Fyctia
4.1
J’ai changé d’avis. En fait, Joyceline Cooper est un monstre. Une sorcière de la pire espèce.
— Je te D-É-T-E-S-T-E, j’articule du bout des lèvres, juste pour elle, alors que le chauffeur se gare sur Gasevoort Street.
Elle se penche pour payer le trajet tout en balayant ma remarque avec désinvolture.
— Je sais que tu mens.
— Non, pas cette fois, insisté-je, les bras croisés sur ma poitrine.
On quitte la voiture, nos pas résonnant sur le pavé. Les anciennes usines du Meatpacking District ont presque toutes été reconverties, soit en galeries d’art, soit en clubs branchés. Le métal des bâtisses se mêle aux briques rouges de la vieille ville. Les néons suspendus aux devantures des établissements déversent un amas de couleur sur le trottoir. L’ambiance ici est électrique. L’agitation de la fête se répercute dans toute la rue, au rythme des musiques qui nous parviennent depuis les différents bâtiments. Sur le trottoir d’en face, le Mahoney Club est inratable, avec ses portes vitrées qui laissent entrevoir les silhouettes dansantes à l’intérieur. Surexcitée, ma meilleure amie m’attrape par la main et m’entraîne vers la foule immense qui se presse à l’entrée du club. Assaillie par les parfums qui flottent dans l’air, j’entends les rires des uns et l’agacement des autres. Je presse la main de mon amie pour qu’elle m’accorde son attention.
— T’es sûre qu’on va pouvoir rentrer ? je la questionne, la voix aussi tremblante que mes jambes.
— Depuis quand tu me fais pas confiance ? Suis-moi, tu pourras bientôt te réchauffer !
Oh, elle croit que j’ai froid, c’est mignon.
Elle extirpe son téléphone de sa pochette clinquante et pianote dessus tout en s’avançant vers l’entrée. Les gens que l’on double dans la file nous toisent d’un air mauvais. Près des portes, un videur dissuade sans difficulté ceux qui ne sont pas autorisés à rentrer de contester sa décision. En même temps, entre sa carrure et sa mine renfrognée, je n’ai pas l’intention de la ramener moi non plus. Quand il nous voit débarquer, il fronce les sourcils et s’apprête sans doute à nous rembarrer. Je resserre mon manteau contre moi, prête à repartir en arrière afin de faire la queue, comme tout le monde, mais Joyce me devance, dégainant son arme secrète :
— On est avec Allison Phillips.
La masse de muscles parcourt l’écran de son téléphone du regard avant de hocher la tête à l’intention de son collègue. Celui-ci décroche le cordon de sécurité et nous fait signe de passer, sans qu’aucun des deux n’ait prononcé le moindre mot. Mes yeux s’écarquillent. C’est donc ça d’être suivie par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux ? Dans le hall d’entrée, le son de la musique s’estompe, nous laissant savourer la chaleur ambiante. J’observe les murs en bois sombre rehaussés par des touches de laiton doré. Au plafond, un énorme lustre fait de globes en verre soufflé diffuse une lueur douce et chaude. Alors qu’on s’avance jusqu’au vestiaire, sur notre droite, le carrelage noir brillant nous renvoie notre reflet de manière distendue, presque hypnotique. Une hôtesse nous sourit chaleureusement avant de prendre nos manteaux et de nous tendre un bon pour pouvoir les récupérer. Un frisson hérisse les poils de mes bras, désormais nus. Je déteste Joyceline. Mais je me déteste encore plus pour ne pas avoir su dire non. Pour l’avoir laissé m’affubler de cet accoutrement. Bon, je suis peut-être un peu sévère, mais je ne me sens pas à l’aise dans cette robe. Je n’ai rien contre mes formes, mais je préfère les sublimer avec des matières fluides et vaporeuses plutôt que les engoncer dans un tissu moulant. Cette tenue n’est pas moche, juste trop courte, trop près du corps, trop…
Ouais, t’aimes pas quoi. C’est pas compliqué de le dire…
Tu ne pouvais pas rester à la maison, toi, sérieusement ?
