Fyctia
6.1
— Deal ?
— Deal.
— Donc, moi, ta meilleure amie, je me prends un râteau complet accompagné d’une demi-explication, s’insurge Joyceline, et un mec à qui t’as à peine dit bonjour ces cinq dernières années tu lui dis deal ?
Je fuis son regard accusateur, lui préférant la mayonnaise qui s’écoule de mon bagel au poulet.
— Il avait des arguments que tu n’avais pas… bredouillé-je.
— Barbie ! Quelle coquine !
Je relève la tête si vite que ma nuque craque dans un bruit sourd. Sans m’attarder sur la douleur, je scrute les tables voisines, paniquée. J’ai fait quoi pour avoir une amie aussi peu discrète, sérieusement ?
Moi, je dirais que c’est une question de karma, mais tu vas encore m’envoyer balader…
Toi, tu te tais.
Qu’est-ce que je disais ?
Un grognement de frustration franchit la barrière de mes lèvres. Joyce doit le prendre pour elle, car elle réplique.
— Ça va petit dragon, je plaisante ! Fais pas non plus comme si t’avais jamais été intéressée par le loup…
— Midge, ça suffit ! sifflé-je
Elle glousse, et je m’enfonce dans mon siège, rouge de honte. Après avoir quitté Aaron, vendredi, je l’ai retrouvée tellement éméchée qu’il était impossible de lui raconter quoique ce soit. Ensuite, j’ai passé le week-end à ressasser la bourde que je venais de commettre sans l’assumer. Du coup, je n’arrivais pas à me décider entre lui confier ou ignorer tout ça jusqu’à ce que ça disparaisse comme par enchantement. C’était sans compter sur son sixième sens, en ce qui me concerne. J’ai tout juste eu le temps de lui tendre sa boisson que ses yeux m’ont passé au détecteur et lamentablement percée à jour. Tout ce que j’ai réussi à faire, c’est repousser la discussion jusqu’au moment de la pause déjeuner, m’éclipsant pour mes rendez-vous. J’aurais dû prévoir qu’un public ne l’empêcherait pas de m’embarrasser.
— Donc, si j’ai bien compris, vous y allez ensemble ? me demande-t-elle en se grattant le menton, énigmatique
— Il va passer me chercher, oui. acquiescé-je
La joie qui éclaire son visage rivalise avec la lumière des vitrines pendant les fêtes de Noël.
— Intéressant…
— Qu’est-ce qu’il y a d’intéressant ? demandé-je les sourcils froncés, avant de comprendre la direction que prennent ses pensées. J’en crache l’eau que je suis en train de boire. Tu te fais des idées, Midge. Aaron est un ami.
— C’est ce qu’elles disent toutes en début de roman ! Et puis, après…
Son sourire se fait rêveur et elle porte sa boisson à ses lèvres d’un air absent. Je contemple ses niaiseries et lève les yeux au ciel, tout en mordant à nouveau dans mon bagel. Joyceline adore comparer nos vies à des romans d’amour. Je crois qu’elle en lit beaucoup trop et qu’elle en perd un peu la notion de la réalité. Là, on frise quand même le ridicule. Aaron est son ami, et on ne sort pas avec l’ami de son ex.
Oui, enfin, ça l’a pas gêné de te tromper. Alors, tes scrupules…
Je m’apprête à partir dans une bataille avec mon esprit quand mon portable vibre sur la table. Je l’attrape afin de consulter mes messages, tombant sur l’heure. Mes yeux s’écarquillent.
— Merde ! Je suis à la bourre !
— T’as un rendez-vous ?
— Non, non, mais je dois rejoindre Isobel du côté de DUMBO…
— Wow, la vache ! À quelle heure ?
— 14 h 30 !
— Mais il est 13 h 57 !
Je la fusille du regard, lui faisant comprendre qu’elle vient d’enfoncer une porte ouverte. Quand je me lève, ma chaise crisse sur le carrelage du café en guise de protestation. Je fouille à l’intérieur de mon sac à la recherche de mon maudit portefeuille, Joyceline pose sa main sur la mienne.
