Fyctia

Wendy nous regarde tour à tour, interloquée.

— Quoi ? Il s’est enfin passé quelque chose avec le beau Ted ?

Jane, qui était quelques minutes plus tôt bien plus expansive quant à mon histoire, se referme tout à coup comme une huître, concentrée à découper son pain en petit morceaux.

— Arrête de massacrer ce pauvre morceau de pain et raconte-nous ! dis-je à mon tour avec impatience en lui arrachant le morceau de pain des mains.

Elle lève sur nous des yeux embarrassés et après s’être essuyé la bouche avec sa serviette pour se donner du courage elle nous lâche dans un soupire :

— Je l’ai embrassé !

— Tu as quoi, réagissons-nous en cœur avec Wendy.

Jane plaque sa serviette sur son visage pour échapper à nos regards interloqués.

J’approche ma main de son visage et baisse doucement le tissu pour dévoiler un regard angoissé et une Jane rouge pivoine.

— J’ai été inspirée par ton histoire et je me suis dit que je devais prendre les devants. Je voulais en avoir le cœur net.

Devant notre silence presque religieux, elle poursuit.

— Jeudi dernier nous avons travaillé un peu tard sur le dossier Johnson. Et alors qu’il s’est penché sur mon épaule pour regarder un document dont je parlais je me suis retournée et je l’ai embrassé.

A la vue de son air perdu, je comprends que la réaction de Ted n’a pas été à la hauteur de celle qu’elle attendait.

— Et qu’est ce qu’il a fait ? demande Wendy hésitante se doutant elle aussi que le reste de l’histoire n’aura pas une issue bien joyeuse.

— Il a rendu à mon baiser mais ensuite il l’a regretté, il m’a dit qu’on ne pouvait pas faire ça.

Nous nous toisons avec Wendy ne sachant qu’elle position prendre. Ils se cherchent tous les deux depuis tellement d'années que pour nous leurs sentiments étaient devenus une évidence. Nous serions-nous trompées à leur sujet ?

— Vous en avez reparlé depuis ? je demande à tâtant.

— Non, tu es revenue vendredi et puis il y a eu le bouquet de fleur, ton rencart, j’ai préféré me concentrer sur ça… de toute façon c’est peine perdue.

— Et c’était comment quand il t’a rendu ton baiser ?

Mon amie a su mettre le doigt sur le détail non négligeable de l’histoire et j’attends avec impatience la réponse de Jane.

— C’était…wouah ! C’était parfait…

Un sourire béat s’est dessiné sur ses lèvres et ses yeux brillent à l’évocation de ce souvenir.

Je souris en retour me disant que tout n’est peut-être pas perdu finalement. Wendy semble satisfaite de la réaction de Jane et lève son verre pour que nous trinquions avec elle. Nous imitons son geste.

— Les filles, à nos amours, glorieuses, sinistres ou laborieuses, dit-elle d’un air conquérant.

— A nos amours, répétons-nous en cœur en entrechoquant nos verres avec le sien.

Je ne sais pas si nous sommes à portée de voix de la table de Stephen mais je surprends son regard intrigué porté sur mon amie et je me dis qu’effectivement tout n’est peut-être pas perdu de ce côté-là non plus.