KBrusop Saveur Citron Chapitre 8

Chapitre 8

Nous commençons à discuter de façon tout à fait naturelle. Comme ces personnes qui se revoient après une longue absence mais semblent ne s’être jamais quittés.

Elle m’explique qu’elle a eu un coup de foudre pour Londres lors d’un échange scolaire. Sa correspondante, Jane, est alors devenue l’une de ses meilleures amies. Elle est ainsi venue très régulièrement ici, adolescente. Elle m’apprend encore qu’elle a passé une bonne partie de ses étés à travailler pour Bob comme serveuse, lorsqu’elle était étudiante. Ce qui explique probablement qu’elle n’ait presque pas d’accent, et le côté surprotecteur du patron à son égard.

Je lui parle à mon tour de mes sœurs et de mon enfance, lorsque j’aperçois une alliance à sa main alors qu’elle remet une mèche derrière son oreille.

Mon regard se fige et ma phrase reste en suspens. Décontenancé, je saisis mon verre pour fixer mon attention sur autre chose.

— Vous êtes mariée, dis-je plus sur le ton de l’affirmation que d’une question.

J’ai conscience que mon ton est plus froid que je ne l’aurais voulu.

— Oui… non ! susurre-elle dans un souffle.

Toute son attitude est transformée. Je sens la tension dans ses épaules. Son visage devient pâle et son regard s’assombrit. Les yeux figés sur ses mains, elle triture nerveusement la bague.

— Je… commence-t-elle mais sa phrase reste inachevée.

— Je suis désolé. Vous ne me devez pas d’explication, ajouté-je d’un ton rassurant.

Je comprends que le sujet est sensible, et me déteste d’avoir provoqué son malaise.

Elle relève lentement la tête vers moi. Dans son regard, je retrouve la tristesse que j’avais entraperçue lors de notre baiser. Je regrette instantanément de l’avoir provoquée.

— Non, je ne vous dois rien c’est vrai, mais… étrangement j’y tiens.

Le murmure de ses paroles se perd dans le bruit de fonds qui me semble alors assourdissant.

Mes yeux se perdent dans les siens. Je peux y lire tellement de choses. Une peine immense, un bonheur perdu, des regrets… J’aimerais ne pas avoir posé cette question pour la revoir sourire.

Elle reporte son attention sur ses mains et prend une grande inspiration, comme si la révélation qu’elle s’apprête à me faire lui pèse sur la poitrine.

— Il y a quatre ans, jour pour jour, j’ai perdu ma famille dans un accident de la route, m’annonce-t-elle sans relever les yeux.

— Jour pour jour ? Votre famille… ? répété-je presque malgré moi, maladroitement.

— Il pleuvait, poursuit-elle le regard lointain, mon compagnon et notre fille de trois ans ont été fauchés par un camion qui a perdu le contrôle. Ce jour là, j’ai tout perdu. Nous étions à quelques semaines de notre mariage, dit-elle les yeux fixés sur l’anneau,… Quelques jours après l’accident, on m’a livré mon alliance. Je ne sais pour quelle raison je l’ai mise, et depuis je n’ai jamais pu me résoudre à l’enlever.

Ses dernières paroles sont presque imperceptibles. J’en reste sans voix, sonné par cette annonce. Ne sachant pas vraiment comment réagir. Ses mots me replongent dans la douleur de la perte de James, et je ne peux qu’imaginer la terrible souffrance qu’elle a due endurer. Elle a l’air si fragile.

Je tends la main et relève délicatement son visage.

Ses yeux sont voilés et une larme coule lentement sur sa joue. Je l’essuie du pouce et garde ma main sur sa joue, les yeux rivés aux siens.

— Vous permettez que je vous prenne dans mes bras ? lui dis-je en descendant de mon siège pour m’approcher d’elle.

— S’il vous plait, dit-elle en acquiesçant imperceptiblement.

Je réduis l’espace entre nous et l’enlace, sa tête lovée sur ma poitrine. Nous restons comme ça quelques minutes, et je me retiens de déposer un baiser sur le haut de sa tête pour l’apaiser. Je crois sentir ses épaules se détendre très légèrement. Elle se décale doucement et relève ses grands yeux gris vers moi. Je remarque seulement qu’ils ne sont ni bleus ni verts, mais d’un gris envoutant.

— Je suis désolée, j’en parle rarement et c’est la première fois avec quelqu’un que je viens de rencontrer.

— Et moi, c’est la première fois que je réconforte une jolie femme dont je ne connais pas le prénom… dis-je en tentant un sourire, espérant retrouver le sien.

Je suis soulagé d’entrevoir ce sourire se dessiner sur son beau visage mais je la vois à regret s’écarter de moi.

— Je pensais que vous le saviez… dit-elle surprise.

— C’était la deuxième condition pour avoir la chance de vous revoir, vous seule pouviez me le confier.

— Et la première ?

Sans un mot, je tapote la feuille devant nous avec un clin d’œil, et je suis récompensé par un nouveau sourire chaleureux.

— Joséphine, me dit-elle en me tendant la main comme elle l’avait fait en arrivant. Mais mes amis m’appellent Joe.

— Matthew, dis-je en saisissant sa main, mais appelez-moi Matt.

