Elsa Carat (A)muse-moi ! J'ai fait en sorte ...

J'ai fait en sorte ...

" J'ai fait en sorte que tu deviennes quelqu'un d'extraordinaire, imagine ma déception quand je me réveille après cinq ans et que je découvre que tu es quelqu'un d'ordinaire " - Ellis Grey /Grey's Anatomy

J'éteins la télévision en reniflant. Je dois être la seule fille qui chiale en regardant pour la 22ème fois le même épisode de Grey's Anatomy. Ce n'est même pas pour les bonnes raisons. J'aimerais dire que je pleure sur le sort de la patiente qui décède, laissant derrière elle deux petits orphelins. Ou, à la limite, que je me passionne pour les histoires du Docteur Mamour. C'est pire que ça. Plus pathétique encore. C'est la relation entre l'héroïne et sa mère qui me bouleverse. Cette phrase : " J'ai fait en sorte que tu deviennes quelqu'un d'extraordinaire, imagine ma déception quand je découvre que tu es quelqu'un d'ordinaire " , j'ai l'impression que c'est ma propre mère qui me la jette à la figure. Certes, la mienne n'a jamais prononcé ces mots ni même d'autres s'y approchant. Pourtant, ils résonnent en moi comme s'ils m' étaient personnellement destinés. Aria Fleury est une célèbre actrice, charismatique, extraordinaire et je ne suis qu'une psy pas très talentueuse. Une fille normale. Ordinaire. J'ai constamment le sentiment de la décevoir.


Mes yeux gonflés et rougis se posent sur la table basse. J'ai chiffonné la feuille que m'a glissée Bastien sous la porte quelques heures plus tôt et j'en ai fait une boule de papier. J'aurais aimé lui crier dessus. Mais je n'ai pas réussi. Face à mon silence, il a fini par partir. J'espère qu'il ne m'a pas entendue pleurer.

Sa démarche me blesse bien plus qu'elle ne le devrait. Pour moi, ce n'est pas juste un chantage, c'est une nouvelle preuve, après Loser2, que les gens que je rencontre s'intéressent davantage à ma mère qu'à ma personne, que j'ai beau tout faire pour vivre ma vie loin d'elle, elle me rattrapera tout le temps, qu'elle le veuille ou non. Ma mère prendra toujours toute la lumière alors que je resterai dans son ombre.

Je soupire, me redresse sur le canapé.

Je m'en veux de me mettre dans des états pareils pour ce Bastien. Après tout, qu'est-ce que j'en ai à faire qu'un type comme lui s'intéresse réellement à moi ou non ? Aux dernières nouvelles, c'était plutôt bon signe de ne pas trop attirer l'attention d'un psychopathe.

Je décide d'aller me coucher sur cette dernière pensée pleine de bon sens.


***


Natacha est dans tous ses états lorsque je débarque au cabinet, le lendemain matin. Il ne me faut pas longtemps pour en comprendre la raison.


Un dégât des eaux.


Un putain de dégât des eaux.


Je ne peux m'empêcher de m'écrier en constatant l'immense flaque d'eau qui s'étend sur le linoléum :


— Qu'est-ce que c'est que ça !


— Un dégât des eaux !


A question idiote, réponse idiote.


Je retente :


— Mais qu'est-ce qui s'est passé ?


Natacha, pieds nus, me répond tout en épongeant le sol avec une serpillère bien trop petite. Ce qui revient à soigner un patient en le faisant s'allonger sur le divan... et puis, c'est tout. C'est un bon début mais, ça ne nous mènera pas loin.


— Je crois qu'une canalisation a pété.


Je lâche mon sac à mains et reste hébétée dans l'entrée.


— Merde ! Comment je vais faire pour mes rendez-vous ?


— Je les ai déjà tous annulés pour aujourd'hui... Par contre, j'ai pas encore réussi à trouver un plombier en urgence !


Génial. Ne manquait plus que ça. Déjà que les patients ne se bousculaient pas au portillon...


Une voix d'homme résonne derrière mon dos.


— Bonjour.


Je reconnais l'abruti d'hier soir avant même de me retourner. Qu'est-ce qu'il fiche encore ici celui-là ?


Je prends une profonde inspiration et le menace de l'index en pivotant vers lui.


— Alors, toi, c'est vraiment pas le moment !


Il lève les mains en signe d'apaisement et dit d'une voix penaude :


— OK. Désolé... J'étais juste venu pour m'excuser pour... hier... ( Son regard se porte sur l'innondation) Mais je vois qu'effectivement ce n'est pas le moment.


