Fyctia

"Adrian est capable de me faire la misère s’il ne peut pas assister correctement à l’affrontement de sa partenaire préférée."

Je manque d’éclater de rire lorsque je remarque que des coussins en velours sont posés sur les sièges. Il n’y a vraiment que l’élite pour assister à un combat de boxe dans des conditions aussi luxueuses. J’aurais aimé voir toutes ces femmes se plaindre de l’inconfort des gradins et tous ces hommes feindre de ne pas le remarquer.

Des spots éclairent le ring. Des hommes sont au centre, en train de discuter. L’un tient une liste et un micro, j’imagine qu’il effectue les derniers réglages tandis que celui qui l’accompagne hoche la tête de temps en temps. Il revêt un survêtement noir floqué avec le logo du club. Il doit s’agir du propriétaire ou, vu sa carrure, de l’entraîneur principal qui veille à ce que toutes les normes de sécurité soient respectées.

— Pourquoi est-ce que tu ne t’es pas assis encore plus loin ? Je suis persuadé qu’on peut trouver de la place de l’autre côté du mur.

J’oublie les deux hommes et écarquille les yeux lorsqu’Adrian apparaît dans mon champ de vision, ignorant complètement sa remarque.

— Qu’est-ce que tu as fait à tes cheveux ?

La dernière fois que nous nous sommes vus, il arborait une coupe de surfeur californien dont il était très fier. Aujourd’hui, je peine à reconnaître ses cheveux blonds tant ils sont courts.

— J’en avais marre de me battre tous les matins pour les attacher.

Il hausse ses larges épaules puis retire la veste de son costume. Il arrange le col de sa chemise et je le taquine sur le sujet. Adrian n’est pas friand des tenues de soirées. Enfiler autre chose qu’un jogging et un sweat à capuche a dû lui demander un effort surhumain.

— J’espère que tu es prêt à en prendre plein les mirettes, dit-il en s’asseyant à côté de moi. Le combat s’annonce épique.

Il sourit d’un ton joyeux avant de s’attaquer à l’ouverture de la bouteille de champagne qu’il dissimulait derrière son dos pendant qu’une voix annonce le début imminent de la confrontation.

— Comment peux-tu en être si sûr ?

Curieux, je fronce les sourcils et l’interroge en me saisissant de la bouteille qu’il me tend après en avoir bu quelques gorgées. Je porte délicatement le goulot à mes lèvres. J’avale doucement l’alcool pétillant afin de ne pas m’étouffer avec les bulles. Le goût frais et sucré du champagne me caresse les papilles et fait palpiter mon coeur.

Je ne sais pas combien de verre j’ai bu depuis que je suis arrivé, mais il n’y a rien de mieux que l’ivresse pour m’apaiser.

— Je n’ai jamais vu quelqu’un boxer comme Rose. Elle est rapide, souple et dégage une puissance qu’on ne lui devine pas. Elle ne fait qu’une bouchée de ses adversaires.

Lorsqu’il parle de cette fille, il a des étoiles dans les yeux. S’il ne m’avait pas assuré des centaines de fois que leur relation est purement platonique, j’aurais fait une blague sur les sentiments qu’il éprouve pour elle.

L’entendre prononcer son nom me fait frissonner. Comme à chaque fois qu’il le fait. Mes yeux se posent instantanément sur le dessin qui court le long de mon avant bras et qui se termine sur le dos de ma main. Je tire sur la manche de ma chemise pour le dissimuler. Je sens ma peau picoter comme si les épines des fleurs s’amusaient à me griffer.

Elle ne cessera donc jamais de me hanter ?

— Depuis le temps que tu me parles d’elle, dis-je pour penser à autre chose, il me tarde de la rencontrer. J’allais finir par croire que tu l’avais inventé..

Adrian n’a pas le temps de répliquer que des applaudissements et des acclamations perturbent notre conversation. Les lumières s’éteignent, ne laissant comme seuls éclairages que les spots que j’ai remarqué en arrivant. L’homme en survêtement se tient à nouveau au centre du ring. Il remercie les invités pour leur présence et annonce l’arrivée des sportives. Je m’attendais à ce qu’il présente leur parcours mais il reste évasif. Adrian se penche vers moi et m’explique qu’il attend qu’elles entrent en scène pour vanter leurs mérites.

— Ce n’est pas très poli de parler de quelqu’un quand il n’est pas là, conclut-il en me faisant un clin d’oeil.

Quelques secondes passent avant qu’il ne s’agite sur son siège. Il se redresse, tend le cou vers la droite et vers la gauche, afin d’être le premier à apercevoir son amie faire son entrée.

— Regarde. C’est elle.

Il tire sur ma chemise en pointant une silhouette de sa main libre. De là où je me trouve, je peine à la discerner correctement. Elle ne m’a pas l’air très grande pour une athlète, à moins que ce ne soit la distance et mes multiples coupes de champagne qui m’empêchent de la voir correctement. Elle reste dans l’ombre pendant que l’homme introduit son adversaire.

— Maintenant, annonce-t-il avec un sourire rempli de fierté qu’il ne dissimule pas. J’ai l’honneur de vous présenter une boxeuse qui a grandi avec notre club. Elle avait à peine 17 ans lorsqu’elle nous a rejoint et ne nous a jamais quitté depuis. Mesdames et messieurs, veuillez accueillir notre Rose comme il se doit.

Adrian saute de son siège pour l’acclamer. Il applaudit de toutes ses forces et est rapidement suivi par le reste de l’assemblée tandis que je me mortifie. L’air quitte mes poumons. La bouteille de champagne glisse de mes doigts et s’éclate à mes pieds. Grâce à l’euphorie, personne ne remarque mon malaise.

Rose.

Nine Rose.

Elle avance vers le centre du ring et il n’y a plus aucune chance que ce soit un malentendu. Ses épais cheveux blonds sont rassemblés en deux longues tresses qui rebondissent sur son dos musclés et libèrent son visage. Elle promène ses yeux gris sur le public qui continue de l’applaudir. Elle respire avec une assurance que je ne lui connais pas. Dans sa tenue de boxeuse, elle ne ressemble plus du tout à l’adolescente qui portait des robes à fleurs avec qui je passais mes après-midis.

Elle se tourne dans notre direction et mon coeur loupe un énième battement. L’espace me paraît de plus en plus étroit. J’oublie la présence d’Adrian à côté de moi et celle de mon père quelques mètres plus loin. Le reste du monde n’existe plus. Il n’y a qu’elle et moi.

Comme avant.

Comme toujours.

Nine n’a plus rien de celle que j’ai quittée, il y a des années. Pourtant, lorsque je la vois, j’ai l’impression d’avoir de nouveau 14 ans et de tomber sous son charme encore une fois.

A suivre ...

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