Fyctia

Le hennissement de l’équité surprit les plus jeunes membres de l’escouade. La monture de Caelia s’amusait à frimer en trottinant autour des Dévoreurs d’Âmes et des pégases. Les licornes s’étaient grandement apaisées, tout en gardant un œil prudent sur la créature.

— De tous les monstres possibles, tu as porté ton dévolu sur un kelpie ? Soufflai-je presque admiratif.

— Qu’est-ce qu’un kelpie ? Questionna Grim.

— Il s’agit d’un monstre aquatique. Il prend l’apparence d’un magnifique cheval et séduit sa victime en la poussant à monter sur son dos. Lorsque la victime le fait, une sorte de pacte est formée et le cheval se met à courir à grande vitesse, vers un coin d’eau. Une rivière profonde ou un lac. Le but est de noyer, démembrer et dévorer sa victime. Expliqua Ainz.

Durant l’explication du dragon d’or, le monstre prit son autre forme. Sa robe blanche se noircit et semblait dégouliner d’une encre ténébreuse. Une rangée de dents acérées fut dévoilée. Il souriait et lorgnait chacun d’entre nous. Luell et Nolya se rangèrent derrière Ainz, quant à Grim, il s’approcha comme fasciné. Quel abruti.

— Etant donné que tu vis sur le territoire des Dark Night, qui est toujours enneigé, les points d’eau sont gelés. Impossible pour un kelpie d’y vivre. Mais ils sont très présents chez nous, à Cloud Forest ou Sweet Melody... Je suis étonnée d’en voir un en captivité. Ils préfèrent leur liberté. Compléta Nolya.

Caelia afficha une mine repentante et tapota le cou de l’animal, qui secoua la tête. Un frisson me parcourut. Ce phénix était suffisamment fou pour dompter un monstre pareil. Impressionnant.

Elle se posta à la tête du cortège avec une petite tape sur le flanc du monstre, qui avait repris sa charmante apparence.

— Ainz et Izak, j’ai cru comprendre que vous avez en votre possession des flèches brumeuses ? Elle tendit la main. Donnez. Et j’espère que tu es en état pour le trajet, Izak.

Mon bras droit se mordit la lèvre en se remémorant l’humiliation d’être blessé par le phénix. A quelques centimètres près, elle visait non seulement le poumon et le cœur. Était-ce volontaire ? Ou dans la précipitation, elle avait manqué le bon point ? Elle ne répondrait jamais à la question.

Caelia inspecta la flèche, elle la renifla en plissant méchamment du nez. Puis elle huma l’air tel un prédateur. La flèche finit en cendre et elle lança l’ordre de se mettre en route. Sa monture marchait au trot, et même à cette allure, il fallait que nous autre galopions pour la rattraper. Cela m’agaçait. D’autant plus, que son corbeau voletait autour de nous. Il prenait de la hauteur et revenait à sa maîtresse.

Derrière moi, Nolya, Luell et Grim faisaient connaissance et échangeaient des blagues sans savoir ce qu’ils les attentaient. Caelia était dans un sens, assez sadique. Elle les laissait dans l’obscurité pour aiguiller leurs sens, les pousser à être prêts. De la même manière qu’elle l’avait été lors de la Nuit sans Lune. Dix ans après, le souvenir battait dans mon esprit. Je la détestais autant qu’elle m’abhorrait, mais au fond de moi persistait ce sentiment. Depuis cette fameuse nuit où je l’avais rencontrée. Au milieu du sang, des cris et des pleurs. Caelia n’avait pas hésité à m’attaquer. J’avais été captivé par sa puissance, sa fougue et sa beauté.

— Maitre ?

Je sursautai et mon regard croisa les yeux d’Izak. Sans m’en rendre compte, je fixais le dos du phénix intensément.

— Tout va bien, Izak. Et ne fais pas trop d’effort, non plus.

Tout allait mal. Mes stigmates me brûlaient, je voulais hurler ma colère et le tourbillon qui siégeait en mon sein. Je voulais la posséder, pleinement et la détruire. Tout était incompréhensible.

Encore maintenant, je me demandais d’où venait cette obsession. Caelia m’avait marqué, mais c’était légitime. Mon clan avait attaqué le sien, emportant dans la tombe ses parents. Pourtant, je désirais que ses yeux dorés ne se posent que sur moi. Sur cette réflexion, je la rejoignis à l’avant du cortège.

— Où allons-nous ? (Elle me dévisagea.) Cheffe ? Crachai-je.

— Au début, je voulais observer chaque territoire... Mais cette magie, cette odeur, je l’ai déjà senti. Nous n’avons pas besoin de chercher.

— Que veux-tu dire ? L'incitai-je à continuer, alors qu’elle épiait l’horizon.

Elle décocha un coup de talon à sa monture, qui se mit à galoper. Je poussai un grognement. Oser m’ignorer. Quelle sale peste. Son petit frère m’adressa un regard plein d’amertume.

— Je n’ai rien fait...

— Ah, oui, à part tuer mon frère. Vomit-il en poursuivant sa sœur.

Le reste de l’escouade suivit, nous tentions de rattraper cet animal sauvage. Caelia semblait nous avoir presque oubliés. Elle pourchassait une piste sans se soucier de nous. Caelia bifurquait entre les arbres et son kelpie se cabra subitement. Une fois à sa hauteur, Ainz fut le premier à exploser. Il était rare pour un dragon d’or de montrer ses sentiments, mais j’avais ouï dire que ces deux-là avaient eu une liaison. Je retins un rictus de colère lorsqu’Ainz saisit la main du phénix.

— Caelia ?

— Ils nous observaient.

— Qui “ils” ? Questionna Luell.

— C’est une question qui mérite une réponse... (Elle descendit de son kelpie) Nous allons séjourner chez les Sweet Melody, leur territoire est à quelques kilomètres. Descendez de vos montures et faites attention au sol.

— Est-ce que tu pourrais cesser de parler en énigmes ? M’agaçai-je.

— J’ai réfléchi et savez-vous comment les créatures de l’Ombre sont entrées dans notre royaume ? Non, n’est-ce pas ? Et pourtant, la réponse est simple : quelqu’un leur a ouvert la porte. Un traître doit vivre parmi nous et je suppose que la Reine et les chefs l’ont déjà compris. (Elle fit une pause et reprit après nous avoir sondés) Cela me tue de le dire, mais à partir de maintenant, aucun ne garde de secrets, personne ne cherche à s’entretuer car... nous devons nous faire confiance.