Fyctia

Matthew

Cette journée a été un enfer ! Outre le fait qu’elle ait été interminable, j’ai dû faire face à deux rendez-vous d’affaire avec des clients exigeants, aux demandes totalement irréalisables mais, bien entendu, aux budgets conséquents. Nous nous sommes efforcés avec Jack de leur proposer des compromis mais la négociation a été longue et épuisante.

Mon état de nervosité n’est pas étranger à l’attente de cet ultime rendez-vous de la journée et cela n’a pas échappé à mon associé. Il n’a eu de cesse de me demander ce que j’avais, et la raison pour laquelle je semblais plutôt préoccupé et absent aujourd’hui. Évidemment, en fin de journée, je me suis décidé à tout lui expliquer.

Il m’a écouté sans broncher ni fait aucune remarque. Il est resté un moment silencieux, puis m’a simplement fait une tape sur l’épaule en me souhaitant bonne chance. Il a pris sa veste et a quitté le bureau sans un mot, un léger sourire aux lèvres.

Son comportement m’a laissé dubitatif. Je ne m’attendais pas à une réaction particulière de sa part mais, en tout cas, pas à celle-là. Je crois que la situation le fait jubiler. À la réflexion, s’il a pu survivre à des mois de séduction avec Jenny, je devrais réussir à convaincre ma belle inconnue que je ne suis pas le parfait idiot qu’elle a croisé.

Je finis par me détendre et rentre rapidement chez moi prendre une douche et me changer. Je troque mon costume cravate pour un jean, un tee-shirt blanc et une veste sombre pour un style décontracté, qui ne traduit pas l’état de stress dans lequel je me trouve. Je me rends à ce rendez-vous avec doutes et appréhension. Sera-t-elle là ? Ai-je idéalisé notre brève rencontre ? Ai-je rêvé cette connexion entre nous ? Autant de questions qui me suivent sur la route qui me mène à ma destination.

Il est encore tôt quand j’arrive. Je m’installe à l’une des nombreuses places disponibles au comptoir du bar, sous l’œil sombre du patron et le sourire encourageant de la serveuse. Je les salue d’un signe de tête et commande une bière.

La serveuse vient me servir mon verre, et je l’interroge du regard.

— Elle a bien reçu les fleurs, mais je ne sais pas si elle va venir, m’informe-t-elle en haussant les épaules d’un air désolé.

— Merci… ?

— Wendy ! me répond-elle.

— Merci Wendy, pour ce que vous avez fait !

Je m’interromps lorsque la porte du pub s’ouvre sur un groupe de jeunes. Déçu, je reporte mon attention sur la jeune femme qui me lance un regard compatissant. Elle me fait comprendre qu’elle doit aller servir des clients. J’acquiesce et entame ma bière.

Cela fait près de trois quarts d’heure que je suis là, et j’ai cessé de me retourner à chaque mouvement de la porte. Le bar s’est peu à peu rempli et je suis perdu dans mes pensées devant mon verre à peine entamé.

J’aperçois la silhouette de la serveuse se matérialiser devant moi et je relève la tête vers elle. Elle tente un sourire.

— Il est encore tôt vous savez…

Sa tentative de me rassurer me décoche un rire. Ça a au moins le mérite de me détendre.

— Je me trompe ou vous vous montrez encourageante ?

— À vrai dire, vous m’avez l’air sympathique et je me sens fautive que vous soyez là, à attendre.

— Ne vous en veuillez pas, au contraire, au moins je serai fixé ! Vous la connaissez depuis longtemps ? ajouté-je, plus pour alimenter la conversation que pour lui soutirer des informations, car je doute qu’elle soit disposée à m’en donner davantage.

— Je…, elle s’interrompt et je vois son visage s’illuminer alors qu’elle regarde par-dessus mon épaule. Elle vous le dira elle-même ! achève-t-elle de façon explicite.

Je me retourne et la vois à quelques mètres de là. Mes souvenirs ne lui rendaient pas hommage. Elle est fabuleuse et dégage malgré elle une réelle sensualité. Nos regards s’accrochent et même si j’aperçois une lueur d’hésitation, elle finit par s’approcher d’un pas décidé.

— Bonsoir, Matthew.

— Bonsoir.

Je réponds en saisissant la main qu’elle me tend pour me saluer et l’invite à s’asseoir près de moi.

— Merci pour les fleurs, elles sont magnifiques mais ce n’était pas nécessaire vous savez.

— Si, ça l’était, et je me devais aussi de vous offrir un autre verre… Martini fraise je crois me souvenir, ajouté-je taquin.

— À vos risques et périls, acquiesce-t-elle, un sourire espiègle aux lèvres.

Le ton de la soirée est donné et ce sourire est un véritable plaisir pour les yeux.

Elle fait un petit signe de la main à Bob qui vient lui servir son verre. Elle lui décoche une bise sur la joue pour le remercier. Le visage de l’homme bourru est transformé de ravissement, mais s’assombrit à l’instant où son regard se pose sur moi. Alors qu’il s’éloigne pour servir d’autres clients, il se retourne, et d’un geste montre ses yeux puis ma direction pour me signifier qu’il me tient à l’œil. La réaction de la jeune femme est immédiate. Son rire fait écho à ma consternation et se mêle à celui plus sonore de Bob qui se remet au travail, fier de sa plaisanterie.

— Il a l’air de beaucoup vous aimer.

— Oui, il me connait depuis que je suis toute jeune et il me couve comme un père. D’ailleurs, je suis désolée pour la photo, ajoute-t-elle d’un air vraiment navré.

— La photo ? Vous l’avez vu ? dis-je étonné repensant à la photo prise par Wendy sur son portable la veille au soir.

— Euh, oui ! Comme la plupart des clients, je pense.

Voyant que je ne semble pas comprendre, elle se tourne vers Wendy qui se trouve près de l’entrée. De loin, elle lui fait signe de regarder son portable et lui envoie un message que la serveuse lit instantanément. Après un regard surpris dans notre direction, elle se dirige vers le coin du bar qui se trouve face à elle et retire du mur une feuille de papier. Wendy passe ensuite derrière le comptoir pour nous l’apporter. Elle la pose devant moi sans un mot, d’un air désolé, et s’éclipse rapidement.

Je reste sans voix devant mon portrait en noir et blanc, sous lequel est indiqué « Wanted » en gras dans l’écriture d’un authentique western, suivi des mots « Une bière offerte à celui qui donnera des informations utiles sur cet homme ».

Je lève les yeux sur la jeune femme qui m’accompagne et qui tente désespérément de réprimer un fou rire. Je me tourne vers Bob qui, lui, ne cache pas le sien, son ventre rebondi bougeant au rythme de ses gloussements. Pris dans l’euphorie générale, je finis moi-même par rire de bon cœur et je lève mon verre à l’attention du patron. Ce dernier me répond en soulevant une casquette imaginaire et en inclinant la tête.

Je me retourne vers ma belle invitée, et fais tinter mon verre contre le sien dans une ambiance dorénavant totalement détendue.