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L'homme ... (suite)
L'homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner, sans donner de prétexte - Jules Renard
Dehors, la nuit est tombée, il pleut sans interruption depuis plusieurs heures. J'ai presque la sensation de sentir l'humidité sur ma peau. Tout à coup, mon salon m'apparaît encore plus réconfortant. De la fenêtre, on devine plus qu'on ne voit la rue et les lumières un peu floues des lampadaires. On entend quelques voitures circuler devant l'immeuble, les pneus roulant régulièrement dans les flaques.
Je m'affale un peu plus contre le velours du coussin derrière mon dos, profitant de sa chaleur et de celle de la tasse de thé fumante entre mes mains.
Bastien a posé son mug de café sur la table basse où il a étendu ses jambes. Je ne lui fais pas de remarque. Je ne saurais pas dire pourquoi mais je me rends compte que sa présence à côté de moi me rassure. Le fait qu'il puisse se sentir bien en ma compagnie, suffisamment à l'aise, en tout cas, pour mettre ses pieds sur la table, me fait plaisir.
J'ai voulu me faire pardonner de l'avoir laissé un peu trop longtemps sur le palier. Je nous ai préparé mon fameux gâteau au chocolat en guise de dîner. Finalement, il n'a pas travaillé. A la seconde où je l'ai rejoint dans le salon, il a refermé précipitamment son ordinateur portable comme il le fait souvent.
Je souris en l'observant se goinfrer. Il est en train de mettre des miettes partout sur mon canapé.
Bastien surprend mon regard :
— Quoi ? Oh, désolé, je vais nettoyer ! s'empresse-t-il de se défendre.
— Non, non, pas de soucis.
— T'es sûre ?
— Oui... Mon ex aussi adorait mon gâteau au chocolat.
Il se redresse subitement sur le canapé.
— Ah oui ?
Je hausse les épaules. Je ne sais même pas pourquoi j'ai fait mention de ce détail insignifiant.
— Les autres aussi, ils en mangeaient ? Ou bien c'était uniquement réservé à Dasc ?
Je secoue la tête, plus amusée qu'agacée.
— Bastien ! Tu veux que j'aille chercher le règlement sur le frigo ? Non ? C'est bon, tu t'en souviens ? Super !
— OK. Bon, dans ce cas, de quoi peut-on parler ?
— De tout. Sauf de ce qui est sur cette fichue liste !
— Bien... Et si tu me racontais pourquoi tu as choisi de devenir psy ? C'est un besoin chez toi de t'occuper des autres ? De prendre soin d'eux ?
Je fais la moue.
— C'est la raison officielle, oui. Celle que je sers aux patients qui me posent la question, par exemple... Mais, en vrai, je crois que c'était plus parce que ça me rassurait, tu vois ? Côtoyer les névroses des autres, ça aide à se sentir un peu plus comme tout le monde, à relativiser les siennes...
Bastien hoche la tête. Il est soudain plus sérieux et ses yeux ont pris une couleur plus sombre, plus proche de la teinte de son café que de celle du Nutella. Il m'observe avec attention mais sans jugement. Nos regards se rivent l'un à l'autre. Un peu trop longtemps.
L'atmosphère me paraît soudain plus lourde.
Je baisse la tête et trouve une parade :
— C'est un peu comme les coiffeuses... A mon avis, elles font juste ce métier pour se rassurer sur leur coupe de merde ou se venger de leurs mères qui les avaient obligées à aller à l'école avec une coupe au bol quand elles avaient 5 ans ! C'est pour ça qu'elles font des colorations violettes et des coupes de garçons aux petites vieilles !
Bastien rit de toutes ses dents.
— Ah ! C'est donc ça, le grand mystère des mamies aux cheveux mauves !
— Voilà !
Le silence revient s'installer entre nous. Je profite de ce répit pour rebondir sur sa première question.
— Et toi, alors ? Qu'est-ce qui t'a poussé à faire du journalisme ?
