Fyctia

Nous terminons de manger et mettons de l’ordre sur les couvertures pour profiter du soleil.

Ness a dégainé son appareil photo et immortalise ces moments de vie.

Depuis qu’on lui a offert son premier appareil pour ses seize ans, c’est devenu une vraie passion et il faut dire qu’elle est très douée. Après quelques clichés elle s’installe près de Joe et lui fait découvrir ses réalisations, chacune un enfant sur les genoux.

Je m’allonge, les bras croisés sous la tête, les yeux fermés, bercé par le doux murmure de leur conversation dont je saisis quelques bribes.

— Elles sont magnifiques…

— Comment tu trouves celle-là ?

— C’est…elle est…

— Sexy… n’est-ce pas ? achève Ness avec un sourire…

— Ness, les enfants ! la réprimande Jessy qui elle aussi a entendu.

J’ouvre un oeil intrigué dans leur direction. Joséphine a de nouveau le rouge aux joues et n’ose pas me regarder, j’aime la voir troublée mais j’aimerais savoir par quoi cette fois.

— Ness ?

Elle comprend ma requête et tourne vers moi l’appareil.

Sur l’écran, une photo de moi en noir et blanc, torse nu, après un entraînement, la peau luisante de transpiration, les cheveux en bataille. J’avoue que je suis très à mon avantage sur cette photo et je souris en observant Joe qui fuit mon regard.

— Les enfants, vous pourriez peut-être aller jouer, lance Anna qui elle aussi s’est laissée tenter par une sieste au soleil.

— Mais avant allez faire un câlin à tonton, ajoute Ness.

Les enfants ne s’en laissent pas compter et se précipitent sur moi.

Je les saisis au vol et les roule par terre en leur faisant des chatouilles et des bisous sur le ventre.

Ivres de rire, ils finissent par repartir rejoindre les plus grands qui jouent au ballon plus loin.

— Maintenant que les enfants sont partis tu vas pouvoir me raconter ta version de votre rencontre…dit Ness plus bas à Joe sur un ton de connivence.

— Colleen, viens t’installer avec nous, ajoute-t-elle alors qu’elle passe juste derrière les deux jeunes femmes assises.

— Je pense que tu lui as suffisamment posé de questions pour aujourd’hui, dis-je à ma curieuse de sœur en me levant et en m’approchant d’elles.

— On va se promener, j’ajoute à l’attention de Joe en lui tendant la main pour l’aider à se lever.

Elle s’en saisit non sans jeter un dernier regard sur Colleen qui l’observe froidement.

Je fronce les sourcils devant son comportement, cette dernière s’en aperçoit et se tourne vers Ness comme si de rien n’était.

Nous avançons tranquillement dans les allées fleuries retrouvant la tranquillité qui commençait à nous faire défaut depuis que nous avions rejoint ma famille.

— Je suis désolé si elles t’ont mise mal à l’aise.

Tout s’est fait tellement naturellement, je n’ai pourtant pas l’habitude de ramener une fille à une sortie familiale et encore moins lorsque je viens à peine de la rencontrer.

— Non ne t’inquiète pas, ils sont tous adorables, tes soeurs sont juste un peu curieuses peut-être.

— Tu leur as parlé du bar ? reprend-elle amusée.

— Seulement à Ness, nous sommes très proches. Jessy c’est plutôt comme une deuxième mère, les jumelles, et bien elles sont fusionnelles, et avec Ellie, comment dire, nous n’avons pas les mêmes préoccupations…Avec Ness c’est différent.

— Ça se voit.

— Quand elle est née, je n’étais plus le dernier mais le grand frère. On a peu d’écart, à l’adolescence on a côtoyé les mêmes cercles d’amis, les mêmes endroits.

— Je vois le côté pratique de la chose, me dit-elle en me poussant de son épaule pour me déséquilibrer.

Avoir autant de sœur peut avoir ses avantages mais c’est principalement auprès des amies de Ness que j’ai eu le plus de succès même si une ou deux des copines des jumelles m’ont trouvé à leur goût.

J’étais flatté à l’époque et j’avais besoin d’assouvir mon pouvoir de séduction mais je me suis vite rendu compte que c’était une mauvaise idée surtout si je brisais le cœur de l’amie en question. Les semaines qui suivaient la rupture devenaient un vrai cauchemar dans l’enceinte familiale.

— Oui c’est vrai, finis-je par avouer. Je suis sorti avec une ou deux de ses amies.

— Une ou deux ? dit-elle en levant un sourcil.

Je ne réponds pas mais le sourire de fierté que j’affiche ne laisse aucun doute sur la réponse, ce qui me vaut une tape sur l’épaule.

— Et pour Colleen tu m’expliques.

Mon sourire s’efface. Je ne suis pas certain d’avoir envie qu’elle me connaisse sous un moment de faiblesse.

Je l’observe un instant, elle attend ma réponse, n’osant lever les yeux sur moi. Je ne vais pas lui mentir.

— Qu’est ce qui te fait croire qu’il y a eu quelque chose avec elle, dis-je sans lever les yeux du sol qui défile sous nos pas, sur un ton neutre.

— Disons que c’est l’intuition féminine…

— Et le fait qu’elle m’ait fusillé du regard dés l’instant où tu as posé ton bras sur mon épaule quand tu nous as présentées, reprend-elle en haussant les épaules et en glissant un regard gêné vers moi.

Je secoue la tête non pas pour nier l’évidence mais pour trouver les mots.

Je me passe une main dans les cheveux cherchant la façon dont je pourrais présenter la situation, les circonstances de mes actes.

Elle attend patiemment que je lui réponde, sans me presser.

— Quand James est mort, je me suis effondré, j’avais perdu un frère. Après l’enterrement nous nous sommes retrouvés entre amis à mon appartement, Colleen était là, elle était aussi anéantie que moi. Je crois qu’elle avait un faible pour lui. On a un peu bu et quand il s’est fait tard tout le monde est rentré chez soi, Colleen est restée m’aider à ranger. Nous avons bu quelques verres de plus pour noyer notre peine.

J’ose un regard dans sa direction, elle m’écoute les yeux perdus dans le paysage arboré.

— Elle m’a embrassé, je crois qu’on avait tous les deux besoin de quelqu’un pour se réconforter du vide qu’il avait laissé. Ce n’est pas très élégant de dire ça mais je n’ai pas vraiment de souvenir de cette nuit là. Je me suis réveillé allongé près d’elle dans mon lit le lendemain avec une gueule de bois, rongé par la culpabilité.

Je fais une pause dans mon histoire.

Je ferme les yeux un instant en secouant la tête tentant de chasser les souvenirs qui m’assaillent.

C’était il y a tout juste trois mois et son absence est tellement lourde à porter, j’ai l’impression de l’avoir trahi lui aussi. Il n’était pas l’homme d’une seule femme, il avait une fêlure en lui qui l’empêchait de se poser quelque part. Et pourtant, je voyais parfois comment il la regardait, je me disais qu’elle aurait pu le canaliser, être celle qui lui permettrait de chasser ses démons.

— Lorsqu’elle m’a retrouvé dans la cuisine ce matin là, je me suis fait l’effet d’un vrai connard. Il y avait un malaise entre nous. Je lui ai dit qu’on avait fait une erreur et que ça ne se reproduirait plus. Nous n’en avons plus jamais reparlé, pour moi nous étions seulement amis. Je pensais qu’elle était d’accord avec ça, mais j’ai vu comment elle t’a regardé, je suis désolé.