Elsa Carat (A)muse-moi ! Combien de temps ...

Combien de temps ...

Combien de temps faut-il à un psy pour changer une ampoule ?

Une ou deux séances, mais il faut que l’ampoule veuille vraiment changer !


J'arrive au cabinet tout essoufflée. Je viens de faire ma séance de sport hebdomadaire. Comme chaque vendredi (jour de bouchon où les automobilistes parisiens perdent subitement toute personnalité pour emprunter exactement le même trajet que moi), je suis venue à pieds en slalomant sur les trottoirs pour éviter crottes de chien, trottinettes et chiens tenus en laisse. J'ai une phobie des chiens qui date du jour où un Yorkshire Terrier s'est jeté sur moi pour me lécher l'intégralité du visage. J'avais cinq ans. Sa langue était plus grande que ma main et j'ai cru que j'allais mourir étouffée. Le pire, c'est que ma mère et mon grand-père riaient. Ils devaient se dire que ça ferait une bonne épitaphe sur mon cercueil.

Natacha, ma secrétaire, est déjà là, fidèle au poste. Elle habite tout près. Elle vient à pieds tous les jours avec des talons hauts. La distance qui sépare le cabinet de chez elle n'est pas assez grande pour lui donner le temps d'avoir mal aux pieds. Je suis carrément jalouse. J'ai essayé de mettre des escarpins une fois, un vendredi matin, j'ai eu tellement d'ampoules qu'il y en aurait eu assez pour illuminer la Tour Eiffel.

Tiens, ça me fait penser à ma dernière conversation avec ma mère...

En faisant la bise à Natacha, je lui demande :


— Au fait, tu sais qui va avoir l'immense honneur d'appuyer sur le bouton qui inaugurera les illuminations des Champs-Elysées, le 24 novembre prochain ?


— Rayan Reynolds ?


Je souris.


— Presque.


Natacha et moi partageons la même passion pour l'acteur et producteur canadien de 43 ans et d'1 mètre 88 de muscles (oui, je connais sa fiche Wikipédia par cœur et non, je n'ai pas honte).

C'est en partie ce qui m'a décidé à embaucher Natacha. Enfin, pas le fait que nous ayons le même goût en matière d'hommes, ce qui, à la réflexion, pourrait s'avérer néfaste pour notre amitié - si toutefois Rayan venait à mettre les pieds dans ce cabinet (on peut rêver). Non, ce qui m'a tout de suite plu sur son CV, c'est son humour. Il ne fallait pas en manquer pour inscrire "RAYAN REYNOLDS" dans la rubrique "loisirs et passions". Ou bien être un peu cinglée. Ce qui tombait bien. A mon avis, pour travailler dans un cabinet de psychiatrie, il faut être un peu barré et avoir un sens de l'humour et de l'autodérision plutôt développés.


— Sérieux ? Ta mère ? Elle n'a pas déjà refusé plusieurs fois de le faire ? Elle disait pas que ça faisait trop "Miss France à la foire de la saucisse" ?


— Si. Mais ça c'était avant que Monica Bella le fasse l'année dernière.


Natacha hoche la tête d'un air entendu. Puis, elle demande, pas vraiment convaincue :


— Elle t'a invitée ? Tu pourrais nous avoir des places pour la soirée d'inauguration ? Il paraît qu'ils donnent une grande réception pour fêter l'événement...


Amusée, je secoue la tête en me dirigeant vers mon bureau.


— Pas question.


Derrière mon dos, je l'entends protester pour la forme.


— Pfff, ça sert vraiment à rien d'être amie avec toi ! Tu ne pourrais pas te servir de la notoriété de ta mère des fois ?


Je ne réponds pas. Elle sait très bien que non. Et elle sait aussi que je suis très fière d'avoir monté ce cabinet toute seule. J'ai préféré m'endetter que d'accepter l'aide financière de ma mère.

En attendant mon premier patient, je m'enferme dans mon bureau. Il est mal isolé, la porte grince, la plante verte fait la gueule et la tentative de suicide de ce fameux patient par combinaison de cravate et de lustre (je songe à proposer une nouvelle idée de carte au fabricant du Cluedo) a laissé un trou dans le plafond d'où pend une ampoule dénudée. Mais peu importe, c'est mon cabinet.


***


Bastien Reno.

Je lui demande de s'asseoir en face de moi. Je décrète aussitôt que je ne l'aime pas. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être parce qu'il sourit insolemment comme s'il avait l'air d'aller bien. Et qu'on ne se rend pas chez le psy, si on va bien. Et qu'on n'affiche pas cet air arrogant du mec heureux devant les autres patients de la salle d'attente, question de décence. Et peut-être aussi parce qu'il a un nom d'acteur qui aurait pu tourner avec ma mère. Surtout, parce qu'il me défie du regard avec un air à la fois supérieur et malicieux. Il a l'air de m'étudier. D'ailleurs, je me rends compte qu'il a apporté un carnet et un crayon mâchouillé.

