Fyctia

Aaron et moi slalomons parmi la foule pour rejoindre l’autre côté de la pièce. Tous les invités convergent dans cette direction et je profite du fait que l’on piétine pour répondre à Joyce, avant qu’elle ne décide d’envoyer le GIGN ou pire, de débarquer.

• Moi : Officiellement, bleu pervenche…
• Midge : Et officieusement ?

Je me mords la lèvre inférieure. Quand on a réfléchi à notre code de sécurité, il y a une boisson, que l’on déteste toutes les deux, que l’on a décidé d’attribuer aux urgences les plus extrêmes.

• Moi : Un énorme Mojito. Cal est là.
• Midge : OMG 😱 un mot, un seul, et je débarque avec un lance-flamme OK poupée ?
• Moi : Pitié, j’accepte tout, sauf poupée…
• Midge : 😘

Je pouffe et laisse l’ombre d’un sourire traîner sur mes lèvres. Mais ma joie n’est que de courte durée, car mon regard se heurte à la présence de Cal à quelques pas de nous. Il est conscient de l’effet qu’il a conservé sur moi et s’en amuse, un rictus déformant son visage. Un frisson désagréable glisse sur mes bras nus. Je me sens oppressée, alors je me rapproche un peu de mon cavalier.

— LIAAAAAAA !

Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui se passe, qu’une tornade blonde s’abat sur moi manque de me faire tomber. C’est ce qui se serait passé, si Aaron ne se tenait pas juste derrière

— Tu sais que, je ne les ai pas crus, hein ? Ils n’ont pas arrêté de dire que tu venais, mais je les ai pas crus !

Je sens les larmes d’Harper inonder mon épaule et quand elle recule, je constate que l’émotion s’échappe bel et bien de ses yeux. Ma gorge se serre et mon champ de vision se trouble, lui aussi. En tant que petites amies officielles de deux joueurs de l’équipe, on s’est rencontrées sur les bancs du terrain de basket, avant de rapidement devenir inséparables. Maintenant, je me contente de répondre vaguement aux SMS d’Harper, qui persiste pour avoir de mes nouvelles.

— Tu m’as tellement manqué, sanglote-t-elle en cherchant un mouchoir dans son sac.

— Toi aussi, Happy.

Quand elle entend son surnom, ses larmes coulent de plus belle et je suis un peu décontenancée par sa réaction. Enfin, au départ. Il me suffit d’observer sa silhouette un peu plus en détail pour tomber sur son ventre rebondi. Je ne suis donc pas totalement à l’origine du maelström de sentiments qui la traverse.

— Oh, mon dieu, Harper, félicitations !

Je la prends à nouveau dans mes bras, émue. C’est à ce moment que Lucas, son petit-ami — ou devrais-je dire, son compagnon, maintenant ? — apparait derrière elle. Il constate l’ampleur des dégâts et m’adresse une mine confuse.

— Salut, Lia. Excuse Harper, en ce moment, elle…

— Si tu reproches quoique ce soit à mes hormones, je te plante avec mon Epipen ! s’écrie-t-elle, furieuse.

Lucas lève les bras en signe de reddition.

— D’ailleurs faut qu’on parle, Lili !

La dureté de son ton contraste avec la chaleur de ses embrassades et je me raidis. Bon sang. Ça y est. Je ne peux plus reculer. Elle va me demander ce qu’il s’est passé et je n’ai trouvé aucune réponse cohérente à leur fournir. Je dois… Je vais…

— Pourquoi tu ne m’as pas parlé d’Aaron ! m’accuse-t-elle, son ongle parfaitement manucuré pointé dans ma direction.

— Qu-quoi ?

Je la regarde d’un air tellement ahuri que je dois ressembler à un personnage idiot de dessin animé.

— Oh, eh, fait pas l’innocente ! C’est super, hein, mais tu aurais pu me prévenir ! Bon, tu ne me préviens pas de grand-chose ces derniers temps, mais… Je pensais qu’on était amie, tu vois ?