Il évite mon regard pour le reporter sur son mug, comme s'il était embarrassé par la question ou qu'il n'en assumait pas la réponse.
— En fait, moi, je voulais écrire. Mais il n'y a pas d'école pour ça, en France. Et de toute façon, mes parents ne m'auraient jamais laissé faire ! Le journalisme, ça faisait plus sérieux... Même s'ils étaient quand même sceptiques...
— Pourquoi ? Tu étais si nul que ça en Français ?
— Non, parce que mon père est plombier et ma mère, assistante maternelle... Pour eux, c'est ça, de " vrais " métiers. Je crois que, l'écriture, et même le journalisme, c'est trop abstrait pour mes parents.
J'acquiesce.
Il ajoute en souriant :
— Je n'ai pas eu la chance d'être élevé par une artiste, moi !
Je lève les yeux au ciel.
— C'était pas tous les jours marrant, hein ? devine-t-il.
— Non, c'est vrai... Mais, bon, je n'ai pas à me plaindre, il y a bien pire dans la vie...
— A propos de ta mère... je sais que ça fait partie des sujets interdits... mais, ça me fait penser que je serai à l'inauguration des illuminations des Champs Elysées. Fabien m'a demandé de couvrir l'événement pour Le Petit Hebdo. Tu y vas aussi ? Vu que Aria sera la maîtresse de cérémonie...
Je secoue la tête.
— Je ne crois pas... Je n'ai pas encore trouvé d'excuse mais...
Il pose son mug sur la table basse, se redresse sur le canapé et s'approche de moi, me coupant la parole.
— Même si je t'invite ?
Ses yeux brillent d'une lueur inédite. Prise au dépourvue, je plisse les yeux, essayant de deviner son jeu.
— J'ai deux entrées. J'avais prévu d'inviter la fille avec qui je finirais la soirée... Et il se trouve que finalement cette fille, c'est toi.
J'hésite. Je n'ai pas vraiment envie de me retrouver à une soirée mondaine avec ma mère. D'un autre côté, je n'ai pas encore trouvé de prétexte valable pour sécher l'événement...
— Je vais mettre un costard. Il paraît que je suis vraiment super sexy en costard, argumente Bastien.
Je souris malgré moi et je vois dans ses yeux qu'il est déjà persuadé d'avoir gagné.
— En plus, tu n'as pas d'excuses pour pas y aller et tu ne peux pas te pointer toute seule. Une belle femme comme toi, tu te ferais draguer toute la soirée par des mecs trop éméchés.
— Sérieusement ? Tu crois que la flatterie va marcher avec moi ?
Il ignore ma remarque et enfonce le clou, son visage de plus en plus près du mien :
— Je serai le parfait accompagnateur. Je ne parlerai pas de tes ex. Je m'arrangerai pour qu'on ait les meilleures places. Si tu veux éviter Aria, je ne l'interviewerai pas. Je me contenterai de prendre des photos et de récolter ton témoignage. Et, même s'il est fort probable que je te propose de te raccompagner à la fin de la soirée pour des raisons pratiques, puisque bah... on habite ensemble... , tu as ma parole que je n'essaierai pas de t'embrasser. Pourtant, tu seras à tomber dans ta robe de soirée. Ce sera très dur de résister. Mais j'attendrai que ça vienne de toi. Promis.
Je ne peux m'empêcher de sourire à ses facéties et suis obligée de constater, un peu honteuse, que, oui, la flatterie marche avec moi.
Je lâche dans un soupir :
— Bon, OK, t'as gagné. Je t'accompagne.
Ses yeux pétillent et son sourire s'élargit comme s'il avait gagné au loto.
Je suis à la fois flattée et inquiète.
Est-ce que Bastien croit qu'on a un rencard ?
12 commentaires
PIERRE SCHOTT
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Il y a 5 ans
Elsa Carat
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Il y a 5 ans