Fyctia

L’attente des analyses ADN fut longue et angoissante, mais le verdict ne fit que confirmer ce que tous redoutaient : le sang maculant le pull et la serviette découverts chez Samantha appartenait bel et bien à Tony.

Jeremiah dut annoncer la nouvelle à sa cliente, qui ne broncha pas, ni ne passa aux aveux… "Quelqu’un avait dû les lui faire porter… Peut-être même les policiers, qui sait !" Ce fut sa seule réaction et elle revint aussitôt à la charge sur ce qu’il comptait faire pour la tirer d’affaire !

Après avoir tenté de la convaincre de plaider coupable, et s’être heurté à son refus catégorique, comme si elle n’avait pas fait appel à lui pour ses services hors de prix et son palmarès impressionnant, il lui promit qu’il travaillait sur son dossier, mais qu’elle devait se montrer patiente quand à la possibilité de demander la transformation de sa détention provisoire en placement sous surveillance à domicile avec bracelet électronique . Or, pour l’instant et face au déluge de preuves qui l’accablaient, il n’était pas du tout opportun de faire une telle requête.

- Nous avons plusieurs options… Bientôt, nous aurons une audience devant le juge des libertés et de la détention. Il lira votre acte d’accusation et nous saurons enfin si vous êtes poursuivie pour l'assassinat de votre ex compagnon, ce qui sera probablement sans doute le cas vu votre manque de coopération.

- Par manque de coopération, vous voulez dire que je refuse d’avouer un crime que je n’ai pas commis ?

- Mon boulot, Samantha, est de vous conseiller sur la meilleure stratégie pour que vous passiez le moins de temps possible en prison. Je suis doué, c’est vrai mais je ne fais pas de miracle, contrairement à ce qu’on raconte. Pour l’heure, votre situation n’est pas complexe, elle est d’une évidence flagrante. Les preuves s’accumulent et vous n’avez aucun alibi ni témoin qui puissent vous disculper de ce meurtre grossièrement déguisé en suicide.

- Je ne comprends pas pourquoi ils ont écarté si vite la piste du suicide ? marmonna Samantha en tortillant ses doigts devant elle.

-Parce qu’il était gaucher mais qu’il se serait tiré une balle dans la tempe avec la main droite, parce que le pistolet à ses côtés ne portait aucune empreinte. Aucune ! Ni la sienne, ni celle de celui qui a tiré. Ce qui signifie qu’il a été soigneusement nettoyé avant d’être posé à côté du corps de Tony. Parce que vous avez affirmé qu’il s’était suicidé dès que les policiers vous ont annoncé sa mort, que vous n’avez pas versé une larme à l’annonce de son décès, que vous êtes la petite amie et qu’en cas d’homicide, les premiers suspects sont toujours les conjoints ou les proches de la victime. Quand ils ont recueilli les témoignages de la voisine et du gardien d’immeuble et qu’ils ont retrouvé ces maudits tissus imbibés du sang de Tony chez vous, ils ont été persuadés de tenir la coupable ! Devant tous ces éléments, cela vous paraît si invraisemblable que vous soyez poursuivie pour le meurtre de Tony ?

- Maître Webber, me croyez vous quand je vous assure n'avoir pas tué Tony ?

- Que je vous croie ou non n’a aucune importance ! Mon rôle est de vous conseiller sur les différentes options qui s’offrent à vous, que vous soyez réellement la meurtrière de Tony ou non. Quand je vous incite à plaider coupable, c’est simplement pour éviter la qualification d’assassinat qui vous pend au nez. Si votre acte d'accusation contient la mention d'homicide volontaire avec préméditation, vous encourerez alors la réclusion criminelle à perpétuité. En revanche, si vous plaidez coupable pour un homicide involontaire commis en état de légitime défense par exemple, suite à une altercation qui aurait mal tourné, on arriverait sûrement à réduire votre peine à 5 ou 8 ans de prison… Il est encore temps de changer vos déclarations !

- Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez vous ?

- Comment ?

- Ces vingt dernières années, vous avez obtenu l’acquittement de plus de crapules que je n’en ai croisé de toute ma vie, et vous savez à quel point elle a été pourrie, donc ce n’est pas peu dire ! Pourquoi vous ne vous battez pas pour moi comme vous l’avez fait pour eux ? Pourquoi vous me proposez des arrangements minables et vous me parlez de remise de peine ? Je vous ai engagé parce que je ne veux pas de peine du tout. Je veux être relaxée, acquittée, reconnue innocente, injustement poursuivie, appelez ça comme vous voulez dans votre charabia juridique à deux balles, mais c’est hors de question que j’avoue un crime que je n’ai pas commis !

Jeremiah soupira et posa son stylo sur le bureau. Il regarda Samantha avec un mélange de compassion et de lassitude.

- Vous êtes sûre de votre choix, Samantha ? Parce que si on s’obstine dans cette direction, on peut gagner certes. Mais les chances qu’on perde sont plus fortes, et les conséquences seraient désastreuses pour vous.

- Arrêtez de suite votre pitié pour ma misérable petite personne. Je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas. Je vous ai choisi vous, alors montrez-vous à la hauteur de votre renommée ! Quelle est la prochaine étape ?

- Trouver un moyen de vous innocenter du meurtre de Tony.

- Et comment faisons-nous ça ?

- On va reprendre l’enquête depuis le début. Je connais un détective privé et avec votre accord, je vais le mettre sur l’affaire. Si ce n’est pas vous qui avez tué Tony, la seule façon de vous innocenter, c’est de trouver qui l’a fait, ou du moins qui avait des raisons de le faire, et pourquoi il ou elle vous a fait endosser le rôle du coupable !

Samantha plissa les yeux et scruta le visage de Jeremiah.

- Vous ne me croyez donc pas ?

- Comment ?

- Vous avez dit “si ce n’est pas vous” et non pas “puisque ce n’est pas vous” !

- C’est un détail ! Et peu importe, Samantha. Je vous l’ai déjà dit, que je vous croie ou non, que vous l’ayez fait ou pas, je vous défendrai avec la même ardeur que les autres, affirma-t-il en la regardant droit dans les yeux.

- C’est promis ? murmura-t-elle en baissant la tête.

- Oui ! Je me devais de vous exposer clairement toutes vos options, Samantha. Ce n’était pas de la défiance ni quoi que ce soit d’autre. Vous devez avoir pleinement conscience que la voie que vous choisissez de suivre est risquée et que je ne suis pas infaillible. J’ai remporté bien des victoires oui, mais on ne parle pas de mes échecs dans les journaux ou à la télévision. Pourtant, il y en a eu ! Je devais simplement être sûr que vous étiez consciente du risque que vous couriez en persistant à proclamer haut et fort votre innocence malgré les preuves qui s’accumulent contre vous.

- Ok.

- Bien. Je vais y aller et appeler ce détective. Je vous tiendrai au courant de ce qu'il trouvera, annonça-t-il en se levant de sa chaise.

- Et s'il ne trouve personne à accuser à ma place ? interrogea-t-elle en le suivant du regard.

- J'ai plein d'autres tours dans mon sac, Samantha ! La partie ne fait que commencer ! répliqua-t-il avec un sourire confiant en se dirigeant vers la porte.