Fyctia
P R O L O G U E
Mauvaise nouvelle : un jour ou l’autre, votre supérieur va forcément vous la mettre à l’envers.
Je suis un mensonge. Mon plus grand secret ? Je n’ai jamais eu d’histoire d’amour. Pas le moindre baiser. Mon problème ? J’écris des romans d’amour. Pas pour le plaisir, non. J’écris parce que c’est mon métier. Des millions de lecteurs, aux quatre coins du monde, attendent de moi les émotions les plus intenses, la projection d’un amour fou, d’un amour vrai.
Tout allait bien jusqu’à ce que je sois en panne d’inspiration.
Je suis mal à l’aise dans le bureau de Claire, mon agente littéraire. La lumière tamisée m’assoupie et je n’arrive pas à me concentrer sur ce qu’elle m’explique. Je me laisse plutôt distraire par ses plantes exotiques, les bibelots de designers disposés dans sa bibliothèque et la dernière couverture luisante de Vogue. L’ex-femme de Justin Bieber pose en divorcée libérée.
— Au fait, les français ont enfin acheté tes droits sur Only want you, m’informe-t-elle. La sortie est prévue pour Septembre.
— Super.
Je triture le liseré de l'accoudoir de mon fauteuil.
— Et… La couverture ? T’as pu la voir ?
Ma question en cache une autre. Elle fait semblant de pianoter sur son ordinateur, embarrassée.
— Oh, tu sais. La routine…
— À quoi elle ressemble ? Ne me dis pas que c’est un type torse-nu…
Elle pince les lèvres, puis tourne lentement son écran d’ordinateur dans ma direction.
Un juron m’échappe en découvrant l’image. J’avais visé dans le mille. L’homme barbu ne ressemble pas à mon protagoniste. Pour une raison qui m’échappe, il est privé de t-shirt. Claire ferme alors la page, certaine que ça m'apaisera.
— C’est une plaisanterie ? m'insurgé-je. Ça coûte plus cher de faire des shootings photo habillés ? J’écris des histoires d’amour à sensations, moi. Le Times m’a qualifiée de « Jane Austen du XXIème siècle », pas de You Porn de la littérature. Je n’ai pas cédé mes droits à l'international pour qu’on fasse n’importe quoi avec mon roman !
— Emilia, calme-toi… Moi, je le trouve plutôt canon le mec.
— C’est toujours la même histoire !
— Oui, en effet. Ça s'appelle le business. Répète après-moi, le b-u-s-i…
— Non, ça s’appelle le mauvais goût.
— Soit, soupire Claire en se replongeant dans ses mails. Les français ont mauvais goût. Va leur dire. Un aller-retour en Eurostar coûte 78 livres.
Je lève les yeux au ciel.
— Mais je te conseille plutôt d’avancer sur ton roman. La deadline est dans trois mois. J’ai déjà accepté de t’accorder un mois de plus, mais le planning commence à devenir serré. Ça fait deux ans que tes lecteurs t’attendent. Les premiers mois, tu avais leur compréhension. Mais… Soyons honnêtes, Emilia. Si tu n’écris pas, quelqu’un d’autre le fera à ta place.
Je suis au courant, bon sang ! Depuis deux ans, j’ai entamé pas loin de dix manuscrits, planifiés à la virgule près. Les personnages sont hauts en couleur, les retournements de situation sont imprévisibles. Oh, et le style ! Le style me plaît, j’ai découvert une manière d’écrire qui me plaît pour chacun d’eux. Mais chaque fois, je me suis arrêtée à quelques chapitres de la fin. Pourquoi ? Un sentiment d’absurdité et de dégoût me contamine.
Pourquoi est-ce que j’écris ces romans ? Comme elle le dit : quelqu’un d’autre peut le faire aussi bien que moi. Et puis, je ne sais plus ce que je pense de l’amour. Je ne sais même pas ce que ça veut dire. Mais mon contrat m’oblige à écrire une happy end.
— Quoi ? Je la provoque, amère. Tu envisages de m’engager un ghost-writer ? Et puis quoi encore ?
Quand on est suspendu au bord du gouffre, il y a toujours des gens comme Claire pour écraser les derniers doigts qui nous empêchent de tomber.
— Pas un ghost-writer, non.
Mon agente plonge ses yeux bleus dans les miens, et je reconnais dans ce regard ferme la femme d’affaire qu’elle a toujours été. Elle est capable de briser ma carrière en un claquement de doigt. Et elle n’hésitera pas si je ne lui livre pas vite un manuscrit. Je me redresse sur mon siège, étonnée par ce revirement d’attitude.
— Il y a plein d’auteurs dans la nature, qui n’attendent que d’être publiés. Ne te repose pas trop sur tes lauriers. Une réputation s'acquiert durement, mais elle se réduit facilement en cendres. Alors écris. Et fais-moi parvenir ce manuscrit d’ici trois mois. Je sais que tu en es capable.
39 commentaires
Julie Galley
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Il y a 3 ans
Azalée Fray
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Il y a 3 ans
Amelie704
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Sombre Violette
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Il y a 3 ans