Fyctia

Le corps d’Aaron se détend et s’affaisse un peu plus contre le mien. Je recule d’un pas, gênée. Il est sur le point d’ajouter quelque chose lorsque les lumières se rallument. Surprise par leur intensité, je suis obligée de plisser les yeux le temps de m’habituer. L’instant qui s’était créé entre Aaron et moi est rompu par un dur retour à la réalité. La musique cède la place au vacarme des invités qui font entendre leur mécontentement.

— Désolé, désolé ! s’exclame celui que j’identifie désormais comme le principal organisateur de la soirée. Je sais que c’était sympa, mais… Si je vous dis que j’ai des prix à distribuer, vous me pardonnez ?

Des exclamations ravies se répandent et remplacent la déception initiale. Malgré ma défaite, on est quasiment sûrs d’avoir remporté un lot, alors avec Aaron on part à la recherche du reste de notre équipe. Il ne nous faut pas longtemps pour les trouver tous ensemble, à quelques pas de là. Ezra fait un clin d’œil à Aaron, avant que notre attention ne se reporte devant nous.

— On va y aller crescendo, OK ? Du coup, pour le lot de verres écoresponsables à l’effigie de l’Université, j’appelle l’équipe Chessmate !

La bande d’amis se lève de leur table et reçoit acclamations et railleries du reste de leur groupe. Je suppose qu’ils espéraient gagner autre chose que des verres en plastique, mais bon… L’important, c’est de participer, non ? La distribution des lots se poursuit et me donne l’impression d’assister à une tombola géante. Malgré notre défaite à la marche jumelée, Ezra et Aaron ont calculé que l’on devrait se trouver dans les premiers, je ne m’attends pas à ce que l’on soit appelé tout de suite. Mon attention décroche rapidement et plutôt que de regarder les autres récupérer leur prix, je me perds dans mes pensées. Je revois l’intégralité de cette étrange soirée défilée, cherchant comment j’ai pu passer de la simple volonté de retrouver mes amis à prétendre former un couple avec Aaron. Quand je vais raconter ça à Joyce… Il va falloir que j’enfile des bouchons d’oreilles si je ne veux pas perdre l’audition à cause de ses cris. Qu’il s’agisse du fait d’étriper mon ex ou celui du faux couple, d’ailleurs.

— Tu m’autorises… ?

Je sursaute à cause de la voix rauque d’Aaron qui se faufile au creux de mes oreilles. Il se tient juste derrière moi, son corps pratiquement pressé contre le mien. Je l’interroge du regard et il incline sa tête en direction d’Harper et Lucas, qui se font des messes basses en nous regardant. Je sens le malaise gonfler dans ma poitrine et acquiesce à l’intention de mon cavalier.

— Oui, oui, vas-y.

Aaron m’attire alors plus fermement contre lui et entoure ses bras autour de mes épaules. Je me réjouis qu’il reste dos à moi, car au moins, pour une fois, je n’ai pas trop de difficulté à lui cacher mon malaise.

— Et maintenant, le moment que vous attendez tous : l’annonce du podium ! À votre avis, quelle équipe remportera le voyage à Cancún ?

Je peux voir l’atmosphère se charger d’électricité. Emma et Ezra échangent un sourire qui témoigne de leur impatience. Mes épaules s’affaissent. Avec Cal, on a fini dernier pour la marche jumelée. À cause de ça, on va manquer la première place du classement et… Ce sera ma faute, une fois de plus. Je peux déjà entendre les sarcasmes de Cal résonner au fond de mon esprit. La nuque couverte de sueur, j’ai hâte que l’animateur en ait fini. Je sens le poids écrasant de cette soirée s’abattre sur les épaules et je suis soudain épuisée. Je ressens le besoin de regagner ma forteresse et de me cacher sous mon lit afin de ne plus parler à personne pour le reste du weekend. Les joies de l’anxiété sociale…

Tu vois que tu souffres d’ermitisme aigu !

Hilarant…

— … Et la troisième place revient à… L’équipe des Thunderbolts !!

Des applaudissements éclatent dans la salle alors que l’équipe concernée pousse des cris de joie. Je les regarde s’avancer pour récupérer leur lot, un panier rempli d’objets high-tech. Mon cœur tambourine dans ma poitrine à l’idée que le nom de notre équipe soit le prochain.

— Et pour la deuxième place… annonce l’animateur en balayant la salle du regard.

Son effet de suspens commence à m’agacer. Il joue encore avec nos nerfs avant d’entonner dans son micro :

— Les Silver sharks !

Alors que je contemple la salle d’un air vague, mon groupe d’amis se met à hurler de joie. J’entends Harper se lamenter, Cal et Alex se réjouir pour les soirées à venir, je vois Emma et Ezra s’embrasser. Moi, je crois que je suis en train de réinitialiser intégralement mon système. Est-ce que ça veut dire qu’on a… Qu’on a…

— Oui, oui, vous l’aurez compris, les grands gagnants de nos jeux universitaires sont donc bel et bien les Red crew !

On a gagné ?

Les cris explosent tout autour de nous. Alors que je reste interdite, incapable de réaliser, Emma vient me serrer dans ses bras. Mais comment c’est possible ? On a perdu une épreuve, non ?

— Bon, finalement, tu n’auras pas tout gâché. Hein, Lia !

Alex lève les mains pour que je lui en tape 5 et je m’exécute comme un robot. On a gagné. On a bel et bien gagné…

— Ça va faire tellement de bien de prendre un peu de vacances, soupir Ezra.

— C’est pas juste, ronchonne Harper. Moi aussi j’ai envie de me dorer la pilule au soleil pendant deux semaines.

Deux semaines. DEUX SEMAINES ?! Il faut vraiment que je trouve cette maudite caméra cachée, parce que cette soirée commence vraiment à me taper sur les nerfs !

— Amelia, tout va bien ?

La voix d’Aaron, qui habituellement suffit à me ramener au calme, ne parvient pas à apaiser la tornade qui s’abat sur mon esprit. Deux semaines. Ils s’attendent à ce que je parte en vacances avec eux pendant deux semaines ? Ils ont tous perdu l’esprit. Ça va beaucoup trop vite, c’est impossible, c’est…

— Eh, Amelia… ?

— C’est hors de question.

Aaron sursaute face à la dureté de mon intonation.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? nous demande Ezra.

— Je ne peux pas venir, murmuré-je.

— Quoi ? m’interroge Anna.

— Je ne peux pas venir, répété-je, plus fort cette fois.

— Je te demande pardon ?

Cette fois, c’est Cal qui me pose cette question. Son visage est froid, dur. Ses yeux me fixent avec une telle hostilité qu’ils me foudroieraient sur place, s’ils en étaient capables. C’est tout ce qu’il me fallait pour me convaincre que je fais le bon choix. Inspirant un grand coup, j’affirme d’une voix forte :

— Je n’irai pas.