Fyctia
2.1 CALYPSO
Pousser à bout Monsieur Barbant en moins de vingt minutes, quel bel exploit pour cette rentrée ! Son cruel manque de patience arrange bien mes affaires. Délestée de mon devoir d’apprendre quoi que ce soit, je peux enfin jouir de ma liberté ! Et ma liberté me dit d’aller trouver Gidéon.
À partir de là, je flâne dans notre bâtisse principale. Au détour d’un couloir, alors que j’aurais aussi bien pu croiser un crapaud, j’assiste aux réprimandes d’une enseignante à l'égard de l’un de mes camarades. Moi vivante, je ne travaillerais jamais dans une salle de classe… ni dans un bureau quelconque ! Oui, bonne résolution Calypso.
C’est beaucoup plus tard – le temps est très relatif – que ma meilleure amie me retrouve. Et encore après un bon moment de discours de la part de nos directeurs, nous pouvons reprendre notre discussion de tantôt.
– Non vraiment, il va voir ce qu’il va voir quand on réussira à lui mettre la main dessus ! Il nous a abandonnées à notre triste sort ! Je vais le secouer un peu moi, il ne peut pas rester cloîtré à jamais. Enfin c’était affreux mais…
– Mais tu as de plus en plus de difficultés à le voir dans cet état, complète-t-elle en prenant ma main pour me réconforter.
– Oui, dis-je dans un souffle.
Nous tournons autour de ce sujet depuis assez longtemps pour savoir exactement ce que l’autre en pense. Je reprends :
– Et puis c’est tellement inconscient de rater les cours comme ça. Il pourrait être sanctionné…
La blonde, qui peut se permettre des réponses plus élaborées à présent, me rappelle tout de même que notre ami est fragile en ce moment, surtout qu’il subit une pression colossale. Car apparemment, quand une potion fait exploser votre école, et avec elle tous le matériel rare et précieux dont une catégorie entière de mages ont besoin pour exercer ; c’est la merde. Mais point positif, si on peut vraiment en voir dans cette histoire, Gidéon a été chargé de l’apprentissage des plus jeunes. Il n’est pas le seul mais quelle belle promotion n’est ce pas ? Et il est vrai que j’ai toute confiance en ses capacités. Au bout du compte, mon rouquin préféré est réellement la personne idéale pour former de nouveaux devins. Que ce soit pour ses talents innés, pour sa patience, sa pédagogie, ou la passion qui l’anime lorsque l’on aborde le sujet des magies de l’esprit. Cependant je pense aussi que- mais le flux de mes paroles s’estompe alors que mon attention est captée par un événement inhabituel.
Un cri. Puis un autre. Puis un brouhaha. Lyra et moi, côte à côte, tournons la tête en même temps en direction du lac. Nous nous mettons chacune à essayer d’analyser la scène qui se joue devant nous. Seulement, allez analyser quoi que ce soit quand vous êtes aussi loin que nous le sommes !
Quand je dis “aussi loin”, j’estimerais environ soixante mètres. Ainsi, sans se lâcher, nous sortons du sentier censé nous ramener gentiment à notre pavillon pour rejoindre cette quarantaine d’élèves qui se massent autour de ce quelque chose. Une fois contournés les quelques buissons, nous nous approchons. C’est très vite assez pour comprendre qu’il ne s’agit pas de camarades jouant à se pousser dans l’eau froide, que les cris ne sont ni indignés, ni rageurs. Encore moins amusés, non, ils sont affolés, horrifiés même. Aucune expression ne nous le confirme car les élèves nous tournent tous le dos, mais nous n'en avons pas besoin.
Une phrase se détache du brouhaha, je ne l’entends qu’à moitié. “Il y a un… le lac”. À ce stade je sens une énergie particulière me parcourir, de l’adrénaline, comme si je me trouvais tout à coup en danger.
