KBrusop Saveur Citron Chapitre 1

Chapitre 1

Matthew

J’attends nos verres au bar, et j’observe mes amis plaisanter autour d’une table de comptoir. Cependant, leurs rires sonnent faux, la tension est palpable.

Nous sommes une bande d’amis, inséparables depuis le lycée. Malgré des carrières bien différentes, nous sommes restés très proches. Il y a trois mois, nous avons perdu l’un des nôtres, James, le chien fou de la bande. Un accident de la route lui a été fatal, et nous sommes ici, ce soir, en son honneur.

Il aimait la vie, la vivait sans limite. En dépit de notre peine, et du choc laissé par sa disparition, il aurait souhaité nous voir réunis autour d’une bière comme nous le faisions souvent. Pourtant, nous n’avons pu nous résoudre à nous retrouver dans les lieux où nous avions l’habitude d’aller : trop tôt, trop de souvenirs.

Jack, qui est aussi mon associé, a découvert ce pub après un rendez-vous d’affaire près de Leicester Square.

L’endroit est agréable avec son immense bar en bois sombre qui longe le mur principal. La salle s’étend sur deux niveaux avec, près du bar, des tables hautes entourées de tabourets. Quelques marches mènent à la pièce centrale, où sont disposées plusieurs tables basses avec banquettes pour une ambiance plus cosi. Des lampes, de différentes dimensions, contribuent à donner à ce lieu une atmosphère chaleureuse. Dans un coin, un écran retransmet un match de rugby et en fond sonore, on perçoit une musique rythmée, couverte par le brouhaha des clients. Il y a foule en ce jeudi soir et toutes les tables sont occupées.

Jack me tire de mes pensées en réclamant nos bières que le patron vient de me servir. Les quatre verres en main, je les rejoins et m’installe sur le tabouret libre.

— À James, lance Andrew en levant son verre. Qu’il repose en paix et veille sur nous !

— T’es sérieux ? À mon avis, où qu’il soit, il n’est pas prêt de se reposer. Il doit y semer un sacré boxon en charmante compagnie. Tout ce que j’espère, c’est qu’il nous en laisse quelques unes le moment venu… réplique Jack.

Sa remarque me fait sourire et je lève mon verre.

— À James ! lançons-nous à l’unisson en faisant entrechoquer nos verres avant d’en boire une gorgée.

— Je ne pense pas que Jenny te laisse approcher qui que ce soit, même après le trépas… enchaîne Stephen.

Jack esquisse un sourire, mais ne relève pas, pleinement conscient qu’il a raison. Jenny et lui se sont rencontrés à l’université. Un vrai cliché. Très populaire, il en avait beaucoup profité jusqu’à ce qu’il tombe sur Jennifer Lens, étudiante studieuse, sur qui ses charmes n’avaient aucun effet.

Par principe, il s’était fait un challenge de l’accrocher sur son tableau de chasse. Pourtant la belle n’avait succombé à aucune de ses avances. Après plusieurs semaines d’une cour acharnée, mais clairement sans effet, il s’était fait prendre à son propre jeu. Il avait passé les mois qui suivirent à tenter de la conquérir. Nous l’avions soutenu, alors qu’il était désemparé et sincèrement fou amoureux d’elle. Nous avions finalement convaincu la jeune femme de lui accorder un unique rendez-vous, et de lui laisser sa chance. Depuis, ils ne s’étaient plus quittés. Et sans être d’une jalousie maladive, Jenny connaissait le passé de Jack et s’assurait de lui éviter de retomber dans ses travers d’étudiant. Cette relation avait transformé Jack. À presque 30 ans, il était devenu un homme sérieux, heureux d’être l’homme d’une seule femme et un excellent associé.

— Je vais la demander en mariage ! lâche-t-il alors que je prends une autre gorgée de ma bière.

Je manque de m’étouffer à cette annonce.

— Matt, ça va ? me demande-t-il alors qu’il me tape dans le dos.

— Préviens avant d’annoncer ce genre de chose !dis-je en toussant.

— Elle est enceinte ? lance Stephen.

— Très drôle, non ! En tout cas pas que je sache. Mais avec ce qu’il s’est passé…

L’allusion à l’accident de moto nous fait garder le silence.

