Fyctia
1.1
Poc. Poc. Poc
C’est ridicule. Je ne devrais pas y penser. J’ai juste à supprimer ce fichu mail et voilà, terminé, on en parle plus. Au lieu de ça, je martèle mon bureau du bout des doigts, incapable de taire mon anxiété.
Face à moi, Joyceline soupire.
— On gagnerait du temps si tu me disais toi-même ce qui te tracasse, Lia…
— Je vois pas de quoi tu parles.
Elle s’incline vers moi, les bras croisés sur sa poitrine.
— Sérieusement ?
Je décide d’ignorer sa réaction et me concentre sur mes dossiers. C’est la quinzième fois que je contemple les photos de cet appartement, je vais bien finir par me rappeler ce que je dois en faire.
Poc. Poc. Poc.
— Tu vas finir par trouer ton bureau, me lance-t-elle, sarcastique
— Ma manucure est en plus grand danger.
— Parles-en à ma santé mentale.
Pfff, il faut toujours qu’elle ait le dernier mot. Je pourrais lui rétorquer que je la laisse tranquille, moi, quand elle s’acharne sur son stylo, mais ce serait mentir, alors…
— Quoi, c’est tout ?
Sa voix à deux pas de mes oreilles me fait sursauter. Quand s’est-elle levée, au juste ? Penchée au-dessus de moi, elle scrute mon écran avec intérêt. Je me demande quel bien l'intrigue, avant de me rappeler la fenêtre que j’ai laissée ouverte. Oh, merde, quelle idiote. J’attrape ma souris et ferme le fichier, mais c’est trop tard. Elle a vu l’invitation.
— Pourquoi tu ressembles à un lapin pris en plein phare, Barbie ?
Elle pose une main sur sa hanche et me toise, tandis que je passe nerveusement la main dans mes cheveux. Je suis foutue, elle ne va jamais lâcher l’affaire.
— Tu te fais des idées, Midge, je tente sans conviction.
— À d’autres, Lia. T’as même pas fini ton hot chocolate.
Je me mordille la lèvre, piégée par son argument. Les issues se referment autour de moi sans que j’ai le temps de les étudier. Mais je refuse d’en parler. Parce que pour cela, il faudrait lui expliquer ce qu’il s’est passé il y a cinq ans. Et expliquer, c’est revivre, ce qui est hors de question. Pas quand c’est si difficile. Pas quand ça fait toujours aussi mal.
— Tu recommences, c’est ça ?
— Recommencer quoi ?
— Ton ermitisme aigu !
Je roule des yeux.
— Tu m’as encore diagnostiqué un syndrome imaginaire, docteur ?
D’un geste de la main, je l’incite à reculer pour attraper mon dossier, décidée à me concentrer cette fois.
— Faut bien que quelqu’un cherche à comprendre pourquoi tu fuis la moindre interaction sociale, raille-t-elle.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? J’ai plein d’interactions sociales !
— Parler à sa voisine dingo de 85 ans, ce n’est pas une interaction sociale, Lia…
— Eh ! je m’offusque, madame Wash n’est absolument pas dingo ! Elle est… spéciale… ?
Joyceline laisse échapper un gloussement bizarre, peu convaincue. De mon côté, je cherche un nouvel argument pour la contredire, sans succès.
En même temps, c’est pas comme si elle avait tort…
Toi, la conscience, on ne t’a pas sonné. Puisque je dois me débrouiller toute seule, je me redresse et lance :
— On se parle tous les jours, je te rappelle !
Joyceline se pince l’arête du nez.
— Je suis ta collègue de bureau, Lia…
— Oui, depuis trois ans maintenant. Je croyais qu’on avait tissé des liens !
J’emploie le ton de la meilleure amie au cœur brisé, sans succès. Au contraire, elle change de tactique et entre dans le vif du sujet.
— C’est quoi le souci avec cette soirée ? Y’a une pimbêche à qui je dois aller botter les fesses ? Je hais le harcèlement, alors je n’hésiterai pas à…
Je pouffe.
— On se calme, Rocky ! Ça n’a rien à voir.
