Fyctia
3.1
Arrivée aux pieds de mon immeuble, je fouille mon sac à la recherche de mes clés. Les portes coulissantes s’ouvrent à la seconde où je badge le boîtier d’accès. J’accélère le pas, cherchant à fuir mon reflet qui glisse sur les miroirs du hall d’entrée. J’ai le cœur serré dans un étau, la tête lourde des souvenirs qui cherchent à refaire surface, à tel point que j’en oublie que j’aurais mieux fait de prendre l’ascenseur…
— Tu rentres déjà, toi ?
… Jusqu’à ce que la voix chevrotante de madame Walsh me le rappelle. Je sursaute, un juron s’échappant de ma bouche.
— Merde, Hedwige ! Vous m’avez fait peur.
— Voyez-vous ça ! Il faut vraiment que tu fasses attention à ton langage, Amelia Catherine !
Sa langue claque contre son palais et elle porte ses poings à ses hanches. Dans mon état actuel, je suis tentée de lui répondre de façon agressive. Puis je me souviens que je suis déprimée, pas suicidaire.
— J’essaierai de faire un effort, me contenté-je de répondre.
— Et donc ? reprend-elle, soudain fébrile. Il y a un souci avec ton chat ?
— Pillow va très bien, ne vous en faites pas. J’ai simplement fini ma journée.
Ses épaules se relâchent et un sourire franchit la barrière de mes lèvres. Après moi, je crois que personne n’aime plus Pillow qu’Hedwige Walsh. Rien que pour ça, je ne peux que l’apprécier.
— Ah, c’est bien, acquiesce-t-elle, plus détendue. La résidence est remplie de petits jeunes, mais ils ne font que travailler !
En temps normal, j’aurais ri, car les petits jeunes dont elle parle ont tous largement dépassé la vingtaine, moi inclus.
— Un jour, votre vie aura défilé et il sera trop tard pour le regretter ! C’est ce que je dis toujours à Zac quand…
— Bon après-midi, Hedwige ? je l’interromps poliment.
Pressée de rentrer chez moi, je l’ignore et monte un étage supplémentaire, atteignant ainsi mon appartement. Cette coupure entre moi et mes pensées n’a pas suffi à m’apaiser. Mes doigts peinent à rester stables et lorsque j’essaie d’insérer mes clés dans la serrure, elles m’échappent et s’écrasent sur le sol.
— Fais chier ! grommelé-je, à bout de nerfs.
— Bonjour à toi aussi, charmante voisine ! Je lève la tête et la gêne chauffe instantanément mes joues face au sourire amusé de Zac. Lui, il a déjà enroulé son immense silhouette pour ramasser mes clés, qu’il me tend désormais.
— Ça me semble plus facile de réessayer avec ça.
— Merci, dis-je en récupérant mon bien. Tu pars du boulot quand j’en reviens ? Il secoue la tête. — Non, je suis allé rendre visite à quelqu’un. Tout va bien ?
Je hoche la tête, peu convaincue. Je ne dois pas réussir à masquer mon trouble, car il ajoute :
— Tu n’hésites pas en tout cas, OK ?
— Promis.
Son regard ne m’offre rien d’autre que de la douceur, et je repense à ce que m’a dit Joyceline sur les hommes trop beaux pour être vrais. D’expérience, je ne peux qu’être d’accord avec elle, mais là, j’ai du mal à trancher : Zac est certes plutôt renfermé et grognon, mais il ne s’est jamais montré autre chose que bienveillant, envers moi. À tel point qu’aujourd’hui, je le considère presque comme un ami. Un ami réservé, sur lequel je ne sais pas grand-chose, mais un ami, quand même. Vu l’état de ma vie sociale, il est bon de ne pas cracher dessus.
