David Chemeta Ryan et Giulia Chapitre 5

Chapitre 5

Chapitre 5

Et puis, vint la fin de la journée, et le dernier cours – on avait rendez-vous au gymnase, pour faire du sport. Ce cours était une boîte de Pandore : pour certains, les plus beaux moments, les plus grands succès, les plus grandes fiertés en sortaient ; pour d'autres, la honte, le regard des autres, les mauvaises notes qui faisaient tâche dans des bulletins par ailleurs impeccables. Mais à chacun, l'occasion était donnée de penser à autre chose, voire de ne point penser du tout, et Ryan, comme, du reste, ses amis, prenaient ces cours exactement comme tels. On allait commencer l'année avec de l'athlétisme – un nom bien grec pour une discipline qui consistait, ni plus ni moins, qu'à courir. On fit le tour d'un stade, fermé – une fois, deux fois, trois fois. Le sens de l'exercice échappait à l'intégralité des élèves, mais, au fond, peu s'en souciaient, tant les uns étaient ravis d'échapper à leurs salles de classe, et les autres trop exténués pour rechercher le sens de quel exercice que ce fût. Ainsi, Ryan courait, avec deux de ses amis. Ils avaient le même rythme, ne forçaient pas leurs muscles, discutaient tranquillement – l'exercice était fait pour eux.

Mais, fatalement, quand un exercice consiste à tourner en rond autour d'un stade, et que tous les concurrents tournent autour du même terrain, les premiers en arrivèrent à dépasser les derniers ; puis, tous les rapides dépassèrent les lents ; enfin, ce fut une lutte ou même les élèves rapides étaient dépassés par les élèves les plus rapides. Tous les groupes d'élèves -personne, ou presque, ne courait seul, cela aurait ôté l'unique plaisir de l'exercice- étaient désormais mélangés, et se dépassaient les uns les autres. La fatalité voulut toutefois que les filles et les garçons se mélangeassent, pour le plus grand plaisir des uns, et la plus grande gêne des autres. Les garçons les mieux bâtis ne craignaient guère les regards, mais même les demoiselles les plus joliment faites ne se sentaient pas vraiment à l'aise dans ces exercices physiques, on ne pouvait être à son avantage, puisque le but était de travailler son corps le plus intensément possible – mais cela n'intéressait nullement les jeunes hommes qui profitaient de l'occasion pour poser leurs regards sur des corps plus exposés qu'à l'accoutumée. Et ici, Ryan ne fit pas exception, puisque, pour n'en avoir jamais connu de passion, il n'en avait pas moins un sens de l'esthétique féminine qui lui rendait appréciables les charmes qui se dévoilaient chez ses camarades de classe.

Au neuf- ou dixième tour, il arriva que Ryan et ses deux amis dépassèrent une demoiselle, seule – c'étaient un de celles qui venaient d'un collège extérieur à la ville, qui venaient en bus tous les matins, qui ne s'étaient pas encore faite d'amies. On ne la connaissait guère, et on ne savait d'elle que son prénom : Giulia. Cette demoiselle n'avait encore fait l'objet d'aucune discussion dans le groupe des garçons sur les réseaux sociaux, et si on l'avait invitée dans celui de la classe, elle n'y avait pas encore fait parler d'elle, ni en bien, ni en mal – l'année ayant tout juste commencé, et beaucoup d'élèves se connaissant déjà pour avoir fréquenté les mêmes établissements dans le passé, les rares nouveaux élèves étaient, pour le moment, passés entre les mailles du filet, et il faudrait encore quelques jours, sinon quelques semaines, pour qu'ils fissent parler d'eux, souvent, d'ailleurs, à leurs corps défendant.

Ce qui attira l’œil de Ryan, c'est que cette demoiselle avait eu le goût de porter des boucles d'oreilles dorées : cela peut sembler fort anecdotique, mais le reflet du métal les rendait particulièrement visibles sous le soleil ; et puis, cet apparat de la civilisation tranchait étrangement avec la situation, puisque chacun des élèves, courant déjà depuis près d'une heure, et malgré le peu d'acharnement que la plupart y mettaient, commençaient non seulement à fatiguer, mais encore à transpirer, mais encore à faiblir, et pas un d'entre eux ne pouvait se targuer de se montrer aussi fort qu'il l'aurait voulu. Alors, quand Ryan vit, avec son esprit déjà fatigué par la course, et ses yeux troublés par le mouvement, cette paire de boucle d'oreilles sous forme d'un large cercle doré, il ne put s'empêcher, l'espace d'un bref instant, de ressentir un étrangement sentiment, qu'il eût volontiers qualifié de plaisir esthétique, si un tel vocabulaire lui avait été familier. De là, il ne fallut pas longtemps pour que, le petit groupe se rapprochant de la demoiselle de dos, il se prit à admirer, quelques secondes durant, ses formes, son élégant survêtement rose, son étroit pantalon noir qui n'était pas sans révéler des charmes qui paraissaient à Ryan être ceux d'un ange ; mais, bientôt, on la dépassa.

Vous avez vu Giulia? Elle court avec des boucles d'oreilles, cette teûbé !

Ce furent les seuls mots que Ryan trouva à dire lorsque, l'ayant dépassée de plusieurs mètres, il pouvait être sûr qu'elle ne l'entendrait pas ; il eut l'étrange besoin de parler d'elle, quand bien même il fallait qu'il en parlât en mal et, du reste, de la façon la plus injuste qui fût – mais enfin, on ne pouvait avouer aux autres qu'on avait faibli devant le charme et, par dessus tout, on ne pouvait se l'avouer à soi-même.

Du reste, il n'y eut pas de réponse, ses deux camarades étant trop absorbés par leurs efforts.

Lorsqu'à nouveau les élèves furent réunis, chacun rentra se changer, exténués, et on oublia les efforts, et les troubles. On soutint mordicus que le sport était si fatiguant, qu'on n'en ferait plus jamais ; et, lorsque l'un des élèves découvrit sur son portable une invitation à faire une partie de football avant que la nuit ne tombât, il répondit si favorablement et avec tant d'enthousiasme, qu'on l'entendît, et que d'autres élèves encore s'invitèrent. On proposa à Ryan de les joindre : il n'eût pas la force de se plaindre de la fatigue, et accepta. Ils ne s'arrêtèrent qu'assez tard, et, en rentrant, Ryan se fit appeler Arthur – ses parents, quoique tolérants, trouvèrent déraisonnable de rentrer si tard, une veille de jour d'école qui plus est ! Le temps de grogner qu'on ne comprenait pas cette agitation, et d'assurer qu'on serait en forme pour la journée qui venait, et voici Ryan à nouveau dans sa chambre. Il resta peu, cette fois, avec ses camarades, et s'endormit assez vite – d'où l'on voit les bienfaits qu'offre l'activité physique.

Ces bienfaits, pourtant, furent de courte durée, et Ryan vit son sommeil interrompu par une brève, mais nette vision : il revit, comme s'il l'avait devant les yeux, Giulia, de dos, son survêtement, son pantalon, ses boucles d'oreilles ; mais, curieusement, il revit surtout ses cheveux noirs, attachés et reliés en queue de cheval, qu'il n'avait pourtant pas cru avoir remarqués. Cette fugace vision réveilla Ryan brusquement, sans qu'il sût ni comprît pourquoi, ni ce qui venait de se passer. Il la chassa de ses pensées, se rendormit – et ce fut tout.

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