Fyctia

Le campement venait d’être monté sur pied. Avec une facilité déconcertante, le rejeton des Dark Night avait créé des abris pour la nuit. Quand mon cher oisillon l’avait félicité, Grim avait presque remué la queue tel un chien. Serais-je jaloux d’un vulgaire chiot ? Absolument pas. Il n’est en aucun cas un adversaire, juste une simple poussière dans mon œil. Le plus gros problème demeurait Ainz. Le dragon d’or s’entendait un peu trop bien avec la créatrice des flammes. Ce reptile obèse la couvait du regard, tel un œuf s’apprêtant à éclore.

— C’est fou, la manière dont tes yeux de vipère ne s’éloignent jamais de ma sœur.

Luell apparut à pas de loup, ses iris émeraude scintillaient d’un air, presque, amusé ? Il se posta à mes côtés et il rejoignit la contemplation de la scène qui se déroulait devant moi. Le groupe interagissait en paix, et même Izak communiquait sans une once de violence pour le phénix. Ou du moins, il la camouflait suffisamment bien pour que Nolya et Grim ne le ressentent pas.

— J’aimerais savoir, ma sœur est butée, c’est sûrement pour cela que tu la poursuis... Ce qui n’est pas très sain, hein. Mais, avant de me faire mon humble avis sur toi, sans être entaché par qui que ce soit, je veux savoir. Toi et Izak, êtes-vous les meurtriers de mon frère ? Je n’ai pas besoin de savoir pour mes parents. Tu n’es pas responsable.

Le jeune frère de Caelia se tourna vers moi. Malgré son apparence candide, il s’exprimait avec droiture, sérénité et diplomatie. Je comprenais mieux l’intention de la Reine en plaçant le plus jeune dans le groupe. Luell était assez mature et possédait un bon caractère, qui permettait de construire une passerelle entre tous les membres de l’équipe. Ma vision se verrouilla sur la chevelure flamboyante de Caelia.

— Peu importe. Ta sœur n’y croira pas. Répliquai-je.

— La co-mmu-ni-ca-tion ! Tu as déjà entendu ça ? Je ne pense pas, vu les parents qui t’ont élevé. Rétorqua Luell. Si tu veux que les gens te comprennent, et encore plus ma sœur, il faut utiliser ta bouche pour discuter et non pas pour la mordre à tout bout de champ.

Je me pivotai vers lui, écarquillant les cils et il sourit de toutes ses dents. Luell savait.

— Ma sœur ment très mal... Puisque les phénix ne peuvent mentir-

— Les faés n’ont techniquement pas le droit de mentir. L’interrompis-je et Luell me fusilla du regard. La même expression que sa sœur. Ils se ressemblaient.

— Ne me coupe pas la parole ou je vais dire à Caelia que tu m’as menacé.

Sale mioche... Décidément, les phénix étaient tous enquiquinants.

— Il est vrai que l’entièreté des faés sont sous l’obligation de vérité et que c’est pour cette raison que nombreux d’entre eux manipulent les mots pour tordre la vérité sans mentir. Et je pense et crois que tu en fais partie, Altaïr. Admit Luell, sérieusement.

Je commençais à peintre correctement les personnalités de cette famille à plume. Axion pouvait être excessif et excentrique, mais il avait la tête sur les épaules et il ferait tout pour protéger son clan et ses neveux. Caelia était tête brûlée et réfléchie. Elle donnerait son âme pour sauver son frère ou son oncle. Pour le reste de son clan, je l’ignorais. Elle ne semblait pas attacher à celui-ci, seulement l’honneur et l’obligation ressortait de son discours. Pour finir, Luell était calme et enjoué. Il était la double facette d’une pièce. Derrière son masque d’enfant lié à sa sœur, il était observateur et presque stratège.

— Cesse de me détailler et accouche.

Et il avait le même culot que sa sœur.

— Je n’ai pas tué Silas, Izak non plus.

— Bien.

Luell me décocha une tape sur l’épaule et rejoignit les autres. Je clignai des cils, désorienté. Il était aussi insaisissable que Caelia. Ce petit diablotin échangea des dires avec son aînée et elle m’adressa un regard avant de se diriger vers moi. Ma vision se tâcha à de multiples endroits. Je me revoyais dans la Forêt des Songes, et ma tête bourdonna de nouveau.

J’avais froid, il faisait noir, j’avais peur. Peu importe la manière dont ma voix se répercutait contre la noirceur, rien d’autre que mon timbre résonnait. Des grognements et autres bruits terrifiants fusaient de part et autre. Mon corps tremblait. Rien y faire. J’étais seul. Mes larmes ruisselaient sur mes joues et je m’imaginais déjà mort, et dévoré par des monstres.

J’essayais de comprendre la démarche, mais mon esprit s’empêtrait dans la tâche. Mes parents appelaient cela La Marche des Etoiles. Une cérémonie qui prenait lieu à 6 ans. Elle consistait à laisser le San Emie voguer à travers la Forêt Constellée. Si l’enfant survit, la cérémonie réussit, dans le cas échéant, il devait mourir.

Ma marche était interminable, semblable à la frontière entre la vie et la mort, mon espoir s’éteignait. Je m’écroulai et un monstre apparut devant moi, prêt à m’engloutir. J’avais abandonné. La rangée de dents s’approcha et voulut me cueillir, cependant, mon espoir renaquit. Au milieu des ténèbres, une lumière incandescente et chaleureuse virevoltait. Une chevelure écarlate, des yeux dorés et un grand sourire chassa le monstre.

— Hum ? T’es perdu ? Ne pleure pas, grande sœur est là ! Souffla-t-elle me le tendant la main.

Avant la Forêt des Songes, j’avais enfoui ce souvenir. Celui de ma première rencontre avec celle qui avait éclairé mes abysses.