Fyctia

La phrase ne surprit pas la Reine Anaxarete. Elle haussa d’un sourcil, semblant me mettre au défi. Elle siffla même d’admiration. Cela voulait signifier qu’une seule chose, la Reine connaissait cette langue antique. La dryade sembla, tout de suite, concernée.

— Mon avis sur cette phrase : Itch’Rey led Feyrie : e Rey ui sov led omb. Prononça-t-elle dans un accent parfait. Cela dépend de la question.

— J’aimerais savoir... dès l’instant où j’ai évoqué le Tombeau des Flammes, vous saviez, n’est-ce pas ? Vous connaissez ses écritures. Supputai-je.

— Tu essayes de guider mes réponses. Marmonna la Reine avec un sourire énigmatique. Je connais la traduction de cette phrase et j’ai, je l’avoue, quelques notions dans cette langue.

— Mais pourquoi avoir mentir ? Vitupéra Luell, ce qui nous fit sursauter.

— A quel moment vous ai-je trompé ? Vous ne m’avez jamais posé la question. N’oubliez pas que les faés ne mentent pas.

— Humph, mais ils savent tricher ! Rétorquai-je Altaïr.

Altaïr, Tarahban et le vieillard étaient si calmes que j’avais presque omis leur présence.

— Tout comme vous masquez certaines vérités. Continua Altaïr.

— Est-ce ma faute ? En régnant, j’ai cumulé de nombreux conseils, l’un d’eux était que la vérité est comme la clarté d’un ruisseau. Elle peut être chamboulée, mais le ruisseau reste intact. Tout comme le reflet d’une image. Ce que nous voyons peut-être la reproduction de notre vérité. Une vérité qui ne s’appliquera qu’à nous.

— Cessez de poétiser et venez au fait ! Craqua Luell.

Tout mon corps se réchauffa, manquer autant de respect à la Reine ne faisait pas partie de mon habitude. Je tentais de garder ma bouche close, de peur de lancer une pique sanglante à mon frère ou Altaïr.

— Pour revenir à nos licornes, vous ne m’avez rien demandé. Je ne vous ai donc pas communiqué les informations que je possédais. Non. Même si vous m’aviez questionné, j’aurais feint l’ignorance, car il s’agit de la quête que le destin vous a confiée. Hélas, cela dépasse toutes mes capacités.

— Nous aurions pu entrer dans Tombeau des Flammes-

— Sans aucune connaissance, la Reine coupa Luell. Être sans connaissance, stagner dans l’ombre et dans l’ignorance, est pour vous la pire des situations. Une mauvaise flèche à votre arc. Par ailleurs, vous n’étiez et n’êtes toujours pas prêts à poser un pied dans ce lieu intemporel.

— Puis-je avoir la traduction de la phrase ? Réclamai-je.

La Reine nous surplomba de son regard rosé et mon corps frémit en réponse. Un coup d’œil me permit de comprendre que je n’étais pas seule.

— Non. Vous la trouverez. Seuls. (Elle fit un geste de la main pour nous congédier.) Tarahban, Olp, tant que nous sommes, faites-moi le rapport du territoire de Black Claws.

— Je ne sortirai pas ! Je veux mes réponses, quant aux gardiens ! Pesta l’héritier des San Emie. Vous fuyez depuis trop longtemps.

La voix de la Reine Anaxarete gronda tel le tonnerre, d’un nouveau geste de la main, la nature répondit à son appel. Les lianes suspendues au plafond et les fleurs accrochées au mur changèrent de forme. Nous fûmes chassés de la pièce en quelques secondes. Quand je me tournai vers l’entrée, un puissant mur de végétation empêchait l’accès.

— J’ai toujours su qu’elle était vicieuse ! Persifla Altaïr.

Ma tête était vide. J’avais l’impression de tomber dans un gouffre sans fin, que les ténèbres m’encerclaient, et qu’au milieu d’eux, ce regard intense tapi dans l’obscurité m’attendait.

— Caelia ? S’enquit Luell en posant la main sur mon épaule. Tu es gelée !

Altaïr se détourna de la porte scellée et s’approcha. C’était donc la morsure du froid que je ressentais... Cela n’avait aucun sens. Un phénix de feu ne pouvait pas ressentir le gèle. Pourtant, cette certitude commençait à se révéler à moi, mes doigts prenaient des teintes bleutées, alors que mon corps frissonnait d’une mélodie inconnue. Luell me prit dans ses bras, désirant me réchauffer. Cependant, je devais plus froide.

***

Les jours s’écoulaient. Mon sommeil devait profond à chaque heure, il me mettait en cage. J’avais de plus en plus de difficulté à rester éveillée. Mon état inquiétait le médecin des Black Claws. Si seulement il s’agissait d’un sommeil de plomb... A chaque fois que je dormais, mes rêves, ou devrais-je dire mes cauchemars n’étaient que constantes batailles. Je devais fuir ou combattre. Ils semblaient si réellement, que j’en émergeais avec des sueurs froides. Ils évoquaient de multiples thématiques : le pardon, le sacrifice, la haine, la vengeance, la tristesse et l’amour. Sauf que je ne savais pas ce qu’ils se passaient dedans. Je semblais juste jouer un rôle. Une simple tâche dans le décor. J’assistais à des scènes étrangères, qui se succédaient telles les pages d’un livre. Le comble était que je me remémorais rarement mes rêves, juste un sentiment de danger constant.

A cause de mon état, j’avais pu dire “Adieu” à mon entrevue avec le Saule Pleureur. Luell avait bien tenté d’interagir avec lui, mais il demeurait aussi clos qu’un mollusque. J’avais cru comprendre que Tarahban suivait la situation de près pour la transmettre à la Reine, et que le territoire des Black Claws était toujours condamné. Autrement dit, l’aide ne viendrait pas encore. Il fallait attendre que la lave disparaisse, en espérant pour que cela se passe.

Et pendant ce temps, j’étais sûre et certain que cette mystérieuse condition que je possédais, provenait de ce tableau de malheur. Les mots qu’il m’avait soufflés... si seulement, je les connaissais.