Fyctia

"Je jette ensuite un rapide coup d’oeil à ma montre. 20 heures. La première partie de la réception ne devrait pas tarder à se terminer pour laisser sa place au combat."

Cette soirée est organisée par l’un des clubs de boxe les plus en vogue de Boston. Ils sont à la recherche de nouveaux sponsors pour les années à venir et il n’y a rien de mieux qu’organiser un cocktail pour rassembler toutes les plus grosses fortunes de la côte Est des Etats Unis. La réception permet aux investisseurs potentiels de se confronter à la concurrence tout en ayant un premier échange informel avec le gérant du club ainsi qu’avec ses sportifs.

Le premier étage du bâtiment dans lequel je me trouve est réservé à l’accueil des invités et à la réception tandis que le rez-de-chaussé a été aménagé d’un ring de boxe et de gradins pour que nous puissions assister à la confrontation.

Pour un club en manque de fric, ils n’ont pas hésité à mettre le paquet. J’imagine qu’il faut vraiment être prêt à tout quand on veut impressionner des hommes d’affaires comme mon père et espérer en tirer un beau chèque.

Évidemment, il est intéressé par ce club et par ce qu’il pourrait en tirer. Sinon il ne serait pas là. Et moi non plus. Mon père songe à investir car ce club est réputé pour être une usine à champions. Les boxeurs adultes qui s’y entrainent occupent le podium de toutes les compétitions auxquelles ils participent et de plus en plus de jeunes s’y inscrivent chaque année. Profiter de la notoriété de ce club permettra à mon père d’ajouter les salles de sport à la liste des possessions qui l’enrichissent un peu plus chaque jour.

Cette soirée à l’entendre faire des courbettes aurait été un véritable calvaire si je ne connaissais pas l’un des fameux champions de ce club depuis ma plus tendre enfance. Si seulement il se décidait à se montrer, le temps serait bien moins long. Adrian s’entraîne ici depuis des années. Je crois qu’il s’est inscrit lors de son entrée au lycée. Je n’étais pas à Boston pendant cette période alors il m’arrive d’oublier ce que j’ai loupé.

Toujours est-il qu’en plus d’être une vedette, il donne maintenant des cours aux enfants qui sont intéressés par les bases des sports de combats. Je me souviens que ses parents, qui sont très proches des miens, n’étaient pas du tout emballés par ce projet d’avenir. Être entraîneur sportif n’était, d’après eux, pas une profession assez bien pour leur fils. Ils n’ont pas arrêté de se disputer à ce sujet. Alors, dès que ses compétitions lui ont rapporté assez d’argent pour être totalement indépendant, Adrian a tourné le dos à la fortune familiale pour se concentrer sur sa carrière et sur ce qu’elle lui apporte : bonheur, tranquillité et liberté.

Il ne regrette pas sa décision. Au contraire, il répète sans arrêt que c’est la meilleure chose qu’il n’ait jamais faite. Malgré les tensions que son départ a créé dans sa famille, il reste très proche de sa petite sœur, Laurel, et prend sur lui lorsqu’il est amené à voir ses parents.

Je lui envie son courage et sa détermination. Je me porterai tellement mieux à partir du jour où je partirai en claquant la porte au nez de mon père.

J’agite la tête, le nez au vent, me tordant le cou à la recherche d’Adrian. Impossible de le trouver dans cette foule d’hommes en costumes et de femmes en robes de soirée. Je finis même par douter de sa présence.

Je sors mon téléphone pour lui écrire un rapide message. Avec un peu de chance, il a le sien à portée de main.

• Par pitié, dis-moi que j’ai seulement besoin de lunettes et que tu es quelque part dans cette salle de réception.

Je fixe l’écran en attendant que des petits points, indiquant qu’il est en train de rédiger sa réponse, n’apparaissent. Heureusement pour moi, qui ne suis pas très patient, elle arrive au bout de quelques secondes.

• Je te manque tant que ça ?

Je ne peux pas m’empêcher de lever les yeux au ciel et de marmonner une insulte. Si un jour il abandonne le sport, je lui suggérerais de faire carrière dans l’humour. Je pianote sur le clavier et envoie un nouveau message.

• Ne me prends pas pour ton ancienne copine.
• C’est insultant.

• Enfoiré !
• On avait dit qu’on ne parlerait plus jamais de cette meuf …
• Je termine de préparer Rose pour son combat et je te rejoins.
• Trouve-nous de bonnes places, je m’occupe de nous prendre à boire sur la route.

• Je n’en attendais pas moins de toi.

Je verrouille l’écran de mon téléphone. Je n’ai plus qu’à attendre.

L’envie d’aller fumer me démange. Le poids du paquet s’alourdit dans ma poche. Si j’avais trouvé un coin tranquille près d’une fenêtre, je serais allé me griller une cigarette mais les baies vitrées ne donnent pas sur des balcons suffisamment larges pour que je puisse m’y glisser. En plus, il y a bien trop de regards indiscrets dans cette pièce pour que ma pause clope ne passe inaperçue. Si elle atteint les oreilles de mon paternel, je ne donne pas cher de ma peau à notre retour. Je n’ose pas imaginer la colère que je lirais sur son visage s’il me découvrait, une cigarette entre les lèvres, caché derrière une paire de rideaux hors de prix, lors d’un événement aussi important à ses yeux.

Y penser ne fait qu’accroître mon besoin de nicotine, alors, je suis plus que reconnaissant lorsqu’un maître de cérémonie grisonnant annonce la suite des festivités. Il nous invite à le suivre à l’étage du dessous pour prendre place dans les gradins.

Il n’a pas besoin d’en dire plus que je le talonne, ignorant les remarques sévères des couples que je bouscule sur mon passage. Ils disent que je suis mal élevé et que je n’ai rien à faire ici. Je dissimule difficilement le sourire qui se dessine sur mon visage. Si cette dame savait à quel point je suis d’accord avec elle et qu’elle devrait en toucher deux mots à mon père, elle ne serait sans doute pas aussi fière de sa réflexion.

Le maître de cérémonie pousse une lourde porte en bois et nous fait signe d’entrer dans la pièce. Elle ne ressemble pas du tout à la salle de bal que nous venons de quitter. Ici, les lustres en cristaux, le parquet ciré à la perfection et les nappes d’une blancheur absolue n’ont pas leur place. Plusieurs séries de gradins encadrent le ring qui occupe la majorité de l’espace de cette vaste pièce.

Je me dirige vers les sièges qui sont le plus loin de ceux que mon père et ses associés viennent d’accaparer. Hors de question de m’infliger leur compagnie. Je m’assois dans un coin qui n’est pas très éclairé mais je veille à ce que nous ayons une bonne vue. Adrian est capable de me faire la misère s’il ne peut pas assister correctement à l’affrontement de sa partenaire préférée.

A suivre ...

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