— La vie est courte les gars, reprend Jack d’un ton sérieux après un moment. Je n’ai aucun doute sur notre relation. Jenny a 28 ans, on veut fonder une famille…

— Pourvu qu’elle dise oui ! lâche Andrew en éclatant de rire.

Le visage de Jack se décompose au souvenir des semaines de galère qui avaient précédé leur relation. Nos rires font écho à celui d’Andrew. Tous plus détendus, nous levons nos verres pour trinquer.

— Sur une telle annonce, James nous aurait lancé un challenge ! s’exclame Andrew avec un sourire en coin.

C’est vrai, James ne ratait jamais l’occasion de s’amuser. Je l’ai vite compris lors de notre rencontre alors que nous n’étions que des enfants.

Nous avons grandi ensemble dans les quartiers nord de Londres. À l’époque, tout nous opposait. Seul garçon d’une fratrie de six, j’ai grandi dans une famille nombreuse et unie. James était fils unique. Sa mère est décédée alors qu’il était très jeune. Son père ne s’en est jamais remis et a sombré dans l’alcool, obligeant son fils à se débrouiller seul la plupart du temps, et ce par n’importe quel moyen.

Notre rencontre a été fracassante. Nous avions 10 ans quand il a essayé de me racketter. Je me suis défendu et, à l’issue de la bagarre, qui m’a d’ailleurs laissé une cicatrice sur l’arcade sourcilière, nous avons tous les deux écopé d’un renvoi de l’école. Durant les deux semaines d’exclusion, nos pères ont décidé de nous faire travailler ensemble pour aider à rénover la chambre de ma sœur Ellie dont nous attendions la naissance.

Par la force des choses, nous sommes devenus amis. Pour James, notre maison était pratiquement devenue la sienne. Sa disparition a laissé un énorme vide en moi. J’ai perdu un frère.

— Alors, qu’est-ce que tu proposes? demande Stephen.

— Comme nous sommes encore « officiellement » quatre célibataires, je propose que le plus rapide d’entre nous à se faire embrasser par une jeune et belle inconnue, ne paye pas sa tournée.

— Alors là, les gars, je vous arrête tout de suite, dit Jack. Si je veux m’avancer jusqu’à l’autel avec tous mes attributs, je passe mon tour !

— C’est pas faux, approuve Stephen. Dans ce cas, tu seras l’arbitre. Tu tiens le chrono et tu désignes les prétendantes.

— C’est n’importe quoi, retorqué-je. C’est dégradant ! On a passé l’âge des paris d’ado, et je vous rappelle que je viens de payer ma tournée…

— Ouais… En fait, tu te dégonfles, me lance Andrew avec un sourire. Et tu sais très bien que James aurait proposé bien pire !

— Allez, réplique Jack. En sa mémoire. Promis, dernière attitude dépravée… avant mon enterrement de vie de garçon.

Je lui lance un regard noir, sachant très bien qu’il ne va pas se prêter lui-même au jeu, et finis par accepter dans un soupire. Je n’en reviens pas qu’à 30 ans et patron de ma propre boîte je me laisse entraîner dans une telle galère.


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37

37 commentaires

Emilie Ewing

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Il y a un an

Bien ecrit

KBrusop

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Il y a un an

Merci

Mia Demo

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Il y a 2 ans

C'est fluide, décors posé sans trop en faire, on se sent bien dans ce bar, dans cette ambiance, dans ce groupe de copains. On pleure presque le disparu "avec" eux. Et en même temps pas déprimant. Chouette entrée merci pour la lecture 😊 je continue

KBrusop

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Il y a 2 ans

Merci 😊

WendyC.

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Il y a 2 ans

Ton style est très fluide j’aime beaucoup ☺️☺️

KBrusop

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup ☺️

reveusedhistoires

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Il y a 3 ans

Très belle entrée en matière, touchante. C'est un début qui change des histoires qui suivent un schéma "classique". Bravo 🙂

KBrusop

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Il y a 3 ans

Merci c’est gentil 😊

Jess Swann

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Il y a 3 ans

Une bande d'amis qui semble très sympathique, réunis pour un dernier hommage à l'un des leurs. Ca part bien. Les dialogues sont fluides et tu nous fournis suffisamment d'informations pour que nous ne soyons pas perdus

KBrusop

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Il y a 3 ans

Merci
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