Fyctia

Je n’ose croiser son regard, j’ai la mâchoire serrée, les mains enfouies dans mes poches, les épaules tendues.

Je ne veux pas voir dans ses yeux ce qu’elle pense de moi maintenant.

Un type qui profite d’une fille bourrée et qui la jette comme un malpropre le lendemain. Je ne suis pas comme ça.

Je sens sa main s’enrouler autour de mon bras et la chaleur de son corps se rapprocher alors qu’elle dépose doucement sa tête sur mon épaule en signe d’apaisement alors que nous continuons à avancer.

— Tu n’as pas à l’être, dit-elle tout bas. On fait parfois des choses idiotes quand on perd un être cher.

Nous poursuivons notre chemin dans cette position qui fait disparaître lentement la tension dans mon corps.

Qu’a-t-elle fait lorsqu’elle a perdu l’homme qu’elle allait épouser. S’est-elle jetée dans les bras du premier inconnu, d’un ami, un collègue de travail.

Je me crispe en l’imaginant dans les bras d’un autre homme, perdue, désemparée cherchant à noyer son chagrin dans un peu de chaleur humaine, pour oublier. Je ne supporte pas cette pensée, en colère contre cet homme imaginaire, jaloux de lui.

Je dois me reprendre et je me force à regarder le paysage pour chasser ces sombres pensées de mon esprit.

— Tu connaissais ce parc ? lui dis-je après un moment pour changer de sujet.

— Non mais j’aime beaucoup.

Elle observe l’air radieux des promeneurs, des enfants qui jouent dans l’herbe et des familles, qui comme nous ont décidé de profiter du temps clément pour pique-niquer.

— Dans ce cas ferme les yeux, lui dis-je en repérant où nous nous trouvons.

Elle lève les yeux vers moi d’un air intrigué mais se prête au jeu et s’agrippe d’avantage à moi pour ne pas trébucher.

Je peux à loisir la dévisager sans qu’elle ne s’en aperçoive. Elle me fait confiance et son visage est détendu et souriant.

Nous avançons à un rythme plus lent maintenant et je me rends compte qu’elle boite légèrement.

— Tu as mal à ta cheville ?

— Juste un peu, mais ça va aller.

— Dans ce cas, dis-je en la soulevant dans mes bras.

Elle pousse un cri de surprise suivi d’un éclat de rire mais elle garde les yeux fermés.

Elle est légère dans mes bras et j’aime la sentir se blottir et se laisser aller contre mon cou, sa main doucement resserrée sur mon épaule. Les effluves de son parfum se mêlent aux senteurs de son shampoing dans une fusion enivrante. Je ne m’en lasse pas et prends mon temps pour atteindre le point de vue que je veux lui faire découvrir.

Quand nous y sommes, je m’immobilise et reporte mon regard sur son visage serein qui s’illumine lorsqu’elle comprend que nous sommes arrivés.

— Ça y est ?

On dirait une enfant sur le point de découvrir les illuminations de noël, son sourire monte jusqu’à ses yeux. Si j’attends trop longtemps je risque de la voir trépigner d’impatiente. Même si la tentation est grande je ne m’y risque pas, trop pressé de voir si elle va apprécier autant que moi le panorama.

— Oui, attends.

Je me penche et desserre mon emprise pour qu’elle pose ses pieds au sol.

Je me positionne derrière elle, pose mes mains sur ses épaules pour la tourner dans la bonne direction. Je me penche pour lui susurrer à l’oreille.

— Ouvre les yeux…

Elle prend une grande inspiration et ouvre lentement ses grands yeux gris.

— Magnifique !

Je souris en l’entendant s’exprimer en français.

Son visage s’est illuminé devant la vue qui s’offre à nous.

A nos pieds s’étend le lac et en perspective un paysage verdoyant laisse apparaître le palais Saint James avec son architecture grandiose.

— C’est vraiment très beau, un décor de conte de fées, me dit-elle en tournant la tête vers moi, radieuse, et en posant sa main sur la mienne qui n’a pas quitté son épaule.

Un déclic fait exploser notre bulle de quiétude et nous nous retournons en un seul mouvement.

Ness est à une dizaine de mètres de nous, son objectif pointé sur nous.

Je ferme les yeux et pose mon front sur le haut de la tête de Joe en signe de lassitude en lui murmurant « désolé ».

Elle cache un sourire de sa main et me tapote le bras pour m’encourager.