Fyctia

Un frisson remonte mon dos en même temps que l'Éternelle crisse dans mes os, à ce dernier mot. Pourquoi est-ce que me revient aussitôt en mémoire l’aveu du Maubolf sur sa peur de l’eau ? Pourquoi est-ce que j’entends à nouveau la fêlure dans sa voix ? Que je revois la pâleur extrême de sa peau, ou la panique dans ses beaux yeux ?

Au lieu d’être touché par ce moment que Maubolfy et moi avons partagé pendant la réunion, je devrais savourer l’ironie de la situation, non ?

Non parce que, quand même… Un Kobold qui a peur de l’eau, c‘est le comble ! Oui, enfin, je suis pas mieux loti.

Si les Orc sont mauvais nageurs, les chats-garous ont par contre une absence totale de vertige.

Moi, pas. Je suis terrifié par la hauteur.

La faute au jourmeil où ma mère m’a caché en haut d'un arbre quand j’avais six ou sept ans. Nous étions en fuite, évidemment. Elle m’a posé sur une branche en m’ordonnant de ne pas bouger avant de disparaître, nos poursuivants aux trousses. Je n’ai pas bougé. Je me suis agrippé de toutes mes forces à la branche, au tronc, à tout ce que je pouvais. Jusqu’à avoir mal. Jusqu’à ce que les crampes me dévorent. Jusqu’à ne plus sentir mon corps. Ni le froid qui montait à mesure que tombait la nuit, ni la morsure des écorces sous mes ongles ensanglantés, ni la faim ou la soif. La seule chose que je pouvais encore ressentir était la terreur. Celle de tomber. Celle que ma mère ne revienne jamais me chercher. Celle d'être dévoré par un lilou. Même la voix de l'Éternelle déesse n’est pas parvenue à me rassurer. Rien ne l’a pu.

Quand ma mère est revenue, le jourmeil s’était presque complètement écoulé et mon âme était à l’agonie.

Je n’ai jamais été capable de remonter à un arbre après cela. Même sous forme féline, la hauteur m’angoisse. Je panique, je me noie dans ma terreur. Même poursuivi, je suis incapable de sauver ma peau en escaladant quoi que ce soit de plus haut que moi. La preuve ? C’est bien à cause de cette peur des hauteurs que le Maubolf m’a rattrapé quand j’avais 8 ans. En pleine forêt, il m’aurait normalement été facile de lui échapper en grimpant au premier arbre venu. Sauf que cela m’était impossible…

Dans le fond, si ma mère a réellement essayé de tuer Maubolfy quand il avait cinq ans… alors lui et moi devons nos pires peurs à la même personne.

Ma mère, cette Orc charmante.

— Nan, t’inquiète pas, glousse One avec un large sourire soulagé. Je sais jouer différemment devant les strékidus et quand ils sont éteints ! Notre ship tiendra bon et personne ne s'apercevra qu'en fait, je craque sur Zyn.

Je grince à nouveau des dents à force de les serrer derrière mon sourire.

Je ne veux pas d’une relation entre le Maubolf et One. Je n’en veux pas.

Je me moque de savoir pourquoi. Enfin… Je n’ai pas envie de me demander pourquoi. Enfin… je n’ai pas envie d’admettre pourquoi.

— Ca se voit déjà, que tu craques sur Maubolfy, rétorqué-je fraîchement. La Team a assez de soucis à régler comme ça, sans en plus devoir gérer une pseudo histoire de c… de cœur entre le faux prince et toi. Et j’ai suffisamment à faire moi aussi, je n’ai pas envie de vous voir traîner ensemble tout le temps… avec notre ship, ça voudrait dire que Maubolfy traînerait tout le temps près de moi aussi.

Je reprends mon souffle et poursuis sans laisser à One le temps de démonter mon argument. Il faut dire qu’il est si fragile qu’un coussinet de chaton suffirait à le mettre à terre.

— Donc, oui, ça me gênerait que tu tentes ta chance.

Un silence profond et un peu lourd accueille la fin de ma phrase. Face à moi, One est figé, le visage impassible. Dans son regard brille une lueur à la fois réfléchie, inquiète et intriguée. J’espère avoir trouvé des excuses « acceptables » à une réaction qui ne l’est pas vraiment et attends, les épaules tendues.

— Tu sais que quand je flirte avec toi, c’est pour de faux, hein ? lâche-t-il soudain. C’est pour le show des Terremondiens !

Bonne sève de Groschk !

Il me croit jaloux de… Il imagine que je craque sur lui ?

— Oh oui, t’as vraiment pas à t'inquiéter de ça.

Vraiment aucune inquiétude à avoir, One. T’es absolument pas mon type.

Impossible de ravaler le grincement ironique de ma réplique. Mais One n’a pas l’air de le remarquer ou de s’en formaliser. Après tout, qu’il s’imagine ce qu’il veut… tant qu’il ne va pas baver près de Maubolfy.

— Super ! s’exclame-t-il avant de rallumer son Hanarque. Bon, je m’y remets, j’ai du travail pour finaliser mon sortilège. Tu remontes ou tu continues à t'entraîner ?

— Je reste.

Tandis que je me détourne pour retourner à ma table de travail, mon regard glisse sur celle utilisée habituellement par Kim. Fioles et plantes séchées y sont rangées de manière méthodique.

— On pourrait proposer à Kim de s'entraîner avec nous, la prochaine fois, lâché-je.

— Pourquoi ? Renifler des poisons, ça n’a rien à voir avec la magie ou ce que toi et moi faisons.

Je tique à la remarque de One et réplique sèchement du tac au tac :

— Un sortilège de couleur de cheveux n’a rien à voir avec un sort de régénération cardiaque, pourtant tu es là, non ?