LiliJane Runes 2.2 CALYPSO

2.2 CALYPSO

La première soirée laisse rapidement place au lendemain. Je refuse de sortir. « Ta grand-mère est venue, elle a dit aux directeurs qu’en raison de l'incident… cette semaine devrait être une semaine de deuil et de commémoration. Les cours qui restent maintenus ne sont pas obligatoires…Ta famille… ». Les jours se suivent alors que je me terre dans les couvertures orangées de mon lit. Lyra, Gidéon et moi devions vivre dans le même petit cottage. Trois chambres, une salle d’eau et un salon. Habituellement, ces maisonnettes sont très animées et chaleureuses. C’est bien normal quand trois ou quatre jeunes gens partagent un lieu de vie pendant un an. Cela dit, lorsque les disputes éclatent, où en l'occurrence lorsque l’un des colocataires décède, même un feu de cheminée réconfortant à bien du mal à apaiser les cœurs.


Plusieurs fois par jours, Lyra passe me voir dans ma chambre dont la porte reste toujours entrouverte. Elle m’apporte des paniers repas du réfectoire, prend soin de remplir d’eau fraîche ou de tisane ma tasse favorite, tente par tous les moyens de me faire la conversation. Je ne pourrais qu’être reconnaissante si mon esprit n'était pas prisonnier d’un brouillard aussi épais que mon chagrin. Chaque fois que je me lève pour me rendre à la salle d’eau, ma tête tourne. Le deuil est une maladie, il enserre l'âme, vise sûrement à la briser. Le deuil me rend fiévreuse et délirante. À la fin de la semaine, c’est seulement parce que la moiteur étouffante de ma chambre – et l’odeur que je dégage – m’est trop insupportable que je décide de faire le nécessaire pour reprendre forme humaine. Voilà. Ne pas sortir, seulement laver mes mains encore souillées par la mort. De toute façon, mes jokers ne sont pas illimités, et nous reprenons les cours après-demain. Je ne pourrais pas les manquer. Je suis abattue.


Cela dit, le soir venu, force est de constater que bouger et me laver m’a fait du bien. Néanmoins, mon visage dans la vitre de l’armoire est terne, il semble gris. Habituellement, maman dit qu’il a la couleur de la cannelle. Je me trouve minuscule et maigre alors que quelques gouttes d’eau tombent encore de mes cheveux pour s’écraser sur mes clavicules creusées. Tout à l'inverse de Gidéon en fait. Lui, le reflet le dépeindrait grand, les joues rosées, éclaboussées de taches de rousseur. Sa crinière retenue en un chignon le rendrait charmant sans trop en faire. Son allure serait noble. Cette contemplation morbide doit être trop longue au goût de Lyra car elle me rejoint pour me tirer jusqu’au salon. Je la suis sans broncher. Sa peau, d’ordinaire de porcelaine, a l’air plus pâle que celle de Gidéon lorsque nous l’avons retrouvé. Si je trouvais que sa queue de cheval avait la couleur de la lueur des étoiles, elle m’a l’air aujourd’hui d’un blond trop délavé. Ma plus vieille amie s’assied et m’invite, d’un sourire timide, à faire de même. Ses yeux sont de trop grandes billes de verre. Dans la chemise et le pantalon blanc de notre uniforme, elle a des airs fantomatiques qui feraient peur aux plus jeunes de notre académie.


Me tenant toujours debout face à elle, ma bouche s'entrouvre.


– Tu ressembles à un cadavre, dis-je.


Son sourcil tressaute à peine ma remarque achevée. Ses joues virent au rouge. Est-ce juste pour me faire mentir ?


– EXC- haem. Excuse-moi Calypso ?


Elle reprend son calme et toute couleur disparaît à nouveau. ÉVIDEMMENT. Ce n’était pas l’idée du siècle de dire un truc pareil. Je m’en veux déjà. Fallait-il que je meure de culpabilité pour me sentir vivante ?! Pourquoi faut-il que je pousse les limites à chaque fois ? Sainte Madaleina donnez lui la patience et accordez moi la vie sauve… Alors que j’attends la suite, sa voix se fait glaciale.


– Je sais que tu es triste, mais ça va beaucoup trop loin. Juste pour rappel, moi aussi j’ai perdu mon meilleur ami. Ça ne m’autorise pas à me montrer cruelle. J’ai été assez patiente. Demain, avec ou sans ton aide, il faudra ranger les affaires de Gidéon. Bonne soirée.