J'ironise :


— Excellente déduction, Sherlock. C'est tes talents d'investigation qui te font dire ça, je suppose ?


Il reste muet quelques instants, comme surpris par mon ton véhément. Non, mais franchement, il s'attendait à quoi ?

Il me vient une idée.


— Retire ta veste !


Il hausse les sourcils, me dévisage et lance un regard interrogateur à Natacha, l'air de lui demander : " vous avez entendu la même chose que moi ? "


J'insiste en montrant ma main, paume ouverte vers lui.


— Ta veste !


Perplexe, il la retire et me la tend.


Je la lui arrache des mains et la roule en boule avec la même rage que j'avais mise pour son brouillon d'article pour Le Petit Hebdo. J'avance de quelques pas, l'écrase par terre, mets un pied chaussé de mon escarpin dessus et essuie grossièrement le sol avec.


Natacha est horrifiée.


Bastien, lui, semble prendre la mesure de mon énervement et fait profil bas :


— Il fallait que je la lave de toute façon.


Son manque de réaction ne fait qu'accroître ma rage. J'appuie plus fort avec mon talon. Je pourrais déchirer le tissu, c'est fragile ces trucs là.


Comme pour fuir le spectacle de l'assassinat de sa veste, Bastien reporte son attention sur Natacha.


— Vous avez coupé l'arrivée d'eau ?


L' expression étonnée de mon assistante suffit à répondre à sa question.


Sans rien demander à personne, il se dirige au fond de la pièce, ouvre des portes et des placards.


Natacha en profite pour se rapprocher de moi.


— Il est plutôt sympa ce nouveau patient.


Je la fusille du regard.


— Ce n'est pas un patient. C'est un journaliste psychopathe !


Elle fait la moue :


— Ah bon ? Il a l'air inoffensif...


Je lève les yeux au ciel.


— Evidemment ! Tous les psychopathes ont l'air inoffensif, c'est la base ! T'as jamais regardé Esprits Criminels ou quoi ?


Elle hausse les épaules :


— C'est un psychopathe serviable alors...


Excédée, je vois Bastien revenir vers nous.


— Voilà, c'est fait. Mon père est plombier, vous voulez que je lui demande de passer ?


Natacha et moi répondons en chœur. Sauf qu'elle dit oui en même temps que je dis non.


Je tranche, c'est moi la patronne.


— On va se débrouiller, merci !


— Allez, Clémentine. Pour me faire pardonner...

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17

17 commentaires

Karl Toyzic (Ktoyz)

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Il y a 5 ans

Moi je trouve que c'est un bien gentil psychopathe :) j'espère que Clém remboursera sa veste :) Fais attention je commence à devenir de plus en plus fan de Bastien ahah.

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

Rembourser sa veste ? Et puis quoi encore ? :) ( en vrai, moi aussi, il commence à me plaire ce Bastien:) )

Anne-Estelle

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Il y a 5 ans

Le silence est souvent bien plus loquace que n importe quel cri de rage. Mais il dure pas toujours. Et le psychopathe serviable n'a qu'à bien se tenir :-)

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

Exactement :) !

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Toujours cette fluidité d'écriture et ce constat pour cette psy, d'être si ordinaire, c'est un peu le constat que nous devrions tous faire ;), elle gagne en humilité mais garde une forme de frustration par rapport à sa mère et la superficialité de ces Loser qui viennent vers elle sous l'intérêt réel de sa mère.

Gilles

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Il y a 5 ans

Sympa et original ! Bon courage pour la suite, mais vu ton succès, je ne doute pas trop! N'hésite pas à jeter un oeil à mon texte Alice et la prophétie de l'Oride!

DMDO

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Il y a 5 ans

Encore un chapitre très bien mené, merveilleux !

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

Merciiii, ça fait très plaisir et ça rebooste pour la suite :)

Lou.R.Delmond

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Il y a 5 ans

Chapitre très touchant, sur la manière dont Clémentine décrit la réaction avec sa mère, et qui la nuance par rapport à ce qu'on a vu dans les chapitres précédents. Et Bastien est décidément là au bon endroit au bon moment... leurs interactions font plaisir à lire, c'est aussi drôle que piquant, et sa montre que Clémentine a aussi du mal à tout gérer. Elle est très humaine, et c'est ce que j'adore dans ton histoire.

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

Merci Lou ! J'attache beaucoup d'importance à ce que mes personnages ressemblent à des gens qu'on pourrait croiser dans la vie donc ton commentaire me touche beaucoup !
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