Lunedelivre Séduis-moi, si tu peux 3.2

3.2

Je zappe un long moment entre les différentes plateformes de streaming, le regard fixé sur l’écran, mais l’esprit ailleurs. Plus je fais défiler les options, moins j’ai envie de visionner quoi que ce soit. Ce n’est pas pour faire ma vieille chouette — enfin, peut-être un peu, quand même — mais avant, il suffisait de choisir un DVD parmi les quelques titres qu’on possédait. Maintenant, on se noie sous les centaines de possibilités sans jamais réussir à en sélectionner une seule. Agacée, je lance la télécommande sur la table basse et me redresse d’un bond, chassant Pillow malgré lui. Il rejoint son panier avec l’élégance d’un prince en exil, et je pourrais jurer qu’il me toise avec dédain. Je lui offre une mine contrite qu’il ignore en se roulant en boule. Ce chat n’a définitivement pas signé pour m’aider à gérer mes états d’âme.

En même temps, PERSONNE n’a signé pour ça, Lia.

Tu pourrais au moins faire genre, par esprit d’équipe ?

Déjà que je suis coincée dans ta tête, faut pas déconner.

Le grognement qui s’échappe de ma gorge accompagne mon pas traînant jusque dans ma bibliothèque. C’est sans doute la pièce que je préfère dans mon appartement. Spacieuse, décorée dans des tons de blanc et de rose, elle est jonchée d’étagères débordantes de livres. De plantes l’égaie ça et là, et ma coiffeuse vient achever le tout, réunissant toutes mes passions dans un seul et même endroit.

J’attrape ma lecture en cours, une histoire à l’eau de rose à propos d’une fille qui, suite au décès de ses parents, quitte New York pour rejoindre une bourgade oubliée des côtes françaises. Elle y rencontre un homme un tantinet grognon et porté sur les maillets, entre autres. Perchée sur mon fauteuil suspendu, le livre a le mérite de m’accaparer l’esprit pendant une bonne heure, durant laquelle je tombe sous le charme du personnage masculin grâce au talent de l’autrice. Les hommes ne sont spectaculaires que lorsqu’ils sont écrits par des femmes, de toute façon. Je ferme mon bouquin et me passe les mains sur le visage, dépitée. Cette dernière réflexion m’a ramenée à mon point de départ. J’en ai assez de tourner en rond, de sans cesse revenir à cet homme qui ne se rappelle sans doute plus que j’existe…

Quand j’ai vu Cal pour la première fois, nous étions adolescents et inscrits dans le même lycée. Tout chez lui, brillait : ses cheveux blonds où se reflétait la lumière. Ses yeux d’un bleu presque gris. Son sourire insolent qui semblait tout promettre, sans jamais rien donner. Il irradiait une sorte d’aura et moi, j’étais un petit papillon naïf qui gravitait autour de lui, fasciné. Je l’ai observé pendant des années sans oser l’approcher. Peut-être avais-je conscience que je finirais par me brûler les ailes ? Et puis, de toute façon, il ne m’avait jamais remarqué. Jusqu’au jour où c’est arrivé. Nous étions étudiants au sein de la même université et il a surgi de nulle part pour m’inviter à sortir. Je me suis littéralement liquéfiée à son contact et ça a signé le début, mais aussi la fin du conte de fées. On est resté quatre ans ensemble. Quatre années durant lesquelles il s’est appliqué à gratter l’épaisse couche de perfection dont je l’avais recouvert. Malgré tout, j’étais tellement aveuglée que j’ai refusé de voir tous les défauts de notre relation, y compris son infidélité. Je ne suis jamais autant tombée des nues que lorsque j’ai appris sa liaison avec Charlotte Brown. J’aurais pu, faire une scène, demander des comptes, lui hurler dessus. Mais j’étais comme un poisson arraché à l’eau puis jeté à même le trottoir. Du coup, je n’ai rien dit. À quoi bon ? Elle est la fille du sénateur pour qui il travaille et moi, je suis… Eh bien… Moi, et rien d’autre. On s’est donc quittés sans un mot, sans une excuse de sa part. Pourquoi diable s’excuserait-il ? Après tout, il l’a si bien dit lui-même face à mon visage déformé par les larmes :

C’est mieux comme ça, Amelia.

Depuis, je navigue sur un bateau dont on m’a nommé capitaine sans me fournir le manuel de bord. Je n’irai pas jusqu’à considérer que je suis complètement détruite. Sous la pression de mes parents, j’ai pris contact avec une psychologue. Mais, force est d’admettre j’ai toujours des séquelles. C’est pour ça que j’ai décidé de couper les ponts avec notre groupe d’amis. C’est pour ça que je l’évite comme la peste. Je ne suis pas une ermite, je me protège, c’est tout. Dans ce contexte, il est clair que le mail que j’ai reçu mardi de la part de la NYU m’a ébranlé. Parce qu’il m’a rappelé à quel point je suis seule. Que tous ceux qui me manquent sont avant tout ses amis et non le mien. Il est parti avec mon coeur, certes, mais aussi avec ma confiance en moi et le reste de ma vie sociale. Quand il m’a quitté, je n’avais plus rien.

