Fyctia

— Ça existe déjà, ça, remarqué-je. Ce sont des sorts de Druide, pas des sortilèges de Mage ! Tout ce que vous pouvez faire, vous, c’est coller une nouvelle couleur, pour cacher l’autre, pas modifier la teinte de base ! Ou alors, tu nous as caché que tu étais un Sorcier et tu vas pondre une potion de couleur ? Pourtant tu ressembles vachement à un Humnain, hein !

— Mais non ! se récrie One, exalté. C’est là que je suis un génie ! Alors oui, je modifie pas sa couleur de base, mais avec mon sortilège, Aelya pourra changer de couleur à volonté ! Parce que c’est pas un sortilège à usage unique, c’est un perpétuel ! Enfin, il le sera quand je l’aurai fini.

J’avoue, je suis impressionné. Les sortilèges perpétuels sont complexes et occasionnent tellement d’effets secondaires, que peu de mages en font. Seuls les plus doués parviennent à limiter les dommages collatéraux ; j’espère pour Aelya que One est aussi bon qu’il le dit.

— Je l’ai entendue se plaindre à Célener que les potions de couleur coûtaient une aile, poursuit One.

Je reconnais que les Sorciers sont vraiment trop chers. Comme ils sortent peu de leur territoire, leurs potions sont des produits rares et recherchés. Ils en profitent pour en demander des prix exorbitants.

— Et elles donnent souvent de drôles de résultats sur les cheveux vampires, continue One. Alors je me suis dit que j’allais créer à Aelya un sortilège sur mesure. Il prendra en compte la nature vampirique de ses cheveux, et les couleurs ne seront pas limitées comme avec les potions. Je veux qu’elle puisse avoir toutes les couleurs qu’elle veut ! Et qu’elle en change comme elle veut.

L’enthousiasme du Mage a quelque chose de communicatif, et je me surprends à sourire.

— Bon, j’avoue, il risque d’y avoir un temps de latence entre deux changements, ajoute-t-il avec une petite grimace penaude. Mais je réfléchis à un moyen de diminuer ce temps de recharge. Peut-être qu’en tricotant un bout de sortilège de pousse rapide dans ma pelote…

Je le laisse pérorer sur sa merveille, touché malgré moi.

Voilà, c’est typiquement le genre de truc qui me donne envie de balancer le manteau qui me cache !

Aelya n’a rien demandé. One l’a juste entendue parler de quelque chose qui lui ferait plaisir… et il essaie de le réaliser.

Comme les grands cafés glacés que Kim prépare à Erval. Et les heures où Célener a essayé d’expliquer à Maubolfy le fonctionnement des strékidus et du médaillon de Héros. Ou le fait que n’importe membre vienne aider ou conseiller les autres.

Je bats des paupières, la gorge nouée malgré moi.

Ce comportement de la Team n’est ni de la générosité ni du calcul. C’est une réaction naturelle et irréfléchie. Je le sais d’autant mieux que j’y suis moi-même soumis. Impossible de ne pas accourir au secours d’Erval, Aelya ou Tatialine quand ils ont besoin de quelque chose. Sans oublier cette envie de faire plaisir aux autres, qui m’a amené à cuisiner notre premier petit déjeuner.

Je ne sais pas à quoi ça tient… mais je le range avec les autres « bizarreries » de la Team. Le fait que l’on se retrouve tous dans les mêmes endroits sans se concerter, comme une meute de lilous. Ou la spontanéité de nos gestes les uns envers les autres.

— Tu crois que tu vas y arriver ? demandé-je finalement.

One me décoche un regard outré.

— Évidemment, mon sucre en miel ! Je suis un génie, je te rappelle !

Je contiens un sourire.

— Ça lui fera plaisir.

— J’espère, soupire-t-il, soudain moins fanfaron et plus sincère avant d’ajouter d’une voix plus enthousiaste : Si je le réussis, j’en ferais un autre pour Zyn, je suis sûr qu’il adorera ! Je l’imagine déjà avec des cheveux rose !