Mon cœur s’accélère, je lâche la main de Lyra. J’avance. Mon cœur s’accélère, j’ai un mauvais pressentiment. Quelque chose cloche depuis ce matin. J’essaie de me faufiler entre tout ce monde, ma petite taille n’aide pas. La foule se soutient, certains s'agitent, d’autres au contraire semblent paralysés, des bras, des jambes, quelques personnes à genoux me rendent l’accès à ce quelque chose trop difficile. Mon cœur s’accélère, et si c’était vraiment grave ? J’arrive à pousser la dernière personne qui se tient entre la rive du lac et moi. Et par les esprits où est passé…
– Gidéon.
Mon cœur s'arrête.
Je le sens remonter jusqu’au bord de mes lèvres, c’est acide. Et puis je l’entend, ma voix est blanche tandis que tout le reste n’est plus que lointain et cotonneux. Je me sens tomber dans un gouffre vertigineux. Dans la réalité… faut-il vraiment que ce soit la réalité ? Mes genoux voudraient se dérober et je ne comprends même pas ce qui les en empêche. Peut être, le fait que mon regard s’accroche à… cette chose. A ce corps vide. Étendu sur le ventre, bleu, gonflé, répugnant. Gidéon ne devrait pas m'inspirer pareil sentiment. Jamais. Pourtant, son visage est tourné vers moi et bien qu’il soit caché par une partie de sa chevelure, rendue sombre par les eaux, je ne peux que voir son œil mort me fixer avec intensité. Arrête de me regarder. Regarde moi. Non. Oh si. Je crois que je ne respire plus.
Vite, il y a peut être quelque chose à faire ? Je peux peut-être le sauver ? C’est un cadavre. Pour un court instant tout bascule une seconde fois. Le bruit, mon poids, le froid, tout me lacère les sens. « Qui est-ce ? » demande quelqu'un. « ... Sainte Madaleina… Sainte Madaleina… pourquoi Gidéon ?… » répète en boucle une voix dans mon dos. « Ça va aller Milo, ça va aller. » le rassure une autre.
– Appelez quelqu’un ! Mais dépêchez vous, hurle une fille trop proche de mes tympans.
Cet électrochoc me permet surtout de me précipiter sur lui. Si quelqu’un avait eu le malheur d’être de nouveau sur mon passage alors il a été bousculé sans vergogne. De toute façon, qui plus que moi mérite d’être à ses côtés à cet instant ? Aucun d’entre eux ne l’aime comme je peux l’aimer. Aucun n’a de raison de le pleurer comme je voudrais le faire. Une fois à genoux dans la boue, au plus près de mon ami, je m'agrippe à la manche de sa chemise. Elle est trempée, je peux voir sa peau à travers le tissu, il doit vraiment être frigorifié.
C’est au moment où j’entreprends de le retourner sur le dos, pour une raison qui m’échappe car après tout… Il n’y a rien à faire. N’est-ce pas ? La seule chose qui compte encore est de pouvoir rester juste un peu plus. Oui, finalement j’aimerais voir ses yeux de nouveau. J’aimerais qu’il me regarde. Mais son corps est lourd et surtout, la voix douce, triste, indésirable de Lyra se fait entendre juste au creux de mon oreille. Elle veut me faire partir. Elle veut que je m’éloigne. « Calypso, il ne faut pas y toucher, on ne sait pas ce qui est arrivé… » me dit-elle « Calypso, suis moi, je t’en prie desserre tes doigts… » continue-t-elle. Je n’y arrive pas, ma main est tétanisée et je la sens finir par tirer un coup sec sur mon poignet. Le vêtement se déchire. Oh non… Mon amie m’éloigne avec toute la délicatesse dont elle est capable, bizarrement, alors que la foule s’est agrandie, elle s’écarte cette fois-ci sur notre passage.
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Kallypygos
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LiliJane
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Bec-Putride
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Siha
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Jill Cara et Louise B.
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