Ça y est. Elle s’en va tandis que j’arrive à verser mes premières larmes. Non ! On ne dit pas à quelqu’un qui complexe justement sur sa pâleur qu’elle ressemble à un cadavre ! On ne dit ça à personne mais, surtout pas à Lyra. Je n’ai fait que jeter de l’acide sur les blessures encore douloureuses de son histoire familiale. Mes bras encerclent mes genoux, eux-mêmes écrasent ma poitrine… Sanglots et râles, s’étouffent dans mon vêtement et je me rends compte le lendemain en me réveillant que, manifestement, ma colocataire va mieux. Moi aussi… je crois ? J’ai l’impression d’être encore infiniment triste mais délestée d’un poids. En tous cas, Lyra me tend un thé fumant et je m'efforce de la remercier gentiment. Elle a raison, elle aussi est en deuil. Je dois faire un effort.


En fin de matinée, le soleil a commencé à se faufiler dans la maisonnette, il réchauffe et illumine la pièce mais nous devons nous mettre au travail. Cette semaine, un professeur est passé désactiver une rune de verrouillage. Celle située sur la poignée de porte de Gidéon. Chaque porte de chambre dispose de cette rune, qui ne reconnaît que la main du propriétaire. Nous pouvons donc entrer dans son espace, j’imagine que ce n’est plus privé.


Sa chambre est presque comme la mienne, un lit, une armoire, un bureau, des tons chauds, beaucoup de jaune, de orange de rose. Le tri nous prend plusieurs heures. Nous replions des vêtements, je garde une chemise, Lyra aussi. Nous pleurons lorsque nous tombons sur une boîte à souvenirs contenant des petites photographies, esquisse et dessins de ses proches et amis.


– Je suis épuisée Caly… On pourrait continuer ce soir.

– Laisse-moi finir, il ne reste plus grand chose.


Me gratifiant d’un regard épuisé, elle se lève et referme la porte après elle. Me voilà seule… Le brouillard de cette semaine revient m’envelopper. Je trie, range, plie, jette, mets de côté des tas d’affaires. Mon esprit et mon corps sont déconnectés. Bientôt, presque toute la vie de notre meilleur ami est rangée dans deux malles. Alors que je fais un dernier tour de la pièce en tremblant comme une feuille, je remarque que la poubelle à côté de l’armoire est pleine. C’est un croquis mal chiffonné qui couvre le reste des déchets. Il attire ma curiosité, je le ramasse donc, le défroisse et tombe nez à nez avec… et bien moi. Mes tremblements s’intensifient. Attrapant un oreiller, j’enfouis ma tête à l’intérieur et commence à faire les cent pas.


– RAH ! AH ! JE ME HAIS ! Je me hais ! Je t’aimais ! Je t’aimais, je… je ne comprend pas… Tout ça, c’est impossible.


L'oreiller finit par faire un vol plané dans la pièce, la poubelle ne résiste pas au coup de pied que je lui inflige, ce qu'elle contenait se déverse par terre. Il me faut bien une heure, assise sur le bord du lit à observer le sol pour me décider à tout ramasser. Je déplie les feuilles roulées en boule, observe des notes, des schémas…


– Qu’est ce que…


Je retourne l’un des papiers dans un sens, puis dans l’autre.

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73 commentaires

Bec-Putride

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Il y a 3 mois

(╥﹏╥) La rage de découvrir ses sentiments après un deuil...

LiliJane

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Il y a 3 mois

La giga rage oui !

WildFlower

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Il y a 4 mois

Les émotions de Calypso sont très bien retranscrites, c'est bouleversant ! Et cette fin de chapitre est intriguante 🧐

LiliJane

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Il y a 4 mois

Hiii merciii

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

Lyra essaye d'aider Calypso mais n'arrive qu'à la braquer. Il va falloir que les filles se réconcilient très vite parce que Caly ne va pas supporter une dispute d'amitié en prime.

LiliJane

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Il y a 4 mois

Tout à fait, mais ne t'inquiète pas, depuis onze ans qu'elles se connaissent leur amitié est plus forte qu'une petite dispute

Siha

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Il y a 4 mois

Oooh l’intrigue commence et va se développer ! Ça donne envie d’en découvrir plus

LiliJane

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Il y a 4 mois

Hiii merci !!

Céline Carberge

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Il y a 5 mois

Bon, ça commence mal les deux m'ont gonflée xD. Elles savent pas s'exprimer l'une comme l'autre. Elles m'ont fait rouler des yeux et souffler fort. Après je trouve aussi le passage dispute / rangement un peu brutal.

LiliJane

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Il y a 5 mois

Ui pour la réécriture faut qu'on allonge ce passage, mais avec la restriction de caractères c'était pas évident
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