— On s’en fou de ça, Lia. Tu paieras toi la prochaine fois !
— T’es sûre ?
— Bah oui, bécasse. File !
— Merci, Midge !
Après avoir enfilé ma veste, j’enroule mon écharpe autour de mon cou et me précipite à l’extérieur en quête d’un taxi. Par chance, un chauffeur en stationnement devant le café de me prendre en course. Je lui indique l’adresse où je dois me rendre et quand il démarre, je respire enfin. Mon sort — enfin, ma ponctualité, plutôt — est désormais entre les mains de la circulation. Je m’effondre sur la banquette arrière, dont le cuir gémit sous mon poids. J’envoie un SMS à Isobel pour la prévenir de mon potentiel retard et m’apprête à ranger mon téléphone quand il vibre à nouveau.
Mon cœur cogne dans ma poitrine et j’ai l’impression de manquer d’air. Je n’arrive pas à croire que j’ai cédé aussi facilement. Enfin, si, je le crois, parce que dans le fond je sais ce qu’il s’est passé. Apprendre l’absence de Cal a provoqué en moi un sentiment de libération. Comme si, d’un coup de baguette magique, j’étais capable de reprendre le cours de ma vie, de faire comme s’il n’avait jamais existé. Sauf que c’est moi qui l’ai explosée. Bon sang, on trainait tout le temps ensemble, avant ! Je nous revois rire pour tout, mais surtout pour rien. Danser jusqu’au bout de la nuit. Boire plus que de raisons… Un sourire naît malgré moi à mesure que les souvenirs m’assaillent. Ils me manquent tellement. Ezra, Nate, Lucas, Harper, Aaron… Pourquoi est-ce que je m’interdis tout ça ? Pourquoi est-ce que je laisse à Cal le pouvoir de…
Mon sourire se fane. Mes yeux menacent de céder face au poids des larmes. Car derrière chaque rire, chaque moment de joie se cache une dispute. Une sortie sans son autorisation. Une tenue inappropriée. Une parole de travers que j’aurais prononcé devant les autres… Combien de fois m’a-t-il rappelé que la joie que j’avais éprouvée n’était qu’une douce illusion ? À chaque fois, sans doute.
Bordel, je suis pathétique. Tout comme je suis idiote de croire qu’ils auront tous la bienveillance d’Aaron et m’accueilleront à bras ouverts après cinq années de quasi-silence radio. Sans parler du fait qu’ils sont en droit de me détester — je l’ai mérité, après tout — comment les empêcher de me questionner ? Avec l’adrénaline, ça ne m’a même pas effleuré l’esprit sur le moment. Mais depuis samedi, cette fatalité tourne inlassablement dans ma tête. Et qu’est-ce que je vais pouvoir leur répondre, au juste ? Aucune idée…
Alors que je sors du taxi et règle le chauffeur, une vague d’incertitude s’abat sur moi aussi violemment que le froid. Je presse le pas jusqu’à l’immeuble où ma collègue m’attend, désireuse de laisser mes problèmes à l’écart. Quand je m’engouffre dans le hall, les mêmes questions tournent en boucle dans ma tête : suis-je encore à temps, pour tout annuler ? Si je le fais, est-ce qu’ils sauront me le pardonner ? Dans le cas contraire, ai-je la force de tirer une croix définitive sur notre amitié ?
88 commentaires
maddyyds
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Il y a 3 mois
QuinnDevis
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Il y a 4 mois
Lunedelivre
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Il y a 4 mois
Cara Loventi
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Il y a 3 mois
Juderaa_
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Il y a 4 mois
sulanatuuu
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Il y a 4 mois
melinegllrd
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Il y a 4 mois
Lunedelivre
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Il y a 4 mois
Ady Regan
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Il y a 4 mois
Lunedelivre
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Il y a 4 mois