Fyctia
Joe
Je fronce les sourcils en relisant pour la énième fois le dossier que j’ai sous les yeux. Je me rends bien compte que mon manque de concentration a pour même responsable celui qui provoque mes sauts d’humeur aux allures de montagnes russes.
Par moment euphorique je bascule dans la seconde dans la morosité, à fleur de peau, tiraillée de culpabilité.
Jane prend à cœur de me soutenir avec une patiente d’ange que je ne lui connaissais pas en me rassurant sur mes états d’âme. Je crois que ça lui fait une distraction bienvenue dans son dilemme amoureux avec Ted qui évite d'ailleurs soigneusement de se retrouver seul avec elle. Leurs échanges sont cordiaux et professionnels mais ils ne peuvent masquer les regards qu’ils se lancent l’un à l’autre en douce.
Mon amie déborde d’une joie surjouée qui sonne faux tout comme son éternelle touche de couleur qui semble plus terne qu’à l’accoutumée. J’ai bien tenté d’aborder le problème avec elle mais elle change littéralement de sujet et se focalise sur ma vie amoureuse, s’il en est, comme s’il s’agissait d’un défouloir à ses propres frustrations.
Je lui ai tracé dans les grandes lignes notre soirée « plateau télé » d’il y a deux jours. Elle n’a de cesse de me dire que je lui plais et que je dois aller de l’avant.
Je sais que je ne lui suis pas indifférente, il y a des regards qui ne trompent pas, mais suis-je prête à franchir cette étape. Il a fait renaître en moi des sensations que je croyais perdues. Dès qu’il est avec moi, j’oublie tout, je profite du moment présent. Ma peau s’échauffe à son contact et je suis électrisée sous son regard.
Mais lorsque je me retrouve seule j’ai cette pression qui me bloque la poitrine. Les doutes m’envahissent. Rien que de penser à lui me donne l’impression de les trahir, de ternir l’amour que je leur portais…que je leur porte.
Mes coudes appuyés sur mon bureau, je me prends la tête entre mes mains, les yeux fermés, luttant contre les larmes qui menacent, les nerfs à vif.
— Ne réfléchis pas ma belle, déconnecte ton cerveau et laisse faire les choses.
— Je n’y arrive pas…je réponds à mon amie en secouant la tête et sans relever les yeux.
— En attendant, tu ferais peut-être mieux de te dépêcher, tu n’avais pas un dîner à préparer ?
— Zut, dis-je en voyant l’heure sur mon ordinateur et en me levant précipitamment.
Ce n’est pas tant que j’ai grand-chose à préparer, j’ai prévu de faire quelque chose de simple, mais il est déjà 18h et j’aimerais avoir le temps d’être chez moi au calme avant qu’il n’arrive.
Je dois m’avouer à moi-même que ce dîner n’est pas étranger à mon niveau de stress. Je ne sais pas ce qu’il attend de cette soirée, ce que j’en attends moi. J’ai l’impression qu’il y a deux Joe en moi.
L’une meurt d’envie que les choses évoluent et brûle de désirs pour cet homme terriblement sexy, l’autre est terrifiée et aimerait prendre son temps sans se précipiter dans une relation qui met à mal son intégrité.
Je rassemble mes affaires et me dirige vers la porte du bureau en faisant un petit signe à Jane.
— Amuse-toi bien !
Son sourire en coin et le clin d’œil qu’elle me lance ne laissent aucun doute à ses allusions déplacées. Je lève les yeux au ciel en franchissant la porte sans lui répondre.
Chargée des quelques courses de dernière minute je rentre à mon appartement pour m’affairer à mes préparatifs. Je mets un peu de musique en fonds sonore dans le salon et commence à dresser la table.
Je ne cherche pas à faire quelque chose de romantique mais quelque chose de simple et d’accueillant. Une nappe crème, des assiettes blanches, classique mais efficace, des verres ballons et des couverts couleur argent. Au centre de la table je dispose le petit bouquet de tulipes jaunes que j’ai acheté en rentrant pour égayer l’atmosphère.
Je recule d’un pas pour observer le résultat : ni trop « premier rendez-vous » ni trop soirée entre copains. Cela semble satisfaire mes deux « moi » et je me rends dans la cuisine pour commencer la préparation du repas. Au menu, penne aux pointes d’asperges verte et en dessert un tiramisu aux Spéculoos.
Ce n’est pas vraiment un repas dans la pure tradition française, mais j’en maîtrise la préparation et en général ça a un grand succès.
La porte sonne me faisant sursauter. Je regarde l’horloge, il a quinze minute d’avance, heureusement que je n’ai plus grand-chose à faire.
Je m’essuie les mains et ouvre la porte mais ce que je vois fait s’évanouir mon sourire en une fraction de seconde.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Mon frère se trouve sur le pas de la porte, un sac de voyage sur le dos, un grand sourire aux lèvres qui semble faiblir en voyant ma tête.
— Quel accueil ! dit-il en me faisant une bise sur la joue alors que je m’écarte pour le laisser passer.
— Pardon, vas-y rentre. Mais tu pourrais prévenir quand tu viens…
— Je t’ai envoyé un mail hier…Mhmm ça sent bon, t’as fait quoi à manger je meurs de faim.
Ça me fait penser que j’ai quelque chose sur le feu et je me précipite dans la cuisine pour m’assurer que rien ne crame. Tout est en ordre et je retourne dans le salon dont mon frère a déjà pris possession, son sac posé négligemment sur un fauteuil, lui affalé sur le canapé occupé à manger l’un des morceaux de pain que j’avais mis sur la table. Je secoue la tête d’effarement.
— Tu m’as envoyé un mail ? dis-je agacée. Mais qui envoie un mail pour s’inviter chez quelqu’un ? Tu n’as pas de téléphone ?
— Si mais j’ai noyé le mien.
L’une des spécialités de mon frère, en plus d’arriver à l’improviste chez les gens, c’est de noyer son portable.
Je ne saurais dire combien de fois ça lui est arrivé. Il a toujours une bonne excuse : dans l’évier en lavant la vaisselle, dans le lavabo en se lavant les dents ou les cheveux (au moins deux fois c’est sûr), dans la bassine la seule fois où il a dû laver le sol (belle initiative mais peut mieux faire) et bien sûr dans les toilettes.
La grande question est de savoir ce que pouvait bien faire son portable à chaque fois dans ces endroit ou moments incongrus.
Je le soupçonne même d’être payé par les marques de téléphonie pour tester leurs appareils dans leurs limites en milieu aquatique.
Cette fois je ne lui demanderai même pas où ça lui est arrivé.
— Tu sais qu’il existe des choses très pratiques qui ont été inventées avant les portables et que tu peux utiliser sans prendre le risque de les laisser tomber dans l’eau… les téléphones fixes ! ma voix trahit mon agacement mais ça ne semble pas le perturber.
— Aller sœurette, te prends pas la tête…
Tout à coup, comme si une illumination venait de lui apparaître, il semble enfin se rendre compte que la table est dressée pour deux personnes.
— Attends, mais si tu ne savais pas que je venais pourquoi il y a deux assiettes… tu attends quelqu’un ?
Bravo Einstein tu as trouvé ça tout seul. C’est ce que j’aurais aimé lui répondre si je n’avais pas vu un sourire franc et ravi se peindre sur son visage et si la sonnette de l’entrée n’avait pas retenti.
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Guyanelle
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