Fyctia
Chapitre 4
Le week-end passa, sans événement notoire – jusqu'au dimanche soir. Comme à son habitude, il prit congé tôt, pour passer le plus de temps possible seul, en connexion avec tous les autres, restés seuls eux aussi. Tel réseau social donnait la possibilité de discuter en groupe : on avait préparé un canal de discussion, déjà, pour la classe -c'est qu'il fallait un moyen d'échanger les informations, ou, quelques fois, de former des alliances, les uns contre les autres, en cas de discorde, réelle ou supposée.
Un autre groupe de discussion fut tout aussi promptement formé, pour les garçons de la classe, afin qu'ils pussent, en toute tranquillité, lancer des discussions enflammées sur les filles, leurs charmes, leurs humeurs – du reste, on soupçonnait, sans en être bien sûrs, que lesdites filles avaient, elles aussi, leur groupe, sur lequel elles n'étaient pas moins cruelles, ce qui légitimaient les horreurs qu'on s'écrivait les uns les autres. Or, sur ce groupe circulaient noms, informations, photos. Qui s'intéressait, ouvertement ou en secret, à telle demoiselle, avait ici tout son content, quoique nombres d'informations ne se reposassent que sur des on-dits. Et c'est sur ce groupe que l'une des demoiselles de la classe fit l'objet d'une attention particulière, qu'elle n'eût certainement que peu goûté si elle en avait eu vent -ce qui, heureusement pour elle, n'arriva jamais-, car les commentaires y étaient tantôt élogieux, tantôt franchement graveleux : étant entre garçons, et d'ailleurs doublement dans l’intimité, puisque ces discussions se déroulaient par écrans interposés, on discutait avec un langage direct, et pour tout dire, extrêmement vulgaire, de son charme. Et l'on se mit à prendre des paris : chacun des membres du groupe donnait son avis sur le, ou peut-être bien, les, jeunes hommes qui auraient ses faveurs au cours de l'année – on savait, pourtant, que le cœur de la demoiselle était pris déjà, mais cela n'intéressait pas grand-monde. Et les paris gagnèrent en folie petit à petit : non seulement des noms furent proposés, dont on savait qu'ils n'avaient que peu de chances d'être les premiers favorisés, mais en outre, les sommes évoquées en cas de gain commençaient à dépasser la raison, et on se serait bien demandé comment elles auraient pu être mises en jeu et payées, si qui que ce fût avait pris ces paris au sérieux.
Et comme les autres, Ryan prit part à la discussion – moins activement sans doute, mais non sans une passion qui, bien que feinte, avait le mérité d'accaparer son esprit. Pour tout dire, il ne comprenait pas davantage cette discussion que celle qui avait lieu trois jours avant : la demoiselle ne manquait pas de charme, il le reconnaissait, et son prénom, Justine, lui semblait lui aussi gage de douceur et d'élégance ; il voyait très bien en elle ce que les autres pouvaient voir, ce qui n'était guère malaisée, puisque la féminité de la demoiselle était particulièrement saillante, surtout pour son âge. Mais pour le reste, la demoiselle l'indifférait assez, et s'il avait lui-même obtenu ses faveurs, il s'en fût senti flatté sans doute, mais, à ce qu'il lui semblait, malgré tout assez peu concerné. Il aimait la regarder, il est vrai, mais il aimait en regarder d'autres aussi bien, certaines davantage encore, et n'avait d'ailleurs jamais compris la fascination des hommes pour les poitrines plantureuses – ce qui ne l'empêchait pas, d'ailleurs, de partager le même intérêt, sinon par véritable goût, du moins par conformisme.
Et cette nuit, à nouveau, il fut pris d'insomnie, se demanda s'il était normal, alla jusqu'à penser que, peut-être, il préférait les hommes, ou plutôt non, car ceux-là l'indifféraient davantage encore, plutôt personne, ou pas assez du moins, puisque son intérêt pour les femmes existait, il est vrai, et, comme ses camarades, il assouvissait ses fantasmes en observant assidûment les nombreuses images dont on l'abreuvait régulièrement sur les réseaux sociaux, en privé ou dans les groupes publics, mais jamais, au grand jamais, il n'avait ressenti la moitié de la passion que les autres semblaient y mettre – ce n'est pas seulement qu'il ne vivait rien, c'est aussi qu'il ressentait peu. Au fond, il enviait les autres de vivre, quoiqu'il savait que la majorité des passions qu'ils feignaient d'avoir était embellies, quand elles n'étaient pas tout simplement inventées. Au beau milieu de la nuit, il ralluma son portable, et rechercha encore les photos et les informations sur les filles qui seraient dans sa classe toute l'année, dans le fol espoir d'en trouver une qui le ferait tomber amoureux, ou, au moins, avec qui il pourrait perdre sa virginité – de préférence, en même temps qu'elle, sous peine de s'en sentir honteux. Mais au fond, aucune de ces demoiselles ne l'intéressait particulièrement : ni Justine, que l'on qualifiait de plus belle fille du lycée ; ni Saleh, la belle brune ; pas d'avantage que Mila, la sublime blonde : aucune d'entre elles ne l'inspirait, et il sentait, à contre-coeur, que cette année encore, il n'allait pouvoir montrer aucune passion, et serait condamné à écouter celle des autres. Et pourtant – il aurait tout fait pour pouvoir être normal, et tomber amoureux de quelque nymphe pleine de charmes.
A nouveau, il s'endormit ; une poignée de minutes plus tard, le réveil sonna ; c'était le premier jour de cours, et il fallait se réveiller à temps. Ce ne fut pas sans peine, mais l'insistance maternelle et, il faut le dire, les bruits permanents du monde qui s'éveillait et qui l'empêchait, lui, de dormir, le forcèrent à sortir de sa léthargie. On se lava, on s'habilla, on mangea – et, avant même que l'on pût s'en rendre compte, on était en cours, pour la première journée officielle de l'année scolaire. On entendit parler du système rétinien : on n'en fut guère impressionné ; on entendit parler de Rimbaud : un œil se souleva, le second resta fermé ; on entendit parler de Napoléon : le second œil se ferma à son tour, après un combat acharné. On eût pu dormir, si les enseignants ne parlaient pas si forts – et si, quelques fois, l'un d'entre eux ne nous ranimaient pas par ses remontrances.
0 commentaire