Fyctia

Fraîchement douché, je sors des vestiaires mon sac sur l’épaule.

Jack m’attend à l’extérieur occupé à regarder son portable. Dès qu’il me voit il le range et s’adosse au mur en croisant les bras.

— Alors ?

— Alors quoi ?

— Elle est là, un samedi matin et vous êtes venus ensemble… tu m’expliques.

— On a bu un verre, on a dîné ensemble et je l’ai invitée à assister au match.

— Et ?

— Et rien, elle est venue, tout simplement…

— Tu ne me diras rien de plus j’imagine.

— Non, dis-je en m’adossant au mur face lui en imitant sa position avec un sourire.

— Je ne t’ai pas trop aidé sur ce coup là…

— Non, c’est certain !

— Tu n’avais pas besoin de moi ! me dit-il en me faisant une tape sur l’épaule.

— Et si on allait la sauver, ajoute-t-il en m’indiquant d’un signe de tête l’attroupement qui nous attend plus loin.

Je les observe. Mes sœurs sont effectivement toutes rassemblées autour de Joe et je sais à quel point elles peuvent être pénibles quand elles s’y mettent, surtout lorsqu’elles sont réunies.

Même Ellie, ma plus jeune sœur, a daigné délaisser son portable pour porter son attention sur elle, un exploit.

Je salue quelques gars de l’équipe qui s’attendent pour aller fêter la victoire et nous nous dirigeons vers le groupe.

A mesure que nous avançons je la contemple. Elle est naturelle, dans son élément, sans prétention. Mes sœurs l’ont déjà adoptée.

Elle m’aperçoit et m’adresse un sourire dont je suis le seul destinataire, ce qui me ravit.

Jack et Jenny, quant à eux, ont quelque chose de prévu et s’éclipsent rapidement.

— Tu as survécu, lui dis-je tout bas près de son oreille pour qu’elle soit la seule à m’entendre.

Ma réplique me vaut un coup de coude dans les côtes et ses grands yeux gris sont braqués sur moi, les sourcils froncés, craignant probablement que quelqu’un m’ait entendu.

— Nous avons gagné…, dis-je avec délectation.

— J’ai remarqué !

— Tu restes alors…

— Je ne voudrais pas m’imposer, vous êtes en famille, ajoute-t-elle.

— Qu’est ce que vous trafiquez les tourtereaux, nous coupe Ness.

— Nous ne sommes pas…amorce-t-elle.

— On est juste…amis, dis-je en même temps.

— Oui amis, confirme-t-elle après une pause en me regardant.

Nos yeux se scellent, et plus rien n'existe si ce n'est ce regard, dont je rêve de découvrir les mystères.

— OK…, réplique ma sœur d’un air entendu, alors qu’est-ce que vous manigancez ?

— Rien je proposais à Joe de se joindre à nous pour le pique-nique.

— Génial ! on va pouvoir discuter, dit-elle à Joséphine avec un clin d’œil qui l’accueille avec un sourire chaleureux mais quelque peu gênée.

— Ness, on va peut-être la laisser respirer un peu, sinon elle va finir par s’échapper à la première occasion.

— Oui, oui, bien sûr… bon on se retrouve là-bas !

— Ok, on se retrouve là-bas, dis-je à l’assistance qui commence à se disperser pour rejoindre les voitures.

— Je vois que je n’ai pas trop le choix… me dit Joe dans un sourire alors que nous nous dirigeons nous aussi vers la voiture.

— Tu as toujours le choix, je lui réponds en marchant à reculant pour me retrouver face à elle.

— Vraiment ? me dit-elle en m’assenant une tape sur le torse et en levant les yeux au ciel.

Son pied glisse sur une pierre et elle manque de trébucher, je la rattrape pour lui éviter la chute.

Elle se retrouve dans mes bras, ses mains posées sur mon torse, ma main libre la maintenant par la taille. Elle lève les yeux sur moi et en un instant ses joues prennent une jolie couleur rosée.

Je n’ai pas le temps d’apprécier ce contact qu’elle se détache déjà de moi en s’excusant et en remettant une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Ça va ?

Elle acquiesce mais à la crispation qui déforme son sourire je suspecte qu’elle se soit fait mal. Je m’accroupis et lui saisis doucement la cheville qui semble douloureuse. Elle s’appuie sur mon épaule pour maintenir son équilibre. Je manipule lentement son pied en l’interrogeant silencieusement du regard.

— C’est juste un peu douloureux, ça va aller, m’assure-t-elle.

— On devrait peut-être aller chercher quelque chose pour le pique-nique ? ça me gène de m’incruster sans rien apporter.

— Ne t’inquiète pas, Jessy a dû prévoir pour un régiment, et j’ai pris quelques affaires que j’ai mises dans le coffre tout à l’heure. Ne t’appuie pas trop sur ton pied, agrippe-toi à moi, lui dis-je en lui tendant le bras.

— Un preux chevalier jusqu’au bout…

Elle crochète son bras au mien et nous avançons doucement jusqu’à la voiture dans laquelle elle s’installe le temps que je range mes affaires.

Nous mettons quelques minutes à nous rendre au Saint James Park où nous avons nos habitudes à la belle saison.

Sur le parking nous nous organisons pour récupérer le nécessaire pour le pique-nique et Joséphine se voit confier la garde de Lily et Kessy qui ne la lâche pas d’une semelle de toute façon.

Toute cette petite troupe se déplace alors vers un coin de pelouse et nous nous y installons sur les consignes de Jessica qui dirige les opérations comme à l’accoutumée. On dispose les victuailles sur la couverture centrale et chacun s’assoit sur d’autres couvertures autour.

— Wouah, c’est impressionnant, me dit Joe en s’installant près de moi alors que Lily vient se mettre tout contre elle.

— Lily, laisse Joe tranquille s’il te plait, lance Jessy d’un air désolé.

— Non, ça ne me dérange pas, elle est adorable.

Lily est ravie et Jessy, après avoir remercié Joe, commence à passer les plats pour qu’on se serve.

— C’est une vraie organisation, dis-je pour répondre à sa remarque. Au départ, chacun apportait un peu de tout et on oubliait toujours quelque chose. Du coup, notre général en chef s’en est mêlé, dis-je en désignant d’un signe de tête ma soeur ainée, et depuis c’est réglé comme du papier à musique.

— Et toi tu es préposé à quoi ?

— Bières, chips, serviettes, assiettes et verres en plastique…

— Je vois, dit-elle après s’être esclaffée brièvement et en prenant une chips dans le paquet que je lui tends, c’est essentiel !

Nous commençons à manger en piochant dans différents plats.

Elle a raison, on ne fait pas dans la demi-mesure, il y en a trois fois trop comme toujours.

Je discute avec Todd qui est soulagé de ne plus avoir à gérer Kessy qui a rejoint Lily auprès de Joe.

Elle est formidable avec les enfants, ils boivent ses paroles et ne rechignent pas lorsqu’elle leur demande de faire quelque chose. Elle est rayonnante et ne cache pas sa joie de s’occuper d’eux.

Mes pensées s’assombrissent lorsque me revient à l’esprit la terrible perte qu’elle a subit. Je l’imagine avec une mini-elle et mon sang se glace d’entrevoir la profonde tristesse qu’elle a du endurer. Comme nourri par un instinct, son regard se pose sur moi et son sourire me ramène au présent.