Je ricane, amère. Je sais que, dans le fond je suis ingrate car je suis loin d’être à plaindre. J’ai un toit sur la tête. Un réfrigérateur rempli. Mais c’est difficile d’être rationnelle quand une personne a passé son temps à nous rabaisser, avant de nous jeter comme une vieille chaussette. Ça laisse des traces, y compris des années plus tard.

Je cligne des yeux, surprise par l’obscurité ambiante. Je ne me suis même pas rendu compte que la nuit était tombée, et que je suis désormais plongée dans le noir. Les lueurs nocturnes de la ville s’infiltrent à travers la fenêtre, offrant à la pièce des reflets jaune, vert et rouge. J’aime tellement cette ambiance que je suis un instant tentée de rester comme ça, mais je secoue la tête. C’est trop déprimant, et j’ai déjà laissé bien trop de place à l’amertume cette semaine. Il est grand temps que je me mette un coup de pied dans le derrière. C’est pourquoi après avoir actionné l’interrupteur, je prends la direction de mon salon, bien décidée à me préparer un bon petit plat, que je dégusterai devant un film, le tout accompagné d’une montagne de chocolat, car, c’est bien connu. Il n’y a pas de chagrin d’amour que le cacao ne sache réconforter.

Je suis à mi-chemin entre la cuisine et mon entrée quand des coups retentissent à travers la porte. Je fronce les sourcils. Je n’attends personne, alors je ne vois pas qui ça peut-être, surtout à cette heure-ci. À moins que Zac ait besoin de quelque chose ? Mais quand je regarde à travers le judas, ce n’est pas mon voisin qui se tient sur mon palier.

— Surpriiiiiise !

Vêtue d’un pyjama pilou-pilou aussi affreux que confortable, Joyce déboule dans mon salon et l’anime instantanément. Elle a les bras chargés de paquets dont j’ignore le contenu, mais qu’elle brandit comme le plus précieux des trésors.

— Je me suis dit que ce serait sympa de regarder les Bridgerton, ça fait longtemps, non ? Alors j’ai fait quelques courses et…

— Qu’est-ce que tu fais ici, Joyceline ?

Mon ton n’est pas accusateur, simplement curieux. Elle pose sur moi un regard empli de tendresse

— Rien. Je me suis dit qu’il serait bon de célébrer l’amitié entre Midge et Barbie.

C’est dans des moments comme ça que je comprends qu’en réalité, je ne suis pas si seule.

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128

128 commentaires

maddyyds

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Il y a 3 mois

Ma passion pour les phrases de fin et la tienne là, wow 🤧

Lunedelivre

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Il y a 3 mois

Maiiiis !

Manonst

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Il y a 4 mois

J’ai beaucoup apprécié ce chapitre, Lia parle petit à petit de ce qu’elle a traversé. Ça nous intrigue, on veut en savoir plus sur ce passé, car finalement, couper les ponts comme ça, ça cache beaucoup de choses ! Et j’adore définitivement Djoyceline ♥️

Lunedelivre

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Il y a 4 mois

Ptdr Djoyceline 🤣 Merci beaucoup pour ton retour ça me fait tellement plaisir que mon texte réussie à faire ressentir des choses et donne envie 🥹

TammyCN

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Il y a 4 mois

Son ex est égocentrique quoi 🤣

QuinnDevis

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Il y a 4 mois

C'est cool d'en savoir plus sur la rupture avec son ex... Je m'étais imaginer quelque chose de bien pire, j'avoue 😅 La façon dont elle prenait les choses à cœur, je me disait que ça ne pouvais pas être pour une simple infidélité... Après chacun réagit différemment aux évènements et c'est ton histoire. Puis ça va bien avec le personnage, Lia à l'air d'être "fragile".

Lunedelivre

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Il y a 4 mois

Il n’y a pas que l’infidélité ! Il y a aussi beaucoup de chose mais c’est un pov interne et il faut que Lia accepte de mettre les mots dessus 👀

QuinnDevis

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Il y a 4 mois

D'accord, je comprends. Le faite qu'elle consulte un psychologue n'a pas du beaucoup l'aider alors...

Lunedelivre

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Il y a 4 mois

Oh euh, ou c’est un début d’histoire et le personnage doit évoluer au cours de l’intrigue ? Ca sonnait comme ça dans ma tête mais après réussir à le retranscrire au lecteur c’est toujours un art compliqué !

Scriptosunny

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Il y a 4 mois

Joycelyne est une super amie. Lia n'est pas tombée sur le bon "homme" (il l'a trompé, pas sûre que ça soit vraiment un homme haha) et avait l'air déjà fragile avant. Mais elle va réussir à remonter la pente 💪🏼
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