Fyctia

Un frisson me parcourt tandis que le souffle chaud d’Aaron glisse sur ma nuque. Les joues cramoisies, je me tourne pour lui faire face. Ma maladresse décide alors que c’est le moment parfait pour faire des siennes et je bute sur l’une mes valises. Si mes fesses ne font pas ami-ami avec sol, c’est uniquement parce qu’Aaron enroule son bras autour de ma taille et me ramène contre lui. Au comble de la gêne, je cherche à éviter son regard. Le rictus amusé que je croise sur ses lèvres ne manque pas de m’agacer.

— C’était moins une on dirait, trésor.

— Trésor ? Bébé ? À quoi tu joues ? murmuré-je, la mine toujours boudeuse.

Aaron me stabilise et nous place à une distance plus respectueuse l’un de l’autre.

— Je teste des surnoms, réplique-t-il à voix basse. Une préférence ?

— Cherche encore.

Un rictus se dessine sur ses lèvres et je me détourne, agacée. Emma et Ezra nous regardent comme si nous étions la plus grande distraction du siècle. Bon sang, on ne va même pas avoir le temps de monter dans l’avion qu’on va se faire griller. Je me racle la gorge et tente de faire diversion.

— On devrait peut-être aller enregistrer nos bagages ?

— Cal nous a demandé de l’attendre ici, me répond Ezra. Il a insisté, alors…

Emma lève les yeux au ciel et s’approche de moi, portable en main. Elle a répertorié des lieux qu’elle aimerait visiter une fois sur place et me les partage avec enthousiasme pendant qu’on attend les deux retardataires. Ezra commence presque à s’impatienter et fait des ronds autour de nous. Il extirpe son téléphone de sa poche afin de les appeler, je suppose, quand Aaron l’interrompt.

— Ils sont là.

Je redresse la tête et aperçois Cal qui se dirige vers nous de manière nonchalante. Si sa présence suffit à me déstabiliser, que devrais-je dire lorsque je remarque celle d’une jolie blonde accrochée à son bras ? Est-ce que c’est… ?

— Charlotte ?

Je ne suis pas la seule à être surprise. L’interrogation d’Ezra confirme cependant mes craintes sur l’identité de la personne qui s’avance vers nous, un sourire radieux sur le visage. C’est elle. Je ne l’ai vu qu’une fois de loin et je la reconnais pourtant sans la moindre difficulté. Son teint de poupée, ses yeux bleus étincelants, sa bouche peinte de rose et légèrement charnue, ses cheveux blonds coiffés dans un brushing parfait… Si Joyce la voyait, elle admettrait que c’est elle, la vraie Barbie et que je ne suis que la version Wish.

— En chair et os, oui ! ricane cette dernière en jouant des sourcils. Vous êtes pas contents de me voir ?

— Si, bien sûr que si ! la rassure Emma d’une voix douce. On est juste… Surpris ? Je ne pensais pas que tu accompagnerais Cal à l’aéroport !

Derrière eux, une voix féminine glousse. Je remarque alors Alex enlacé à une petite brune au teint hâlé et à la silhouette sulfureuse. Elle baragouine quelque chose en espagnol avant de tendre l’un de ses bagages à son petit ami. Qu’est-ce que c’est que ce cirque ?

— Hm, et bien… susurrent Charlotte d’un air énigmatique.

Un sourire mutin se dessine sur ses lèvres alors qu’elle ajoute :

— Il fallait bien que je l’accompagne, pourtant. Après tout, comment aurais-je pu me séparer si rapidement de mon fiancé ?

Indifférente à la stupeur ambiante, la petite… non, la future épouse de mon ex hurle de joie et sautille, agitant son annulaire gauche dans tous les sens. Lorsque mes amis remarquent enfin le bijou à son doigt, les embrassades se mêlent aux exclamations ravies. De mon côté, je reste coi. Je me moque que ces deux-là se fiancent. Ils peuvent bien faire ce qu’ils veulent. Ils ne se sont jamais gênés, de toute façon. Mais de là à l’annoncer devant moi ? Je n’aurai jamais droit à un minimum de respect ?

