Fyctia
L'homme vraiment ...
" L'homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner, sans donner de prétexte " - Jules Renard
Je mets mes plans à exécution. Je retire le soutien-gorge qui me torture et enfile une tenue confortable. Je glande un peu, passant de la lecture d'un roman au visionnage d'un vieux film à la télé. Puis, pour me dégourdir les jambes, je me dirige jusqu'à la cuisine et mange un morceau de fromage, debout, devant le frigo ouvert. Je scrute le bol du mixeur à moitié rempli d'une substance marron. Je n'arrive pas à croire que Bastien arrive à avaler un verre de ce truc tous les matins. Surtout que, pour rire, j'ai rajouté un peu de Tabasco dans ma recette. Je pensais qu'il recracherait la mixture directement et qu'on rirait de ma blague tous les deux. Mais non. La première fois, il l'a avalée sans rien dire avec une légère grimace. Et il m'en a redemandé le lendemain matin. J'hésite à goûter. Peut-être que, sans le vouloir, j'ai inventé une délicieuse boisson. Il paraît que les meilleurs recettes ont toutes été créées par erreur...
Mon portable sonne. Je secoue la tête et referme le réfrigérateur en me rendant compte de l'énorme connerie que je m'apprêtais à faire. Je ne peux pas boire un liquide marron clair.
Je décroche. C'est ma mère. Elle a la manie de toujours masquer son numéro avant d'appeler. Elle prétend que toutes les stars le font pour des questions de discrétion. Je pourrais comprendre si elle ne se baladait pas, main dans la main, avec sa nouvelle conquête systématiquement dans des lieux où il y a autant de paparazzi au mètre carré que de figurines de Star Wars sur le chevet de Bastien.
Elle entame la conversation d'un ton un peu trop enjoué comme si elle tournait la prochaine scène d'une comédie :
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Bah, j'ai une conversation téléphonique avec ma mère...
Elle soupire. Je l'imagine très bien lever les yeux au ciel, pas du tout discrètement, comme si elle assistait à un feu d'artifice.
Pourquoi est-ce qu'elle me demande ce que je fais ou si je suis occupée chaque fois qu'elle m'appelle ? Si j'étais en train de faire l'amour avec Ryan Reynolds, je ne décrocherais pas ! Et je ne le lui dirais certainement pas. Ou peut-être que si. Peut-être que j'aurais envie de le crier sur tous les toits comme elle à chaque nouvelle conquête... Pitié, je ne veux pas ressembler à ma mère !
Je me ressaisis :
— Désolée. Rien de spécial... Et toi ?
— Rien de spécial non plus. Je suis à un vernissage sur une péniche. Avec Alfredo. Tu connais Alfredo ?
Peut-être. Je n'ai pas été très attentive à la lecture du dernier Closer.
— Oui, bien sûr, maman.
— Bien. Et je t'ai dit que je serai la maîtresse de cérémonie à la prochaine inauguration des illuminations des Champs Elysées ?
— Oui, maman.
— Bien. Tu viendras, n'est-ce pas ? C'est le 24. J'aimerais te présenter Alfredo...
Quoi ? Ma mère veut me présenter quelqu'un ? Quelqu'un avec qui elle se rend à un vernissage ? Les seules personnes que ma mère a daigné me présenter jusqu'à maintenant sont mes nounous quand j'étais petite, puis, un peu plus grande, ses coiffeuses ou ses maquilleuses et, encore quelques années plus tard, un chirurgien esthétique. C'est ce jour-là que j'ai découvert qu'il y avait apparemment un problème avec mon nez alors que, comme une idiote, je perdais mon temps à complexer sur mon ventre à l'instar de mes copines. Elle a dit que je tenais ce " truc disgracieux " de mon père. C'est à peu près la seule chose qu'elle m'a apprise à propos de lui. Du coup, j'ai gardé mon nez.
— S'il te plaît. Il aimerait te rencontrer.
Est-ce qu'elle vient de dire " s'il te plaît " ? En public, qui plus est, et pas parce que c'était la réplique d'un film dans lequel elle tourne ! Je suis tellement désarçonnée que, sur le coup, aucun prétexte valable pour esquiver la soirée ne me vient à l'esprit.
— Euh... OK... je vais voir...
— Parfait ! Il faut que je te laisse, Mme La Maire va commencer son discours.
Elle raccroche, sans plus de cérémonie. Je l'imagine vaquer à ses occupations et " ne rien faire de spécial " en buvant du champagne en compagnie du gratin parisien.
Le samedi passe à une vitesse folle. On est déjà au milieu de la soirée et je ne me suis toujours pas décidée à me faire à manger lorsque l'on sonne à la porte.
Je ne suis absolument pas présentable. Je fais la morte en attendant que l'inconnu déguerpisse.
— Clem' ? T'es là ? C'est Bastien, ton coloc' !
— Bastien ?
Il n'était pas censé passer la nuit dehors celui-là !
— Ouais. Je voulais savoir si je pouvais entrer ou bien si tu étais encore en train de danser en petite culotte !
Heureusement que mes voisins sont à moitié sourds.
Je regarde à quoi je ressemble dans le miroir. Catastrophe. Et je n'ai même pas de soutien-gorge !
— Euh... Deux petites secondes... J'arrive !
Je me débarrasse de mon jogging et le remplace par un jean, je passe un coup de brosse dans mes cheveux tout en avalant du dentifrice. Une dose de déodorant plus tard, je me dirige vers la porte d'entrée.
— C'est bon, t'es habillée ? s'impatiente-t-il de l'autre côté de la cloison.
La situation m'amuse. Une main sur le verrou, je demande :
— T'es pas bourré, au moins ?
Je l'entends soupirer.
— Clem', il n'est que 21 h 30.
— Mmm. Ta soirée ne s'est pas passée comme prévue ?
— Clem', j'aimerais beaucoup discuter de ça avec toi si tu voulais bien me faire entrer !
Je ris.
— Ah oui, quand même ! C'était vraiment une soirée pourrie !
— Clem' !
Il s'énerve. Mais je suis sûre qu'une fois rentré, il sera impossible de lui tirer les vers du nez.
— Raconte. La fille t'a rejeté ? Elle t'a posé un lapin ? Ou non, je sais ! Elle a préféré sortir avec ton pote !
— Fabien ? s'étrangle-t-il derrière la cloison. N'importe quoi ! C'est moi qui ai décidé qu'elle ne m'intéressait pas finalement. Et que j'avais mieux à faire ce soir !
J'ironise :
— Comme de discuter avec une porte, debout, sur le palier ?
— Non, comme de rentrer chez moi et bosser sur... mes articles ! Bon, ouvre-moi maintenant ! Ou je défonce la porte !
Je ne le crois pas capable de faire une chose pareille, - j'ai déjà vu ses bras. Mais j'ai mauvaise conscience alors je m'exécute.
— C'est pas trop tôt ! s'agace-t-il en s'engouffrant dans l'entrée pendant que je referme derrière lui.
***
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PIERRE SCHOTT
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