Comme pour lui rappeler que c'est moi qui suis censée l'analyser, je prends mon stylo et écris les idées qui me passent par la tête sur une feuille volante. Ce qui amuse beaucoup le jeune impertinent. Oui, parce qu'il est jeune, en plus. A peine plus âgé que moi. Et qu'il est pas mal aussi. Enfin, si on aime le genre je-me-crois-tout-permis.


— Vous écrivez quoi ? Je n'ai même pas encore commencé à parler !


— C'est moi qui suis censée poser les questions...(je fais semblant de chercher son nom sur mon agenda) Bastien. Vous permettez que je vous appelle Bastien ?


— Ouais. Mais je dois quand même vous précisez que je ne suis pas exactement là pour une consultation...


Voilà. Je savais que ce mec n'était pas clair.


— Alors quoi ? Vous vous êtes trompé d'adresse ? Vous aviez froid dehors et une heure à tuer dans le coin ?


Je ne lui dis pas tout de suite qu'il va aussi tuer 55 euros de son compte en banque. Je garde la surprise pour la fin de la conversation.


Il rit. Il a de belles dents.


— Non, je suis journaliste.


Je me mords la joue. Il y a bien longtemps qu'un pseudo journaliste n'avait pas essayé d'entrer en contact avec moi pour obtenir des informations croustillantes au sujet de ma mère.

Je m'apprête à le rembarrer quand il ajoute :


— Enfin, je suis plutôt pigiste. Et j'écris des biographies en parallèle. J'en rédige une sur Aurélien Dasc en ce moment même...


Je me décrispe légèrement. Nous n'allons pas parler de ma mère mais de Loser3. Je ne me suis toujours pas tout à fait remise de l'avoir vu à a télé celui-là.


— Vous aimez sortir avec des célébrités ?


Je pouffe en songeant à la collection de losers avec lesquels je suis sorti.


— Aurélien n'était pas encore connu à l'époque où j'étais avec lui... D'ailleurs, qui vous a dit pour nous ?


— C'est lui. Il dit que vous avez beaucoup contribué à son succès.


Je ris en secouant la tête.


— On a passé que deux mois ensemble et il ne me faisait jamais écouter sa musique. Et, croyez-moi, si j'avais su qu'il percerait dans l'électro en mixant des platines avec un casque de moto sur la tête, je serais toujours avec lui et je lui aurais acheté un scooter à son anniversaire !

Bastien sourit, murmure un "intéressant"pour lui même, me dévisage longuement puis note quelque chose sur son calepin.

Exaspérée, je baisse la tête sur la feuille volante que j'ai utilisé un peu plus tôt :

Psychopathe ?

Éjaculateur précoce ?


Je rajoute :


INSUPPORTABLE !!!



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21

21 commentaires

PIERRE SCHOTT

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Il y a 5 ans

JE PENCHERAIS POUR "ÉJACULATEUR FÉROCE"... MAIS L'ON VA BIEN VOIR, S'IL FERA UN CAMUS QUI TIENT SES PROMESSES...

Joanna Kheerly

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Il y a 5 ans

Intriguant ! On a bien envie d'en savoir plus sur ce Bastien

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Le cabinet, Natacha sa secrétaire (je note nouveau personnage) la soirée d'inauguration, et Bastien Reno en analyse, autre personnage sur lequel on focalise avec des mots forts "éjaculateur précoce/psychopathe".

Annelise84

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Il y a 5 ans

Vraiment, ton récit est génial. Tu dose l'humour à la perfection sans que ce soit trop lourd ou déplacé. J'ai vraiment passé un bon moment en te lisant !!

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup Annelise ! Ça me touche beaucoup !

Anne-Estelle

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Il y a 5 ans

C'est excellent !!! Ton style d'écriture est vraiment bon ! Fluide, sans faute, avec de l'humour et du cinysme toujours bien placé, sans que ce soit jamais lourd, j'aime vraiment beaucoup beaucoup. Et l'histoire, même s'il n'y a que peu de chapitres pour le moment, est totalement loufoque dans le bon sens du terme. C'est original et ça fait du bien dans ce concours. J espere qu'on aura la suite bientôt. Gros coup de coeur pour ton histoire <3

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup pour ce commentaire très encourageant qui me touche beaucoup !

Karl Toyzic (Ktoyz)

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Il y a 5 ans

Vraiment sympa comme texte, mais maintenant que tu as écris Rayan Reynolds t'as pas peur qu'on ne veuille plus voir la suite ? Bon moi j'attends les prochains chapitres, mais les femmes ??? :) Bonne continuation

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

Merde ! T'as raison, j'avais pas pensé à ça :) (je vais peut-être faire apparaître Ryan Gosling) Bonne continuation à toi aussi et merci d'être passé par là (même si t'es un homme et que t'es pas un Ryan ;) )

Lou.R.Delmond

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Il y a 5 ans

Franchement, gros coup de coeur sur ton texte, en un chapitre j'ai dû me taper deux fous rire ( notamment à la fin ), et j'ai beaucoup souri. C'est drôle, mordant, et le journaliste qui prend presque le rôle de la psy, c'est génial x) ! Je n'ai qu'une envie, lire pleiiins de chapitre de ton histoire !
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