— Enchantée Matt.

— Tout le plaisir est pour moi, dis-je en inclinant la tête et en approchant sa main de mes lèvres pour lui faire un baisemain.

Je fais consciemment durer ce contact, et le frôlement de mes lèvres sur sa peau lui provoque un léger frison, ses joues reprennent quelques couleurs et son visage n’a plus un air aussi triste. Je m’écarte et me rassois sans la quitter des yeux pour profiter de cet instant d’intimité.

Mais c’est sans compter sur notre hôte, qui vient se poster devant nous, attendant que notre attention lui soit totale.

— Tout se passe bien, ma jolie ? s’adresse-t-il à Joe.

— Tout va bien, merci Bob.

— Méfie-toi quand même, à force de le voir ici, j’ai failli lui proposer un job ! Il était presque plus ponctuel que moi ! dit-il avec un sourcil relevé à mon attention.

— C’est vrai ? me demande-t-elle d’un ton amusé.

— Bravo ! dis-je en m’adressant à Bob. Je passe pour un psychopathe maintenant.

— Ou un tueur en série… ajoute-elle en retenant un rire.

— Ne t’inquiète pas pour ça, je connais du monde dans la police, ils se sont renseignés…

— Quoi ? dis-je interloqué en les regardant l’un et l’autre tour à tour.

— Mais non, me répond-il en éclatant de rire et en me tapant sur l’épaule. Mais je pourrais le faire !

D’un coup plus sérieux, il s’éloigne en récupérant la feuille sur le bar, devant mon air ahuri.

— Il va me faire devenir chèvre si ça continue, fais-je en secouant la tête.

— Je crois qu’il vous fait passer une sorte de test. Je pense qu’il commence à vous apprécier, dit-elle en observant Bob d’un regard affectueux.

— Qu’est-ce que ça doit-être lorsqu’il n’apprécie pas quelqu’un.

Elle se penche doucement vers moi, de sa main m’invite à l’imiter et regarde à droite puis à gauche, conspiratrice.

— Personne ne le sait, il n’a laissé aucun témoin, chuchote-t-elle si bas que nos visages ne sont qu’à quelques centimètres.

Je sens le souffle de sa respiration près de mon oreille. Je me recule lentement, le sourire aux lèvres.

Elle s’accoude au bar, sa tête posée dans sa main, les yeux pétillants de malice toute fière de son effet.


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32

32 commentaires

Ellover

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Il y a 3 ans

Ah ! Ils vont se revoir ! (Enfin!) J'ai juste un problème avec T'es phrases longues sans ponctuation, je suis obligée de les relire plusieurs fois pour ne pas décrocher. Je ne sais pas si je suis seule dans ce cas?

KBrusop

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Il y a 3 ans

Je te confirme on me l’a déjà dit, je vais modifier sur la correction😉… merci pour tes commentaires et annotations ! Tout est très utile !

Jess Swann

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Il y a 3 ans

Mmmmm je penche pour un divorce ou une séparation douloureuse, vu sa remarque sur le fait que ça fait longtemps qu'elle n'a pas eu de rendez vous. Ou pire, un veuvage ! Certaines phrases sont un peu longues et mériteraient d'être coupées, toutefois, ça ne m'a pas gênée. J'aime beaucoup la relation de Joe avec Wendy et le patron du bar, on sent qu'ils la protègent et j'aime l'idée que Wendy ait parlé en faveur de Matt

ElsaBianchi

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Il y a 3 ans

L’appréhension qu’elle ressent, j’ai l’impression de la vivre aussi ! Tu décris cela vraiment très très bien !

Mary Cerize

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Il y a 3 ans

Mystérieux, prenant et délicat à la fois très beaux chapitres que j'ai apprécié lire

KBrusop

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Il y a 3 ans

Merci ☺️

Guyanelle

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Il y a 3 ans

Il y a encore une aura de mystère qui plane autour de Joséphine, ce qui est toujours intéressant. Le fait que tu ne t'y attardes pas trop est toutefois bienvenu. Sans alourdir le texte, cette part de suspens est toujours là... Le lien avec sa collègue/amie dynamise la scène. Le message qui accompagne le bouquet est efficace. On sent que Joséphine n'y est pas indifférente! La description de sa tenue et de sa coiffure aide à construire son profil, et on peut l'imaginer aller à ce rendez-vous. Aussi enthousiaste qu'angoissée, Joe est très touchante!

Vinciane Leroy

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Il y a 3 ans

Tu vas devenir ma lecture du soir. Je continue d'apprécier ma lecture 💕

KBrusop

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Il y a 3 ans

Merci beaucoup ! Les petits retours sur l’histoire font toujours plaisir (positifs ou négatifs alors n’hésite pas à faire des remarques !!)

Lili Adams

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Il y a 3 ans

Bon nous y sommes. Le premier rendez-vous 🥰. En tout cas, quoi qu'elle ait pu vivre, elle est entourée de personnes qui tiennent vraiment à elle et j'aime comment tu nous les décris. C'est l'heure pour moi d'aller récupérer mes enfants à l'école. Je reviendrai ce soir avec grand plaisir lire la suite de leurs avanetures 😉
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