Pour le meilleur comme pour le pire ma chérie, je t’avais jamais dit ?
— Barbie, tu viens ?
Je me mords la lèvre inférieure et glisse un regard vers ma tenue.
— T’es parfaite, je t’assure ! Les mecs vont tomber raides dingues !
Pfff, comme si j’étais intéressée par le fait de… attendez, quoi ?
— Comment ça, les mecs ?
Mais bien sûr, ma meilleure amie ne prend même pas la peine de répondre et pousse la porte, dernier rempart entre nous et l’antre de Satan. La musique reprend immédiatement ses droits, les enceintes diffusant de la pop remixée. Plongées dans l’obscurité du bar on parvient tout de même, grâce à des appliques disséminées ça et là, à distinguer l’atmosphère chic du lieu. Des tables sont disposées un peu partout, mais il y a tellement de monde que je peine à comprendre l’harmonie de la pièce. L’air est imprégné d’odeurs de tabacs froids mêlé à de l’agrume fraîchement pressé. Au moins, les cocktails ont l’air d’être faits maison. Cela dit, j’ai beau scanner la pièce du regard, je ne vois pas une seule table de libre. Je savais que j’aurai dû mettre de plus petits talons…
Joyce écrit encore sur son téléphone avant de lever la tête, sans doute à la recherche d’Allison. J’en profite pour tenter de lui tirer à nouveau les vers du nez :
— Midge, de quels garçons tu parles ?
Elle me pointe son oreille avec la main, comme si la musique l’empêchait de m’entendre. Un grognement de frustration s’échappe de ma gorge quand elle me tire par le bras pour m’entrainer vers l'espace VIP. Je m’apprête à protester une fois de plus, mais une voix joyeuse nous interrompt :
— Saluuuuut !
Vêtue d’une robe argentée qui s’accorde à merveille avec son teint, Allison Phillips en personne se redresse, ses longs cheveux bruns, presque noirs, tombant en cascade dans le creux de son dos. Me prenant de court, elle vient m’enlacer avec une familiarité inattendue. Un peu gauche, je lui rends tout de même son étreinte. Un doux parfum de rose fraîche et de musc se dégage de sa peau. Je ne l’avais encore jamais rencontrée en personne, mais je dois bien admettre qu’elle est même encore plus époustouflante, en vrai. Comme quoi, les photos d’Instragram ne font pas que mentir ! Quand elle s’approche de Joyce, la malice brille son regard. Je fronce les sourcils. Ça sent pas bon, ça, non ?
— Eh ! Et nous, alors ? Tu nous présentes pas ?
Mon regard se porte vers la table et je me rends compte que nous ne sommes pas juste toutes les trois. Deux hommes, plutôt bruns, si j’en crois la luminosité, sont également installés sur les canapés en cuir de couleur taupe et nous adressent des sourires amicaux.
— Rohan, Mike, je vous présente Lia, ma collègue et meilleure amie…
Je leur adresse un petit signe de la main, tanguant sur mes pieds. Dieu, que je hais cette robe. Au moins, je ne suis pas trop mal maquillée. Et puis de toute façon, je ne suis pas là pour ça. Ce sont des amis de Joyceline. On va s’asseoir et discuter autour d’un verre, c’est tout. Ce n’est pas que si j’avais l’intention de dra…
— … Et qui est, au cas où vous poseriez la question, complètement célibataire !
Elle plaisante, j’espère ?
49 commentaires
Leila.Jamsin
-
Il y a 4 mois
Lunedelivre
-
Il y a 4 mois
Ady Regan
-
Il y a 4 mois
Lunedelivre
-
Il y a 4 mois
Syteraa
-
Il y a 4 mois
math_et_ses_books
-
Il y a 4 mois
melinegllrd
-
Il y a 4 mois
Manon Lys
-
Il y a 4 mois
Juderaa_
-
Il y a 4 mois
Juderaa_
-
Il y a 4 mois