Sur un dernier signe de la main à son attention, je referme le battant derrière moi et me laisse glisser le long de la porte, mon sac gisant à mes côtés. Enfin, je suis chez moi. Comme un coup de baguette magique, mes épaules se détendent et ma respiration se fait plus mesurée. Mes mains ont cessé de trembler. Mon cœur s’est calmé. Elle est là, la vérité sur cet appartement. L’amour que j’éprouve à son égard n’a rien à voir avec le fait qu’il soit situé à cinq minutes de mon travail. C’est un sacré bonus, évidemment, mais c’est plus que ça. C’est surtout parce qu’il représente ce que l’on met tous une éternité à trouver : un cocon. Une safe place. Mon home, sweet home. Dès que je rentre chez moi, je me sens mieux. Je peux laisser le nuage de mes problèmes à l’extérieur et me cacher ici, à l’abri. Au moins pour un temps, jusqu’à ce que la solitude me rattrape et me crie de sortir de-là. La tête enfouie dans mes genoux, je serre les dents et refuse de craquer, de laisser mes larmes couler. Pas encore. Pas à cause de lui. Soudain, je sens une épaisse boule de poil blanche se frotter contre ma jambe. Quand mon regard croise celui de Pillow, il émet des ronrons réconfortants. Je le serre dans mes bras.
— Salut mon beau. Tu as raison, maman n’était pas en forme. Mais ça va mieux, maintenant. Comment ça va, toi ?
Pillow miaule pour toute réponse, mais il a l’air d’aller. Je savoure un instant la douceur de son pelage avant qu’il ne se dégage de mon étreinte et file jusqu’à la cuisine, d’où il pousse un cri plaintif. Je pouffe.
— Message reçu, trésor. J’arrive.
Je me redresse et me tourne vers la gauche afin de suspendre mon sac et mon manteau sur le crochet prévu à cet effet. L’immense baie vitrée qui orne mon salon le pare d’une douce lumière qui me permet de ne pas actionner l’interrupteur, et ce malgré le temps grisâtre. Je troque mes escarpins pour une paire de chaussons confortables et rejoins mon chat dans le coin cuisine. J’ouvre l’un des placards en hauteur pour en sortir son paquet de croquettes, avant de remplir généreusement le bol de ma boule de poil préférée. Pendant qu’il savoure son repas, je me dirige vers le réfrigérateur et en extirpe des lasagnes que je fais réchauffer au micro-ondes. Puis, je vais m’asseoir sur l’une de mes chaises de salle à manger, de laquelle j’admire la rue en contrebas. Les trottoirs bordés d’arbres, dénudés en cette saison. Les joggeurs qui filent vers Central Park. Ou encore ce couple qui badine, le sourire aux lèvres et un café à emporter dans chacune de leur main. À leur vue, mon cœur se serre, car ils me rappellent celle que j’étais, autrefois. Enamourée, insouciante et heureuse. Est-ce qu’elle aussi, elle ignore tout ce que son petit ami peut lui cacher ? Est-ce qu’elle aussi, elle se laisse humilier, comme je l’ai laissé le faire, pendant toutes ces années ? Sans avoir touché à grand-chose de mon plat, je débarrasse l’assiette dans l’évier et vais me recroqueviller dans le canapé, blottie dans la chaleur d’un plaid. J’ai tout juste le temps de mettre la main sur la télécommande que je suis rejointe par Pillow. Celui-ci prend ses aises sur mes genoux et je le caresse machinalement, à la recherche d’un programme à regarder. N’importe quoi, tant que ça me permet de ne pas penser à mon ex.
67 commentaires
Cara Loventi
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Il y a 3 mois
maddyyds
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Il y a 3 mois
Scriptosunny
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Il y a 4 mois
Lunedelivre
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Il y a 4 mois
Manon San nicolas
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Il y a 4 mois
Lunedelivre
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Il y a 4 mois
Manonst
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Il y a 4 mois
Lunedelivre
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Il y a 4 mois
Ashley_Parker
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Il y a 4 mois
Lunedelivre
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Il y a 4 mois