Fyctia
1.2
— Donc t’es en train de me dire que tu veux pas aller à cette soirée pour… Un mec ?
Je mâchonne ma lèvre avec beaucoup plus d’entrain que celui que j’ai à l’égard de mon sandwich au poulet. Je savais qu’elle ne comprendrait pas, surtout avec les explications sommaires que je lui aie livrées. Mais d’un autre côté, je ne suis pas capable de faire mieux.
— Non, parce que je comprends, c’est ton ex, tout ça, mais, à partir du moment où tu développes une carrière de super agent immobilier, comme la femme badass et indépendante que tu es, on s’en fout, d’un ex, non ?
Je pousse un profond soupir. Il y a quelques années, j’aurai été d’accord avec elle. Mais il y a certaines relations qui laissent des traces, qui vous changent à tout jamais. Ma relation avec Cal Martinez est partie intégrante de cette catégorie.
— Non ? répète-t-elle parce que j’ai préféré touiller mon chocolat plutôt que lui répondre.
— J’irai pas, de toute façon, Joyceline. On peut parler d’autre chose ?
— Mais pourquoi ? insiste-t-elle. Tu connais bien d’autres personnes, non ? T’as pas envie de les revoir ?
Le souvenir de ma bande d’amis de l’université se matérialise dans mon esprit. Si je suis tout à fait honnête avec moi-même, je crois que c’est pour eux, pour les moments que nous avons partagés, que je n’ai pas réussi à effacer le mail de la NYU. Je ne m’attendais pas, ce matin, à recevoir cette invitation à une soirée des anciens élèves, qui doit se tenir la semaine prochaine. Et bien évidemment que certains d’entre eux me manquent. Mais il sera là, lui aussi. Et je ne peux pas l’affronter, alors, je fais ce que je fais de mieux depuis les cinq dernières années : face à l’adversité, je prends la fuite.
La preuve irréfutable de ton courage, n’est-ce pas ? Quelle belle manière de reprendre sa vie en main !
Quand j’ai parlé à ma psychologue de la voix qui persiflait régulièrement dans ma tête, elle m’a dit que c’était un mécanisme de défense tout à fait normal, surtout après un traumatisme. Mon esprit essaie de me mettre en face de mes contradictions, soi-disant. Je considère plutôt que mon esprit me casse les ovaires.
Eh, qu’est-ce t’es vulgaire !
L’exemple en image.
— Ôte-moi d’un doute, t’as bien le droit à un +1 ?
— Hmmm, j’acquiesce.
— Je pourrais venir avec toi ? Tu me présenterais tous tes petits copains de facs, on se gaverait de petits fours et…
— Non,
Mon ton n’admet aucune réplique. Elle grogne, mais persévère.
— Pourquoi t’irais pas avec un mec alors ? Comme ça, tu lui ferais les pieds ! Bon, tu ruinerais au moins quinze ans de lutte féministe à toi toute seule, mais je suis prête à l’accepter au nom de notre amitié.
Cette idée a le mérite de me faire glousser
— Je crois que tu oublies un léger détail, quand même.
— Lequel ? demande-t-elle avec un sourcil levé.
— Quel mec ? T’as l’impression qu’il y a foule, là ?
Je fais de grands moulinets avec les bras pour témoigner de l’étendue du désert sentimental qu’est ma vie. Ça me va très bien, cela dit. J’ai tiré un trait sur tout ça après que… Quand Cal a… Bref, les relations amoureuses, ça fait bien longtemps que ce n’est plus mon délire.
— Ça se trouve un mec Barbie ! élude-t-elle avant de tremper les lèvres dans son oat espresso. Tiens, tu pourrais demander au canon qui habite à côté de chez toi !
Je manque de m’étouffer avec ma propre boisson.
— T’es en train de me dire d’inviter Zac, là ?
— C’est quoi le problème avec Zac, demande-t-elle en mimant des guillemets. Il mange des enfants la nuit ? C’est la réincarnation de Lucifer ?
— Ha-ha, très drôle ! Rien de tout ça, Joyce, c’est juste qu’il est bien trop occupé. Il est pompier, je te rappelle.
Je m’enfonce dans mon fauteuil, puis j’ajoute.
— De toute façon, je pense pas qu’il soit du genre à aimer ce genre de soirée… C’est pas l’impression qu’il donne, quoi.
Joyceline lève les yeux au ciel.
— Un vrai bout en train, le voisin, déclare-t-elle.
Je fronce les sourcils face à l’amertume qui transparait dans sa voix.
— Eh, tu le juges vachement vite, je trouve.Zac est quelqu’un de bien, tu sais ?
Elle croque dans son sandwich et articule, la bouche encore à moitié pleine :
— Plus ils sont beaux, plus ils cachent des trucs, Barbie.
Ce n’est pas moi qui vais dire le contraire…
J’aurais peut-être dû considérer davantage cet argument quand j’ai fait la connaissance de Cal. Mais bon, j’ai choisi de faire l’autruche, je suppose…
C’est pas comme si c’était ta spécialité après tout.
L’ironie de ma conscience va finir par me tuer, un de ces jours. À moins que ça ne soit ma mélancolie. Mes yeux parcourent la salle, à la recherche du réconfort habituel que me procure cet endroit, mais je ne parviens pas à déloger la boule qui s’est nichée au creux de ma poitrine. Pourtant, l’ambiance du Pop’s factory a gagné de nombreuses batailles contre ma mauvaise humeur. C’est peut-être l’odeur du chocolat chaud, le café et des épices, un mélange qui évoque un Noël sans fin. Ou encore la décoration, qui associe avec goût le bois, le rose et les guirlandes lumineuses, à tel point que je me sens dans un cocon. À moins que ça ne soit le brouhaha alentour, qui emplit ma tête sans m’encombrer d’une trop grosse charge émotionnelle. Je ne sais pas trop, tout ce que je sais, c’est que normalement, je me sens bien ici. C’est pour ça qu’avec Joyceline, on y mange presque tous les jours. Enfin, elle, c’est parce qu’elle ne peut plus se passer de leur bagel végétarien, mais bon. Chacune d’entre nous y trouve son compte, c’est l’essentiel. Mais, aujourd’hui, ça ne marche pas. Je crois qu’il est grand temps que je mette fin à cette conversation et que j’enfouisse de nouveau Cal Martinez sous le plus lourd de mes tapis mental. C’est ce que je m’apprête à faire, lorsque ma meilleure amie m’offre l’un de ses regards les plus espiègles. Merde, j’ai peur.
On est deux, Barbie.
— Tu sais, quoi ? T’as raison, ne vas pas à cette soirée.
Il faut que je parte. Je dois de toute urgence demander l’addition avant que cette sorcière ne parvienne à jeter son sort. Je fouille dans mon sac à la recherche de mon portefeuille, prête à prendre la poudre d’escampette, mais ma meilleure amie enchaine beaucoup trop rapidement.
— Tu vas voir, on va bien s’amuser !
Elle tape des mains, aussi surexcitée qu’à l’idée d’un voyage à Disneyland. Moi je ferme les yeux, prête à endurer la sentence.
— Toi et moi on va au Mahoney club, vendredi !
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Cara Loventi
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Il y a 3 mois
maddyyds
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Il y a 3 mois
Alexandra ROCH
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TammyCN
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Lunedelivre
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Cara Loventi
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K.C Sankr
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Manon San nicolas
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Manonst
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Il y a 4 mois