plus que quelques minutes.

Il me montre son sac de course.

— J’étais juste parti acheter du café. On n’en avait plus.

J’opine. Je me demande combien de temps je vais pouvoir tenir avant d’exploser. Mais j’aime bien ce sentiment que c’est moi qui ai maintenant les cartes en mains, moi qui peux le déstabiliser à tout moment.


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1 commentaire

PIERRE SCHOTT

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Il y a 5 ans

QUI DONC EST CE RYAN REYNOLDS ?! (HÉ-HÉ !)
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