Fyctia

Quatre jours !

Cela fait quatre jours que nous ne communiquons que par messages interposés et communiquer est un grand mot.

J’ai renoncé à l’avoir au téléphone puisque je tombe systématiquement sur sa messagerie.

Angoissée par mon expérience passée et un mauvais tour du destin j’ai d’abord pensé qu’il avait pu lui arriver quelque chose.

Mais j’ai été rassurée de recevoir des messages de sa part. Enfin rassurée n’est pas vraiment approprié.

Chacun d’eux n’a fait qu’insinuer d’avantage de doutes.

Courts et distants, je ne compte plus les « je suis en réunion » ou « je dîne avec un client » et j’en passe des « je t’appelle », vu qu’appel il n’y a pas eu.

Comment ai-je pu me tromper à ce point sur lui. Je persiste à me dire qu’il a dû se produire quelque chose pour qu’il change de comportement mais je n’ose insister au risque de passer pour une groupie ou une fille envahissante.

Quand j’entre dans le bureau, Jane comprend tout de suite que je ne suis pas d’humeur et se contente de me tendre mon café qu’elle vient d’aller chercher.

Elle est aux petits soins avec moi, ce qui me confirme que la réaction de Matthew n’est pas appropriée. Elle s’imagine que j’ai besoin d’un soutien moral et ça va vraiment être le cas si la situation perdure.

J’ai beau ressasser les événements, je ne comprends pas son attitude. Son regard, ses gestes, ses attentions à mon égard, cette nuit... je tente de me rassurer en me disant qu’il doit s’agir d’une

urgence de boulot et refuse de le mettre dans la catégorie des hommes qui font silence radio après avoir obtenu ce qu’ils veulent.

Je m’installe à mon bureau et m’atèle à la tâche plutôt que de cogiter.

Je ne relève les yeux de mes dossiers que lorsque Ted s’invite dans la pièce et attire notre attention d’un petit coup sonore sur le chambranle de la porte.

— J’ai un service à vous demander… j’ai besoin d’une âme charitable pour déposer un dossier avant la fin de matinée…

— Je m’en occupe, dis-je sans même prendre la peine de demander son avis à Jane. J’ai besoin de prendre l’air…

Après avoir récupéré les informations pour mener à bien ma mission, je quitte la boîte sous un ciel radieux qui a le mérite de me remonter un peu le moral.

Le dossier déposé, je constate que c’est l’heure du déjeuner. J’en profite pour flâner dans ce quartier que je connais peu en quête d’un encas à prendre sur le pouce.

En avançant, j’aperçois non loin de moi un visage familier… Coleen, si je me souviens bien de son nom, l’amie de Ness et accessoirement celle de Matthew.

Elle me voit également et me reconnait. Elle semble me jauger puis me fait un large sourire. Je me suis peut-être trompée à son sujet, surprise par son accueil chaleureux. Je la rejoins arborant moi aussi un sourire.

— Bonjour, Joe, tu vas bien ?

— Oui merci, et toi ?

— Oui extrêmement bien, c’est un grand jour pour nous…on va connaître le sexe.

Elle passe sa main sur son ventre qui laisse apparaître un profil rebondi ne laissant aucun doute sur son état de future maman.

Je la dévisage et tente de me rappeler notre première rencontre. Rien ne laissait présager alors de son état de grossesse. Je crois me souvenir qu’elle portait un jean et un haut ample qui ne permettait pas de deviner quoi que ce soit. Je me reprends constatant que mon silence n’est pas de circonstance face à cette annonce.

— Félicitations, je ne savais pas que tu attendais un heureux évènement…

— Ah bon, je pensais que Matthew t’en aurait parlé, il m’a dit qu’il t’avait croisé ce weekend.

Je ne sais pas ce qui me gène le plus. Qu’il ait choisi ce mot « croisé » pour définir ce qu’il s’est passé entre nous cette nuit là ou qu’il ait pris le temps de discuter avec elle alors qu’il semblait trop occupé pour n’échanger qu’une parole avec moi.

— Toutes les deux on ne s’est rencontrées qu’une fois, je ne crois pas qu’il ait jugé important de m’en parler…

— Toute de même, il va être papa, c’est une nouvelle importante dans la vie d’un homme…

Il me faut quelques secondes pour intégrer l’information, ma main tremble quand je me saisis de mon téléphone portable.

Je ne peux pas la croire, son sourire ne me semble plus tout aussi accueillant ni authentique.

Elle jubile de voir ma réaction, je sens mon estomac se retourner mais me concentre sur l’écran de mon téléphone pour appeler Matthew.

— Je ne te crois pas…dis-je le téléphone à l’oreille.

Une première tonalité retentit puis une deuxième au même rythme qu’une sonnerie de téléphone derrière moi.

Je me retourne et l’aperçois au coin de la rue, les yeux rivés sur l’écran de son smartphone, le visage tendu.

Je ne suis presque pas surprise de tomber sur sa messagerie vocale, il filtre mes appels.

Tétanisée je n’ose lire le message qu’il vient de m’envoyer mais portés par une pulsion sadique mes yeux se posent sur l’écran et y lisent le énième mensonge qu’il m’envoie : « suis en réunion, te rappelle plus tard ».

C’est alors que nos regards se croisent et c’est le choc.