Fyctia
L'amour est...
L'amour est une catastrophe magnifique : savoir que l'on fonce dans un mur, et accélérer quand même. Frédéric Beigbeder
Mon téléphone sonne sur la table basse. C'est Rose. Je consulte l'heure affichée sur l'écran. 20 h 08. Je fronce les sourcils, lis l'heure sur l'horloge murale au dessus de la bibliothèque. 20 h 14. Nouveau froncement de sourcils. Je sais bien que la pendule avance un peu mais j'ai estimé que dénicher un escabeau, grimper dessus (sans s'éclater la tête sur le parquet), décrocher l'horloge du mur (sans la faire tomber sur le parquet), descendre de l'escabeau avec l'horloge en mains (sans s'éclater la tête sur le parquet ou risquer de casser la pendule sur le parquet), la remettre à l'heure puis tout refaire en sens inverse, le tout pour récupérer les six petites minutes que me vole l'horloge quotidiennement, n'en valait pas la peine. Pas du tout. Je tiens trop à mon parquet. Et puis, quand je regarde l'heure sur mon portable après avoir jeté un œil à la pendule, j'ai l'agréable sensation d'avoir gagné six minutes. C'est plutôt jouissif.
Si je fronce les sourcils ce n'est donc pas parce qu'il est 20 h 08, heure locale de la table basse, 20 h 14, heure locale de mon salon et l'heure de mettre une pizza surgelée au four selon mon estomac. Non, je m'étonne tout simplement que Rose m'appelle à cette heure-ci. Normalement, chez mon amie, cela devrait être l'heure du bain, ou du gratin qui menace de brûler au four tandis que la petite se trompe pour la énième fois au même endroit en récitant sa poésie, ou bien encore l'heure à laquelle le grand se souvient qu'il a un exposé de sciences à rendre pour le lendemain matin. En aucun cas, le moment d'appeler sa copine Clémentine.
Un peu fébrile, je décroche en espérant furtivement qu'il ne soit rien arrivé de grave (peut-être que le gratin oublié au four a fini par mettre le feu à la maison ?)
— Clem ? Mets la 2 ! Tout de suite !
— Quoi ?
— Zappe sur la 2 ! Tu l'as fait ? Tu vois ce que je vois ?!
Surprise par l'excitation palpable de mon amie à l'autre bout du téléphone, je m'exécute et m'empare de la télécommande. Comme l'a deviné Rose, l'écran est déjà allumé. Même si je ne la regarde pas, j'allume toujours la télé en rentrant chez moi. Pour le bruit de fond.
— Mais qu'est ce qui se passe ? Je suis censée voir quoi exactement...
Je me tais. Je viens de zapper sur la 2.
J' ai une toute petite voix quand j'essaie de demander :
— Est-ce que c'est...
Toute excitée, Rose comprend que je vois la même chose qu'elle à l'écran et que comme elle, quelques instants plus tôt, j'ai du mal à en croire mes yeux.
— Oui, c'est lui ! Ils ont écrit son nom en dessous tout à l'heure ! Aurélien Dasc ! Et ils disent dans le reportage qu'il est devenu riche et célèbre outre-Atlantique ! Ton ex est devenu une star de la musique électro là-bas ! Et il va faire la première partie de David Epia !
Je m'effondre sur le canapé sans lâcher l'écran de mes yeux exorbités. Ma main tremblotante peine à tenir le portable près de mon oreille.
"Aurélien est dans la télé" comme dirait la cadette de Rose. C'est surréaliste. Loser3 a réussi. Je ne vais même plus pouvoir l'appeler comme ça à présent. A l'écran, un nouveau reportage sur le fromage de brebis a pris le relais (les infos ont apparemment le même sens des transitions improbables que ma mère). Dans mon oreille, Rose s'égosille toujours. Mais je n'écoute plus ce qu'elle dit. Devant mes yeux, ce n'est pas le troupeau de brebis à la télé que je vois défiler mais les deux mois que j'ai passés avec Loser3.
Tout avait commencé deux ans plus tôt.
Un bar. Une copine qui avait un rencard mais qui ne voulait pas y aller seule. Moi, incapable de lui dire non. Le rencard de la copine qui est venu accompagné lui aussi. La copine et le rencard qui s'ennuient fermes. L'autre et moi qui faisons connaissance.
Il n'avait pas de boulot fixe, il jouait du synthé et des platines dans des bars, des restos, des événements, au petit bonheur la chance. Il m'a parlé "lead", "basslines" et "séquenceurs". Quand il a dit "beat", j'ai pris peur (je ne suis pas très bonne en anglais). On a ri. J'aime bien rire. Puis, il a recommencé à me parler d'enceintes. Je l'ai embrassé. Un peu pour le faire taire. Beaucoup parce qu'il me faisait rire. Le rencard des autres étaient devenu le nôtre. Il me regardait avec fascination et appétit, l'air d'être l'homme le plus chanceux de la Terre. C'était touchant.
Deux mois plus tard, son regard ne me touchait plus. Ses mains non plus. Elles avaient bien trop à faire avec les touches de son clavier. Il disait que je l'inspirais. Du coup, il ne pouvait plus s'arrêter de composer. Il gueulait parce que j'avais déjà cette manie de laisser la télé en bruit de fond et que ça parasitait son "son" même avec son casque vissé sur les oreilles. Il se plaignait quand j'invitais des copines ou quand j'insistais pour qu'on sorte tous les deux. J'ai fini par lui dire qu'il était peut-être préférable qu'il sorte tout seul. De ma vie. Il a semblé tomber des nues comme si'l n'avait pas remarqué que notre relation s'était détériorée. Il a quitté mon appartement, l'air abattu, pour aller squatter chez-je-ne-sais-qui en promettant qu'il ferait une chanson de notre rupture. Je ne l'ai plus jamais revu.
Si ça se trouve, c'est cette même chanson qui a propulsé sa carrière !
Je me demande quel signe l'univers essaie de m'envoyer. Est-ce une manière de me faire comprendre que chacun a le droit à une seconde chance ? Que j'ai été trop dure avec Loser3 ? Que je dois remettre ma pendule à l'heure ?
A l'autre bout du fil, la voix de Rose me ramène à des considérations beaucoup plus terre à terre.
— Merde ! Mon gratin ! Faut que je te laisse !
18 commentaires
PIERRE SCHOTT
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Il y a 5 ans
Eva Sparkles
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Il y a 5 ans
Joanna Kheerly
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Sand Canavaggia
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Elsa Carat
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Il y a 5 ans