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L'amour et la fête ...
" L'amour et la fête n'ont jamais fait bon ménage. Il est d'ailleurs surprenant que le verbe sortir puisse désigner deux choses : rouler un patin, ou voir des gens. La vie est moins conciliante que le vocabulaire. " - Frédéric Beigbeder
Pour l'occasion, la plus belle avenue du monde a été réservée aux piétons. Je repère quelques rares cyclistes dans la foule, quelques trottinettes et des poussettes qui tentent difficilement de se frayer un passage pour que les bambins puissent espérer voir un bout du spectacle. Les badauds se pressent contre les barrières de sécurité. Nous sommes au milieu des Champs- Elysées, entre La Concorde et L'Arc de Triomphe qu'on peut contempler au fond derrière l'estrade parfaitement centrée et éclairée par de gros projecteurs. Elle a été recouverte d'un tapis rouge où se dressent fièrement de grands panneaux publicitaires assortis, portant les marques des prestigieux sponsors de l'événement.
Bastien me tire légèrement par la manche de mon manteau, m'invitant à le suivre et à dépasser les barrières de sécurité. Il présente sa carte de presse à un vigile qui garde le passage sur la droite. Quelques instants plus tard, nous approchons de l'estrade, aux premières loges. Je repère ma mère en pleine discussion avec un homme d'âge mûr, élégant et les cheveux grisonnants. Le fameux Alfredo ? Elle porte une robe rouge flamboyante. On ne voit qu'elle. Elle n'a pas de manteau alors que nous sommes tous emmitouflés dans des tenues chaudes, Mme La Maire y compris. Bastien a même mis un bonnet et une écharpe aux couleurs du PSG qui gâcheraient complètement son costard si son duffle-coat trop court et l'appareil photo suspendu autour de son cou tel un vulgaire touriste, ne s'en étaient pas déjà parfaitement chargé.
Je n'ai pas été aussi audacieuse que ma mère mais j'ai mis une robe de cocktail noire plutôt chic et près du corps sous mon manteau et j'ai laissé mes mitaines à la maison, preuve que j'ai quand même un peu plus de goût que mon colocataire.
Il est presque 18 h 00, heure à laquelle le coup d'envoi des illuminations des Champs-Elysées doit officiellement être lancé, à l'instant où ma mère actionnera symboliquement le gros bouton sur le pupitre. Pour le moment, c'est le temps des discours. Un type grisonnant en costard-cravate (bravant le froid, il a ouvert son manteau) a été invité à monter sur scène par la présentatrice.
Je pivote vers Bastien. Armé de son calepin et de son stylo, il est focalisé sur le monologue du monsieur à la cravate rayée. Avec son écriture de médecin, il note scrupuleusement tous les détails énumérés : 400 platanes, 2,2 kilomètres de lumières, sur le thème de la Flamboyance...
Je le laisse travailler. Je m'amuse de le voir si professionnel. J'ai l'impression de le découvrir sous un nouveau jour.
Encore quelques speech. Des remerciements à n'en plus finir (on se croirait aux Oscars) : merci au comité Champs-Elysées, merci à la mairie de Paris, aux adjoints, à la société qui a installé les guirlandes lumineuses, à la marraine : Aria Fleury ... Bastien écoute attentivement, je baille. Il ne manque plus qu'à remercier les parents de tous ces gens de les avoir conçus, un soir trop arrosé !
Heureusement, ma mère appuie enfin sur ce fichu bouton. Elle prend son rôle très au sérieux comme si elle allait lancer la fusée Ariane sur orbite, sous les yeux admiratifs de son accompagnateur. Une musique trop forte et une pluie de confettis jaillissent au même moment que les platanes de chaque côté de l'avenue s'illuminent en rouge. Le public applaudit. Je dois reconnaître que l'effet est saisissant. Tout à coup, la nuit prend des allures féeriques. Sur la scène, ma mère sourit comme si l'ovation lui était personnellement destinée.
Nous nous dirigeons à pieds vers le restaurant où se poursuit le reste de la soirée, admirant les illuminations au passage. Je n'ai jamais dîné sur les Champs-Elysées. J'ai passé mon bras sous celui de Bastien pour ne pas le perdre dans la foule, il a l'air de savoir où il va. Ma mère nous devance, escortée par trois hommes, repérable entre mille, même de dos, à sa robe fourreau rouge. Je n'ai pas encore eu le temps de la saluer. J'ignore si elle sait que je suis présente, ni même si elle s'en soucie vraiment.
***
Un serveur nous escorte jusqu'à notre table. Le restaurant a été privatisé pour l'occasion. Je me rends compte que nous sommes à la table d'honneur. L'horreur ! J'imagine que c'est un coup de ma mère. D'ailleurs, la voilà qui prend place à côté de nous avec son cavalier.
— Voilà Alfredo, je te présente ma fille chérie, Clémentine.
Je ne sais pas ce qui me surprend le plus son grand sourire ou son "chérie".
Il me paraît évident que toute cette comédie ne vise qu'à impressionner son cavalier.
Je lui serre la main.
— Enchantée de vous connaître. (je me retourne vers ma gauche) ... Et donc voici... Bastien...
Je ne sais pas bien comment le présenter. J'ai l'impression qu'ils penseraient tous que j'ai passé l'âge d'avoir un colocataire.
Durant le dîner, j'ai l'impression d'assister à une mascarade. Ma mère essaie d'évoquer des souvenirs de mon enfance, son Alfredo étant apparemment très attaché aux valeurs familiales et elle très attachée à l'opinion d' Alfredo. Sauf qu'elle se trompe une fois sur deux, prétendant que je me suis cassée la jambe droite au lieu de la gauche, qu'elle m'a accompagnée à mon premier spectacle de danse, alors que seul mon grand-père y assistait, ou bien encore qu'elle me racontait des histoires, le soir, avant de me coucher.
J'ai une boule dans la gorge et suis incapable d'avaler quoi que ce soit. Bastien me demande gentiment comment je me sens en se penchant vers mon oreille. Je voudrais le rassurer, le remercier de son soutien mais aucun son ne sort de ma bouche. Je regarde au plafond pour éviter le regard des gens. Le lustre est si imposant que j'ai l'impression qu'il pourrait me tomber dessus et me tuer sur le coup. Je repense à l'incident à mon cabinet... Il doit être possible de se pendre avec un lustre aussi solide que celui-ci...
Je suffoque. Il me faut de l'air. C'est urgent. Animée par le besoin soudain de sortir de cette pièce, je bafouille un mot d'excuse, recule ma chaise et me dirige vers la sortie. Elle me semble bien lointaine. J'ai envie de courir mais j'oblige mes pas à garder une cadence acceptable, je ne veux surtout pas éveiller davantage la curiosité des convives. Enfin, j'atteins la porte qu'un homme m'ouvre trop lentement. Comme si je n'étais pas capable de le faire toute seule ! Quelques instants plus tard, je suis sur le trottoir. Je prends un grand bol d'air en poussant un cri. De soulagement, enfin soustraite à ces regards curieux qui scrutaient "la fille d'Aria" ? De rancœur trop longtemps accumulée ? Je ne sais pas trop ce qui est sorti de ma bouche, mais l'évacuer me fait du bien.
Je fais quelques pas sur le trottoir pour mettre encore un peu plus de distance entre le restaurant et moi.
Bastien me rejoint deux minutes plus tard.
7 commentaires
PIERRE SCHOTT
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Léa Roman
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Karl Toyzic (Ktoyz)
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Lou.R.Delmond
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