Fyctia

Le temps s’est dégradé depuis ce pique-nique ensoleillé et je remonte le col de ma veste en attendant les autres devant le restaurant chinois, appuyé contre le mur près de l’entrée.

Jenny et Jack ne tardent pas à arriver suivis de prés par Andrew et Stephen qui sont en pleine conversation probablement sur le dernier modèle de voiture reçu dans la concession où ils travaillent tous les deux.

Stephen y est l’un des meilleurs vendeurs et est spécialisé dans la clientèle haut de gamme, quant à Andrew, même s’il est lui aussi passionné de belles voitures, en est le comptable.

Ils ont dû venir directement nous rejoindre du boulot et n’ont pas pris le temps de se changer avant de venir, tous les deux encore en costume.

Nous rentrons dans le restaurant et attendons à peine un instant avant d’être installés à une table. Le service est rapide et la serveuse nous propose déjà nos boissons en attendant de prendre nos commandes.

Je prends une gorgée de mon verre et fais tourner les glaçons dans un geste hypnotique, perdu dans mes pensées, hermétique aux bavardages de mes amis.

Je consulte mon portable pour la dixième fois de la soirée mais je n’ai pas de message. Le restaurant n’est pas loin de chez elle et même s’il n’était pas prévu qu’on se voit je lui ai envoyé un sms pour lui proposer de nous rejoindre.

Nous ne nous sommes pas reparlés depuis ce weekend mais nous avons échangé quelques messages et je fais défiler machinalement le fil de conversation jusqu’à arriver au dernier que je lui ai envoyé, resté sans réponse.

— Tu reviens parmi nous ?

Je me tourne vers Jenny qui me fait un clin d’oeil en faisant tinter son verre contre le mien.

— Désolé, j’avais la tête ailleurs.

— Je me doute. Elle nous rejoint alors ? j’aimerais bien la connaître un peu mieux, elle a l’air sympa !

— Elle l’est, mais je ne crois pas qu’elle vienne, elle devait travailler tard, dis-je en consultant pour la énième fois mon portable.

— Tu as rencontré ses amis ?

Stephen ne semble plus aussi absorbé par sa conversation et porte son attention sur moi en attendant ma réponse.

— On vient juste de se rencontrer…

— Elle t’a déjà parlé d’une certaine Wendy ? Elles étaient ensemble lorsque je les ai croisées dimanche, son visage me dit quelque chose.

Je me cale contre le dossier de ma chaise, les bras croisés, le toisant pour m’assurer qu’il ne se fout pas de moi. Il semble sérieux et je n’en reviens pas qu’il ne se souvienne pas d’elle, il a dû la croiser une demi douzaine de fois sur les deux dernières semaines au bas mot.

— Vraiment ? tu ne te souviens pas d’elle ?

Parfois il m’exaspère et l’intonation de ma voix doit me trahir parce que les autres cessent leur conversation et se concentrent sur nous.

— Je la connais ? Ne me dis pas que je suis déjà sorti avec elle, je crois que je m’en souviendrais.

Cette remarque quelque peu misogyne lui vaut une tape sur le bras de Jenny qui n’apprécie qu’à petite dose son attitude envers les femmes.

J’allais lui asséner une remarque bien salée lorsque mon regard est attiré par l’annonce d’un message sur mon portable que j’avais mis en silencieux.

• C’est gentil mais je viens de rentrer, je suis fatiguée, je vais grignoter un truc devant la télé.
• Mais peut-être vendredi ?

— Elle ne viendra pas, dis-je pour répondre à Jenny qui m’interroge du regard.

— Va la rejoindre…vous n’avez pas mangé ni l’un ni l’autre et ils font à emporter ici…

Sans aucune hésitation, je me lève et l’embrasse sur la joue. Les autres me regardent interloqués alors que j’enfile ma veste.

— Hey, tu ne m’as pas répondu, me lance Stephen.

Je m’immobilise un instant et j’hésite à lui dire d’où il la connait, mais je me ravise. Il l’a bien mérité.

— Réfléchis Stephen, réfléchi, lui dis-je en lui tapant sur l’épaule et en saluant les autres alors que je me dirige vers le bar pour passer ma commande.

Il s’est à peine passé une vingtaine de minutes depuis que j’ai reçu son message. Je ne lui ai pas répondu et je suis devant sa porte chargé du sac de plats à emporter.

Je suis arrivé alors que l’un de ses voisins sortait de l’immeuble et m’a laissé entrer pensant probablement que j’étais un livreur.

J’hésite un instant avant de frapper à sa porte appréhendant sa réaction mais je me lance armé de mon plus beau sourire. J’entends que quelqu’un s’approche et ouvre le judas puis vois la porte se déverrouiller.

— Livraison à domicile, lui dis-je en levant mon sac dès que la porte s’ouvre.

— Tu n’étais pas sensé dîner avec des amis ?

Elle est appuyée contre le battant de la porte et me regarde, les yeux rieurs. Je suis rassuré par son attitude accueillante.

— Si mais je suis un membre actif de la lutte contre le grignotage intempestif devant la télé et je me devais de remédier à cet écart de conduite…

— …avec de la nourriture asiatique, me reprend-elle avec un air dubitatif.

— C’est mieux que des chips et de la crème glacée…

— Mais qu’est-ce qui te fait croire que c’est ce que j’allais manger, me dit-elle en ouvrant la porte d’avantage pour m’inviter à entrer.

— Des années d’expérience ! dis-je en me dirigeant vers la cuisine pour y déposer le sac.

— De grignotage ou des filles ? me demande-t-elle d’un air espiègle.

Je lui souris d’un air entendu sans lui répondre mais reste scotché devant le plateau devant mes yeux, composé d’une assiette avec une pomme, des raisins et du fromage ainsi qu’une tasse de thé. Plutôt raisonnable selon mes critères.

Elle passe près de moi pour sortir des couverts en arborant un sourire satisfait.

Encore une fois cette fille me surprend. Je l’aide à préparer le nécessaire pour notre repas et nous portons le tout dans le salon sur la table basse.

Elle resserre la veste qu’elle porte et remet une mèche de cheveux derrière son oreille d’un air gêné.

— Je suis désolée, je ne m’attendais pas à voir quelqu’un ce soir, dit-elle d’un geste évasif en montrant sa tenue vestimentaire.

— Tu es très bien, lui dis-je en m’asseyant sur le canapé et en l’invitant à me rejoindre en tapant la place près de moi.

Elle est à tomber quoi qu’elle porte. Elle est vêtue d’un pantalon de pyjama qui descend sur ses hanches, d’un débardeur noire qui laisse apercevoir un centimètre de peau en lisière et d’une veste en laine couleur crème longue et large qui masque ses formes féminines.

Elle s’installe et commence à déballer les boites pour nous servir.

— Tu as une préférence pour le film… ?

— Tu t’apprêtais à regarder quoi ?

— En fait j’hésitais… tu vas choisir : il y a Psychose d’Hitchcock ou Bridget Jones…

— Je vois, gros dilemme. Sauras-tu résister à la tentation de te serrer dans mes bras pendant les scènes de suspens ?

— Tu as raison, ne tentons pas le diable, va pour Bridget… !

— Mais je parlais de Bridget !

Elle lève les yeux au ciel en mettant le film qui vient de commencer. Nous nous installons confortablement, mangeant à même les boîtes que nous échangeons au grès de nos envies.

(...à suivre )