Fyctia
Chapitre 36 - Part 1
11 Avril.
Allongé sous la caisse de mon pote, j’essaye de me concentrer sur ce que je fais. J’ai l’impression de ne plus être bon à rien. Un seul truc m’obsède : le comportement de ma diablesse. C’est comme si ce jour, où j’ai débarqué avec mon flingue, n’avait jamais existé. Pourtant, je sais qu’elle n’a pas cru un mot du bobard que je lui ai balancé.
Depuis elle ne me lâche plus. Elle passe le plus clair de son temps avec moi et même là, alors que je suis chez Pitt, elle a trouvé le moyen de venir. Avec Mia, elle prépare je ne sais quoi dans la cuisine et elles attendent qu’on ait fini. Je vais pas me plaindre. Ça m’évite de devoir trouver des excuses afin d'être constamment avec elle. Depuis que ce malade s’est pointé ce soir-là, je psychote. J’ai l’impression qu’il est partout. Du coup, la savoir juste-là, ça me rassure.
J’avais promis à mon coloc’ de jeter un coup d’œil à sa bagnole. Ce petit bijou dort dans le garage. Franchement, ça me révolte. Une Dodge Dart Sport GTS de 1969 n’a rien à foutre entre quatre murs. Elle devrait avaler le bitume, putain. J’aurais donné n’importe quoi pour avoir cette merveille. Comme la plupart de celles que je croise depuis que je suis arrivé dans le coin d'ailleurs, et lui, il la planque sous un drap.
— T’es sûr que tu vas y arriver ? Même les garagistes chez qui je l’ai emmenée…
— Des couillons juste bons à trifouiller les bagnoles bourrées d’électroniques. Elle est loin d’être comme toutes ces merdes. J’vais trouver ce qui cloche.
Je le vois pas autrement. Je sortirai pas de cet atelier tant qu’elle n’aura pas démarré.
— Ok, c’est toi qui vois.
Je marmonne un truc incompréhensible, insulte un pas de vis qui me résiste, puis une fois arrivé à bout de cet engin de malheur, soupire.
La jolie demoiselle est capricieuse. Comme pour les nanas, j’adore ça. Forte en caractère, il n’y a rien de mieux. Le visage d’Ellyn apparaît dans ma tête et je souris comme un con. Heureusement que je suis planqué sous la carrosserie, sinon Pitt se foutrait de ma gueule. Enfin, il est pas mieux. Ça fait des jours que j’entends parler de sa copine matin, midi et soir.
Quant à moi, je sais pas ce que la diablesse m’a fait, mais c’est comme si elle avait totalement pris le contrôle de mon esprit. Avant, c'était ma queue qui menait la danse, maintenant, c'est mon cerveau. J’ai envie de lui faire plaisir, de la voir sourire et de l’entendre rire. Si ça c’est pas un scoop.
J’ai toujours autant envie d’elle, ça c’est pas un souci. Je m’imagine lui faire l’amour comme jamais chaque fois qu’elle se mord les lèvres. Et encore, s’il n’y avait que dans ces moments-là. Non, le truc, c'est que quelque chose a changé. Maintenant, il n’est plus question que du sexe. Ça va plus loin. Je commence à me dire que ça y est, j’ai trouvé celle qui m’a fait tourner la tête.
Pour moi, c’était impossible et encore moins avec une nana comme elle. Qui voudrait craquer pour un putain de délinquant récidiviste qui a failli finir en taule ? Un mec, qui a grandi dans la rue ? Mes démons marchent en permanence dans mon ombre. Ils me suivent à chaque pas et avec les conneries que je fais, les règles que j’ai envoyé bouler les unes après les autres, ce qui est derrière moi pourrait bien me rattraper.
