Fyctia
Trouver son père...
" Trouver son père sympathique, C'est pas automatique. Avoir un fils qui vous agrée, Ce n'est pas assuré " - Georges Brassens
Honnêtement, je me demande comment j'en suis arrivée là...
Il y avait de l'eau partout. Natacha pataugeait sur le linoléum et me suppliait du regard. Bastien ne me quittait pas des yeux. Sa veste servait de serpillère un peu plus loin et semblait m'accuser de noyade volontaire... J'ai été faible, j'ai craqué. J'ai accepté qu'il appelle son père.
Enfin, pour être exact, j'ai lâché dans un soupir, les mains sur les hanches : " il est vraiment plombier, ton père ? " Il a pris ça pour un accord tacite et a dégainé son portable.
Trente-cinq minutes plus tard, Monsieur Reno est arrivé à la rescousse. Je m'attendais à me retrouver en face d'un homme bourru, moustachu et bedonnant. Le plombier est tout le contraire : athlétique, plutôt courtois et rasé de près.
J'avoue que je ne regrette pas sa venue. D'abord parce qu'il a l'air d'en connaître un rayon (ou alors il fait très bien semblant) et puis, parce que depuis qu'il est là, Bastien est dans ses petits souliers. J'éprouve une certaine satisfaction, à peine coupable, à le voir en retrait, presque effacé, pour une fois.
Penché sur sa mallette à outils, le plombier s'active à genoux au fond de la pièce.
— Vous avez bien fait de couper l'arrivée d'eau. Trop de gens n'y pensent pas.
Plantée debout à côté du travailleur, aussi inutile que moi et qu'un parapluie troué, Natacha ne peut s'empêcher de rétablir la vérité.
— J'avoue que c'est votre fils qui a eu le bon réflexe.
Concentré sur sa tâche, il réplique sans lever les yeux :
— Ah oui ? Pour une fois qu'il a une bonne idée celui-là !
Je tique. C'est de l'humour ? Natacha a l'air un peu gênée. Bastien regarde ses baskets. Si c'était de l'humour, ça n'a fait rire personne. Même moi, j'ai du mal à me réjouir.
Evidemment, mon assistante prend sa défense. Jouer les justicières, c'est une seconde nature chez elle.
— Oui, et, à l'heure qu'il est, je serais toujours en train d'essayer de dénicher un plombier s'il n'avait pas eu la bonne idée de vous appeler...
— Ah bah ça, ça ne m'étonne pas qu'il m'ait appelé au secours ! Bastien n'a jamais été fichu de faire quoi que ce soit de ses dix doigts ! Il n'a jamais été manuel. Non, lui, c'est un intello ! Monsieur veut écrire des romans !
Le ton se veut comique mais encore une fois, la boutade tombe à plat. Je guette la réaction du fils du coin de l'œil.
Un timide sourire factice aux lèvres, Bastien encaisse sans rien dire.
D'un coup, je me rends compte que ça n'a pas dû être si facile pour Bastien de faire appel à son père. Il devait se douter du discours auquel il aurait le droit. Mais il l'a quand même fait venir. Pour que je puisse rouvrir le cabinet au plus vite. S'en voudrait-il vraiment de son comportement de la veille ? Essaierait-il de se racheter ?
SuperNatacha remet sa cape imaginaire.
— Ecrire un roman ? C'est génial, ça ! Ce n'est pas donné à tout le monde d'écrire un livre. Vous l'avez lu ?
Le plombier ricane :
— Il aurait déjà fallu pour ça qu'il en termine un ! Non, tout ce que j'ai pu lire de mon fils, c'est un article sur une femme poignardée et sauvée grâce à ses implants mammaires qui ont fait barrage et un truc sur le type qui a essayé d'empoisonner son ex en mettant du White Spirit dans son thé !
Officiellement, je trouve ces faits divers putassiers au possible. Mais, j'avoue, j'ai envie d'en connaître les moindres détails. Dommage, le moment paraît mal choisi.
— Ah, si ! Quand il était petit, je lisais aussi sa liste au Père-Noël ! Ah, ça, c'était quelque chose ! ...
Le père se met à nous raconter comment son fils se fascinait pour les contes, les marionnettes et l'astrologie. Au lieu de s'intéresser aux ballons de foot et aux jeux de construction qu'il s'évertuait à lui offrir.
Bon, à ce stade, il paraît évident que le père de Bastien a très peu d'estime pour les spectacles de Guignol, les horoscopes, les livres pour enfants et les choix de vie de son fiston de manière générale.
Seule la pseudo justicière croit encore qu'elle peut renverser la situation :
— En tout cas, votre fils est un homme charmant. Il doit en faire tourner des têtes !
Le plombier lâche brutalement sa clé à molette dans sa caisse à outils. Il se relève et se retourne vers son fils.
— On attend toujours d'en rencontrer une, en tout cas ! Hein, dis, quand est-ce que tu nous présentes une jolie jeune fille ?
Bastien se contente de hausser les épaules.
Je suis effarée de le voir sans répartie.
— Au fait, ta mère m'a dit pour ton colocataire. A ce qu'il paraît, il s'est trouvé une copine, lui, et il te met à la porte, c'est ça ? T'as trouvé une solution ?
— Je...
— Oui, il va venir habiter chez moi !
Les trois autres me dévisagent. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Pourquoi couper la parole à Bastien pour déclarer un truc pareil ? Je crois que le côté justicier de Natacha déteint sur moi. Ou bien c'est moi qui ne peux m'empêcher de voler au secours de tous les losers de la Terre !
Dans le fond, sa relation avec son père a dû me rappeler mes propres problèmes relationnels avec ma mère...
Merde. Je peux difficilement revenir sur mes propos sans passer pour une cinglée.
Et puis, je dois avouer que clouer le bec au plombier a quelque chose de jouissif.
Je confirme sans me démonter :
— On a prévu de cohabiter jusqu'à ce qu'il trouve un nouveau logement. Deux mois, maxi.
Le père de Bastien fronce les sourcils. Son fils a retrouvé son petit sourire en coin. Je ne pensais pas me féliciter un jour d'être à l'origine de cette expression narquoise sur son visage.
— Vous êtes psy, c'est bien ça ? Eh bah, tu pourras faire une thérapie gratos !
Il rit de sa propre blague.
Il parle de thérapie sur le même ton qu'il parle des contes pour enfants et des marionnettes. Je prends sur moi et me contente d'un sourire crispé.
Je ne suis pas mécontente de le voir sortir de mon cabinet quelques dizaines de minutes plus tard.
En prenant congé, il assène :
— Je vous souhaite bonne chance pour la colocation ! J'espère que vous avez de la place pour Nappo !
J'ai une sueur froide.
J'attends qu'il disparaisse de mon champ de vision pour me tourner vers Bastien :
— Rassure-moi, Nappo c'est le nom de ta plante verte ?
Il me fixe, goguenard.
— Disons, plutôt une sorte de grosse peluche...
Face à mes yeux menaçants, il s'empresse d'ajouter, sans réussir à masquer totalement son amusement :
— Mais j'essaierai de la laisser à mon coloc'... Il a pris l'habitude de dormir avec...
Et voilà. J'ai pris la décision de l'accepter comme colocataire il y a moins d'une demi-heure et je le regrette déjà !
23 commentaires
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Elsa Carat
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