— Mais alors quoi, Amelia ? Si tu me parles pas, je peux pas t’aider…
— C’est juste que…Y a ce.. Cette…
Je bafouille sans parvenir à formuler quoi que ce soit. J’ouvre la bouche, prête à tenter autre chose, à déverrouiller la boîte de pandore, quand la voix Nobu, un de nos collègues, résonne dans le couloir.
— Tu crois que Sienna va être de bonne humeur aujourd’hui ?
Sa question provoque le rire d’Isobel et me ramène à l’instant présent. La réunion hebdomadaire !
Sauvée par le gong, on dirait…
Joyceline n’en restera pas-là, je le sais. Mais l’opportunité est trop belle, alors j’attrape ma pochette et me précipite à la suite des autres.
— Cette discussion n’est pas terminée ! l’entends-je s’exclamer derrière mon dos. On va déjeuner chez Pop’s tout à l’heure et tu vas tout me raconter. Je te préviens, je t’arracherai les ongles s’il le faut !
Qu’est-ce que je disais ? Joyceline Cooper, ma Veronica personnelle. Enfin, en version plus flippante. À tel point que j’en frissonne. Mais, trêve de bavardage. Contrairement aux espoirs de Nobu, Sienna, notre broker, est rarement de bonne humeur. Il vaut mieux ne pas la faire patienter : la manière avec laquelle on se précipite tous vers la salle de conférence en est le parfait témoin. Quand je m’installe, j’essaie de faire abstraction du mélange criard d’orange et de vert qui continue de m’écœurer malgré les années et m’assoit près de l’immense baie vitrée. Elle offre une vue imprenable sur l'Upper West Side, rendant l'ambiance plus supportable.
— Eh, psst, Lia, m’interpelle Nobu
Je tourne le regard et tombe sur son immense sourire.
— Paraît que c’est toi qui as eu le rooftop sur Boerum Hill ?
Je rougis au clin d'oeil qu'il m'adresse.
— C'est chouette, hein ? En plus, je crois que j’ai trouvé à quels clients je vais le proposer.
— C’est chouette ? répète-t-il, ahuri. Attends, t’as chopé l’un des plus grands apparts du secteur et tout ce que tu trouves à dire c’est…
— Eh, laisse-la tranquille tu veux ? le coupe Isobel, tu sais très bien que notre Lili jolie n’est pas du genre à se vanter.
Je la remercie d’un léger signe de tête, et notre attention se reporte sur le raclement de gorge de Sienna. Elle dresse un rapport des derniers investissements réalisés par l’agence, puis nous lançons un tour de table afin d’évoquer nos projets de la semaine. L’ensemble se déroule sans heurts, ce qui m’aide à respirer un peu mieux. Je déteste aller à une réunion sans la préparer.
— On va en rester là-dessus, déclare Sienna au bout d’une heure. Pour une fois, vous n’avez pas été trop incompétents. Je veux la même chose la semaine prochaine, OK ?
Sans attendre notre réponse, sa chaise grince sur le parquet et elle prend la direction de son bureau. Sa manière de s’adresser à nous me fera toujours grimacer. Quand je serai broker, j’espère que je n’aurai pas sa façon de manager une équipe…
— De bonne humeur, hein ? raille Isobel à l’intention de Nobu
— Bah quoi, moi je l’ai trouvé en pleine forme ! répond-il, sarcastique.
— Elle nous a même fait un compliment ! confirme Joyce, les mains sur le cœur.
— Un compliment ? pouffe Alice. C’était un compliment, ça ?
Je hausse les épaules en guise de réponse, et nous prenons tous le chemin de la sortie. Mon ventre gargouille, me rappelant que c’est déjà l’heure de la pause déjeuner. Avec un peu de chance, Joyceline a oublié qu’elle m’a invité et je pourrais…
— Barbie, tu viens ?
Et zut…
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NB : Midge est la meilleure amie de Barbie
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Lune34
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Il y a 2 mois
Cara Loventi
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Il y a 3 mois
Alexandra ROCH
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Il y a 3 mois
TammyCN
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Salma Rose
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Il y a 4 mois
Scriptosunny
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Il y a 4 mois
K.C Sankr
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Manon San nicolas
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Manonst
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Lunedelivre
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Il y a 4 mois