Du coup, j’ai toujours cru que ça n’arriverait jamais. Que ce délire de tomber amoureux, d’aimer une seule fille, en faire une personne unique, c’était pas pour moi. Pourtant, je dois me rendre à l’évidence, je la kiffe et on dirait bien qu’elle aussi. Savoir que c’est peut-être le cas fait accélérer mon palpitant. C’est souvent comme ça dernièrement. Il suffit que je pense à ce genre de truc, à elle, ou que je croise son regard et il en fait qu’à sa tête. J’aime bien. Mais ça me fait aussi flipper. Avant, j’avais pas peur de grand-chose. Depuis que je la connais, un rien me fout les jetons.
Tout à coup, ma conscience me rappelle qu’elle ne sait pas qui je suis vraiment. Dans mon esprit le petit monde que je me construis s’effondre et je grimace. Quand elle saura, tout ça partira en fumée. À quoi bon m’accrocher ?
Blasé, j’accroche mes mains à la calandre et me tire pour m’extirper de dessous la carrosserie. Une fois sur mes pieds, j’essuie mes mains pleines de cambouis sur mon jean et tire une clope de mon paquet.
— Alors ?
J’embrase le tabac et glisse un regard sur Pitt qui me tend une bière.
— Elle est têtue, mais ça devrait le faire.
Il me fixe, sceptique et prend une gorgée pendant que je fais sauter la capsule de ma canette avec mon briquet.
— On dirait que tu parles d’une fille.
Je ricane et hausse les épaules. À vrai dire, le type qui m’a appris tout ce que je sais sur les voitures, m’a toujours dit qu’une caisse, c’était comme une femme. Qu’il fallait en prendre soin, lui parler, l’écouter pour comprendre ce qui cloche et surtout ne jamais la forcer si elle veut pas.
— C’est un peu pareil, non ? J’veux dire… regarde ses courbes, elle est bandante.
Il lève un sourcil et se marre avant de désigner la Dodge.
— J’ai beau essayer de comprendre, je te jure que je vois pas comment on peut trouver une voiture bandante.
— Parce que tu sais pas. T’as aucune idée de ce que pour moi ce genre de trésor représente.
Il acquiesce pensivement et passe une main embêtée derrière sa tête.
Pitt a encore des réflexes me concernant, qu’il avait avant que je lui avoue tout sur moi. Au début, il me prenait vraiment pour l’un d’eux et pour lui, tout comme eux j’avais eu le droit à tout ce dont j’avais besoin, voire plus. Il a encore du mal à se dire que j’ai passé mon adolescence dans la rue.
— Désolé, je voulais pas…
Il laisse sa phrase en suspens, grimace et je secoue la tête, un sourire en coin.
— T’inquiète, faut dire que j’ai bien joué la comédie.
Il ricane et acquiesce.
— C’est vrai, même si dans le fond j’ai toujours su qu’un truc chez toi été différent.
— La connerie ?
— Non, ça c’est une évidence depuis le départ, se bidonne-t-il.
Je préfère le voir comme ça. Au fil du temps, Pitt est devenu une personne qui compte pour moi. Un vrai pote. J’aurais jamais cru que ça arriverait, surtout en me pointant ici. Pourtant, il est là, me soutient et m’aide comme il peut.
Je termine ma bière, coince ma cigarette entre mes lèvres et soulève le capot pour me pencher au-dessus du moteur. Le carburateur quadruple corps est clean et le reste est tout aussi propre. Je resserre deux trois pièces et passe la tête par-dessus le capot.
— Vas-y, démarre.
Il m’observe sceptique, mais se glisse derrière le volant. Le moteur toussote au premier tour de clé et je replonge le nez au cœur de la voiture.
— Encore.
Il s’exécute et recommence. Je ferme les yeux, elle peine à nouveau et j’écoute.
Lorsqu’enfin elle se lance, j’esquisse un sourire. Pitt accélère pour la faire monter dans les tours et le son qui se répercute sur les murs du garage, me file la trique.
Fier de moi, je souligne les courbes de la jolie demoiselle du regard, heureux de pouvoir lui donner une seconde vie.
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