— Amelia, ça va ? me demande Aaron alors que je suis perdue dans mes pensées.

J’acquiesce sans grande conviction.

— Vous allez voir, ça va être incroyable ! pépie Charlotte à quelques pas de nous. La Playa Del Carmen est somptueuse et alors, la vue depuis les chambres ! Je suis tellement contente qu’on soit tous ensemble ! L’avion de papa n’attend plus que nous !

Hein, quoi ?

— Vous pouvez réexpliquer ce qu’il se passe pour ceux du fond, s’il vous plait ? demande Aaron en réponse à ma propre interrogation.

Charlotte glousse. Ce son est si adorable qu’il m’horripile.

— Après que Cal m’a fait sa demande, ce week-end, j’ai trouvé ça bête qu’on se quitte pour les deux semaines à venir. Du coup, j’ai passé quelques coups de fils et tadam ! J’ai tout modifié : l’hôtel, la formule, le transport… Et comme ça, Sofia et moi, on peut venir avec vous ! C’est merveilleux, pas vrai ?

Comprenant sans l’entendre que je n’ai plus rien à faire ici, je me racle la gorge.

— Je… Je vais vous laissez y aller, du coup… murmuré-je, la voix moins assurée que je ne l’aurais souhaité.

Un ricanement hautain s’échappe des lèvres de Cal.

— Tu vois, je te l’avais dit chérie. Je savais qu’elle ne viendrait pas si elle n’en était pas obligée.

Ses yeux se posent sur moi et je vois dans son regard qu’il me met au défi de le contredire. Pour toute réponse, je me contente de baisser la tête.

— En même temps on les prend tous au dépourvu ! s’exclame Charlotte, contrariée. Laisse-moi lui expliquer, tu veux ?

Sans attendre de réponse de sa part, elle se tourne vers moi. Son visage n’exprime rien d’autre que la bienveillance, même si j’ai dû mal à y croire. Ce n’est tellement pas l’image que j’ai d’elle.

— J’ai pris une chambre pour tout le monde, Lia. Aaron et toi, vous êtes plus que les bienvenus. Vous êtes mes invités.

Il me faut un moment pour réaliser ce qu’elle me dit. Une chambre pour chacun d’entre nous ? Ses invités ? Bon sang, ce n’est pas du tout ce qui était prévu ! Si j’ai accepté de venir, c’était parce que je n’avais aucune obligation de traîner avec Cal. Il n’a jamais été question de les accompagner dans une sorte de… De quoi, au juste ? Voyage prénuptial ? Là, tout de suite, je suis incapable de faire le tri dans le maelström d’émotions qui s’empare de moi. Qu’est-ce que je suis censée dire ? Qu’est-ce que je suis censée faire ? Je ne peux pas accepter ça après ce qu’ils m’ont fait. Ou peut-être que si ? Je ne sais pas, je…

Alors que je me sens au bord d’un précipice, une main s’empare de la mienne. Je redresse la tête et tombe sur le doux sourire d’Aaron. Je ferme les yeux, serrant sa main de toutes mes forces. Je me focalise sur sa présence, sur son soutien pour ne pas craquer. Je vaux mieux que ça. Après plusieurs minutes, je rouvre les yeux. Aaron hoche simplement la tête. Je comprends alors tout ce qu’il ne me dit pas : on peut y arriver. On peut très bien continuer à faire ça. Ensemble.

— Et bien, si tout est déjà prévu… murmuré-je, mon regard planté dans celui d’Aaron.

— Génial ! clame Charlotte, qui frappe dans ses mains, satisfaite

Dans quoi je viens de me fourrer là, exactement ?

Dans la merde, Lia. Je crois que tu viens de te fourrer dans la merde.