Ses larmes coulent de nouveau et elle baragouine quelque chose d’intelligible. Moi, les bras me tombent. Qu’est-ce qu’elle s’est imaginée ?

— Tu n’y es pas du tout, Happy ! Aaron et moi, ça fait juste une semaine qu’on…

— Une semaine ?! me coupe-t-elle

Les yeux écarquillés, elle prend conscience de ce que je lui dis, ou plutôt, elle l’interprète à sa manière. Je vois le moment où son regard s’assombrit juste avant qu’elle ne se détourne. Quand elle trouve mon ex et son meilleur ami, ses prunelles marron lancent des éclairs.

— Ah, mais c’est tout ! C’est normal, alors !

— Non, mais attends ! On n’est pas… On ne… bredouillé-je

— C’est bon, Lili, t’inquiètes. J’ai compris ! Prenez votre temps !

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase, car elle et Lucas s’éloignent sans m’écouter. Je la vois se diriger vers Cal et Alex, contrariée. Il faut que je lui parle, parce qu’elle n’a rien compris du tout, en fait. Aaron est certes mon cavalier ce soir, mais en tant qu’ami, rien de plus ! Je l’observe et me frotte les bras, guettant une ouverture pour aller vers elle. Je sens alors quelque chose se poser sur mes épaules. Je tourne la tête, et mon regard tombe sur des yeux verts pétillant de douceur. Je pique instantanément un fard.

— T’avais l’air d’avoir froid, me souffle Aaron.

— Froid ? m’étonné-je. Non, pas du tout.

Je fais mine de la retirer, mais il secoue la tête.

— Ça va. Garde là autant que nécessaire, Amelia.

Boom. Boom. Boom.

Est-ce que c’est normal de sentir son cœur battre jusque dans ses tempes ? Pas vraiment, je suppose. Mais je crois que ça fait une tellement longtemps que l’on n’a pas fait preuve de gentillesse envers moi que je suis capable de faire une montagne de la plus petite des attentions. Pathétique.

— Oh, regarde comme ils sont mignons… couine Harper d’un peu plus loin.

— Mignons ? réplique Alex. Je trouve ça un peu… bizarre, moi.

— Pourquoi ce serait bizarre ? demande Harper, les yeux plissés.

C’est pratique parce que, je me pose exactement la même question. Je ne sais pas si Aaron s’est déjà montré si galant envers moi, mais on a toujours été amis ?

— Bah, je sais pas, avant elle était avec…

— Alex, laisse-les tranquille, tu veux ?

La voix de Cal sonne comme un avertissement, cette fois. Alex marmonne encore quelque chose à propos de la bienveillance de mon ex et je fronce les sourcils. Pourquoi est-ce qu’il loue à ce point son attitude ? Attendez, il ne croit tout de même pas lui aussi que je sors avec Aaron, quand même ?

— Non, mais je rêve ! s’exclame Ezra qui revient vers nous.

Aaron secoue frénétiquement la tête et fait des signes à l’intention de son ami. Je crois qu’il essaie de lui faire passer un message. La communication mentale me parait coupée, en revanche, car il poursuit :

— T’es quel genre de frère pour me cacher un truc pareil !

— Ezra…

— Sans déconner, mec ! Je me serais attendu à ce que tu m’appelles dans la seconde…

— Ezra attend…

— Va falloir qu’on discute, tous les trois ! J’ai des TAS d’anecdotes à raconter, maintenant que…

— BORDEL, EZRA !

Notre ami sursaute et cesse enfin son monologue incompréhensible. Aaron se penche à son oreille et lui souffle quelque chose, ce qui ne fait qu’élargir la stupeur du premier. S’en suit un échange de messes basses et d’œillades lancées dans ma direction, avant qu’il n’éclate de rire.

— Mec, t’es complètement taré.

Et là, comme ça, il rejoint Emma qui discute un peu plus loin, son hilarité loin d’être retombée. On pourrait m’expliquer quelle mouche les a piqués, ce soir ?