Je contiens une grimace.

Uniquement parce que le rose est la couleur d’Erval, et qu’elle ne siérait pas à Maubolfy. Rien à voir avec un quelconque agacement à l’idée que One fasse un cadeau à mon ennemi.

De toute façon, c’est en bleu que Maubolfy serait le plus sexy.

— Et d’ailleurs, en parlant de ça…

One attrape son strékidus pour l’éteindre, m’enjoint d’un coup d’œil à l’imiter avant de poursuivre.

— Je voulais être sûr que tu n’étais pas agacé de ma remarque de tout à l’heure.

— Tu veux dire, quand tu as proposé de me piquer mon âme-cœur ?

Celle dont je ne suis pas censé vouloir.

— Piquer… tout de suite les grands mots ! bougonne One. Mais, oui, c’est de ça que je parlais. Tu m’en veux ?

Oui.

Je pince brièvement les lèvres, me racle la gorge, lutte contre l’envie subite qu’a mon regard de s’échapper sur le côté.

— Non, mens-je avec aplomb. Absolument pas.

— Tant mieux, soupire One d’un ton soulagé. Parce que ça m’aurait ennuyé de t’ennuyer. C’est juste que je dois avouer que… Zyn me plaît bien, hein. Un peu. Beaucoup. En fait, il me plaît depuis que je l’ai rencontré à l’auberge.

L’humnain esquisse une petite grimace que je n’arrive pas à interpréter. J’y décèle un poil de gêne peut-être, un soupçon de complicité dont je ne comprends pas la raison, et une ombre d’excitation qui me met mal à l’aise. Et m’agace. M’irrite. M’énerve.

Mais pas question que je lui laisse voir. Il irait en conclure que je suis jaloux.

Bwah ! Jamais !

Je cache mes dents serrées derrière un sourire. Et je décide d’ignorer la manière dont mes entrailles se crispent.

Je suis jaloux ?

Non !

Oui.

J’expire sèchement par le nez.

Bon, d’accord, je suis jaloux. Alors que je n’ai aucune raison de l’être. Pas vrai ? Après tout, Maubolfy n’est rien d’autre que mon ennemi de toujours. Certainement pas mon… ma…

Ton âme-cœur.

Le souffle de l’Éternelle Déesse grince désagréablement et je frissonne. Le coup d’œil de One me fait comprendre qu’il a perçu mon sursaut, sa brève grimace m’indique qu’il se méprend sur sa raison.

— Ça te gêne ? s’inquiète-t-il.

— Quoi ? fais-je mine de ne pas comprendre.

— Qu’il me plaise, énonce l’Humnain d’un ton tout en retenue assez étonnant de sa part.

Je déglutis, mal à l’aise.

— Ce genre de truc ne se commande pas, me borné-je à répondre.

— Donc… ça te ne gênerait pas si je… euh… si je tentais ma chance ?

Et un coup de griffes dans les parties, ça te dit ?

La pensée fuse en moi, me prend au dépourvu autant que la manière dont mon cœur se met à cogner sourdement de colère. Que je sois jaloux (sans raison), passe encore, mais je ne comprends pas vraiment le sentiment de rage possessive qui enfle en moi soudain. Je jugule une furieuse envie de secouer le Mage avant de le jeter contre un mur, déglutis et colle ce qui peut peut-être passer pour un sourire, sur mes lèvres.

La réponse à donner, je la connais. Je la formule même mentalement.

« Bien sûr que non, ça ne me gênerait pas. »

— Si, ça me gênerait, articulé-je entre mes dents.

Pris de court par ma propre voix, je bats des paupières plusieurs fois, cherche en hâte une raison logique pour expliquer ma réaction.

Ah !

J’ai trouvé l’argument imparable ! Ma bouche frémit d’un sourire en coin satisfait quand je lance :

— Si tu baves trop devant Maubolfy, ton plan de ship risque de tomber dans les douves.