Fyctia
Hélène (à propos de)
Il était deux heures trente du matin quand Hélène m’embrassa, me tourna le dos et se résolut à fermer la porte derrière elle, me laissant hébété sur le trottoir, avec un arrière-goût de déception qui se confirmerait plus tard par l’absence de nouvelles. Je pensais pouvoir obtenir son numéro par Mathilde, l’organisatrice de la soirée, qui me dit « oh tu sais, Hélène elle est comme ça, je peux lui en parler mais à mon avis c’est sans lendemain. »
Ok, mais moi je n’ai pas demandé un avis, j’ai demandé un numéro. Bref, foutu pour foutu. Il est donc deux heures trente du matin, je me rends compte que cette rue bordelaise laisse sacrément passer les courants d’air et que, dans l’empressement de raccompagner la belle à son domicile, j’ai eu la couillonnerie de sortir en t-shirt.
L’appartement de Mathilde où j’ai laissé ma veste n’est, mine de rien, pas tout près. Je ne m’attendais certes pas à entrer chez Hélène, me contentant de la raccompagner en évitant les dangers masculins de la nuit – quel grand seigneur fais-je ! – mais j’étais quand même surpris de ce combo baiser langoureux, c’était sympa salut, clac la porte. Sa langue menue avait un goût d’ananas et de rhum arrangé, un bref voyage qui donnait envie de s’envoler à deux sous un soleil complice. J’avais enfoncé mes doigts dans la laine de son pull, derrière ses omoplates.
Ses mains à elle étaient posées sur ma poitrine, sensation valorisante pour un mec qui fait trop peu de sport et dont les pecs sont aussi volumineux qu’une flammenkueche. Ne me restent que des bribes de son parfum sur ma peau, et le souvenir de sa tiédeur pour braver le froid.
Bon, connaissant Mathilde, j’aurai un bon café pour me réchauffer. J’espère juste ne pas la ramasser à la petite cuillère avec les gens encore présents chez elle parce qu’elle maudira la terre entière pour la raison que, de tous les mecs qui dorment chez elle, aucun n’envisage le lit à deux plutôt que le canapé chacun de son côté. La vie est bizarrement fichue, dès fois.
Effectivement, rentré dans le petit appartement de la rue Buhan, Mathilde est en larmes, car le beau jeune homme qu’elle avait invité pleine d’espoir s’est tiré, qui plus est pour aller en retrouver une autre.
« Je voudrais juste qu’on m’aime ! » implore-t-elle en griffant sa porte.
J’apprends par l’intermédiaire d’une copine qu’elle avait déjà, à l’occasion d’une soirée antérieure, couché avec le garçon, s’était rendu compte avec le thé du matin qu’il lui plaisait bien, et lui avait demandé si se revoir ne lui déplairait pas. Manifestement, leurs attentes n’étaient pas les mêmes.
— C’était quand déjà, cette soirée chez Mathilde ? me demanda Maya, à quelques mètres, accroupie derrière un jeune hêtre.
— Je ne sais plus, lui répondis-je. Ça remonte un peu, j’étais encore en licence je crois.
— Oui, au moins. Je revenais juste de mon trimestre à Prague.
— Oui, tu nous avais raconté que tu voulais monter ton spectacle de marionnettes pour les écoles autour d’un conte d’Andersen !
— Le Rossignol de l’empereur. Bon sang, j’ai aimé le jouer ce spectacle. J’ai visité toute la Gironde avec. Faudrait que je le relance, un de ces jours, tiens !
— Oui, avec le réseau que tu as aujourd’hui, tu te fais aussi les Charentes, le Périgord, voire même les Landes et la côte basque.
— Toute l’Aquitaine, en fait !
— Gros morceau.
— Grave, je vais auditionner une comédienne en alternance, j’aurai la flemme de tout assurer.
— Tu as fini, là ?
— Oui, j’arrive.
Maya sortit de derrière l’arbre qui venait de lui servir d’arrêt pipi.
— Pourquoi tu me parlais de cette fille, Hélène, déjà ?
— Parce que je l’ai revue, par hasard.
— Ah oui.
— Et toi, tu peux me redire pourquoi tu as besoin de faire pipi dans un sous-bois au lieu de profiter des toilettes de chez ta Tante Lu ?
— Parce que ses toilettes ont un vis-à-vis et que, la dernière fois que j’y suis allée, j’ai vu le voisin d’en face lorgner par la fenêtre, une paire de jumelles à la main. Depuis, je prends rendez-vous avec ce sous-bois.
— Ça se tient.
— On parle d’Hélène maintenant ou on attend d’être chez moi ?
— On est pas mal, là, dans cet environnement forestier.
— Et d’ailleurs je n’ai pas envie d’attendre, surtout si on s’éternise chez Tante Lu. Je t’écoute, gringo !
Je repris le fil de mon souvenir. Maya m’écoutait, en hochant la tête d’un air navré, mais je sais que tout cela l’amusait. Comme le fait que, chaque fois que je montais à l’arrière de son scooter, je me cramponnais à elle comme un bébé koala à sa maman. L’engin nous attendait, calé au bord de la route étroite. C’est vrai que je n’aimais pas le scooter. Quand Maya conduisait, cela dit, ça allait.
— Oui, donc, Hélène…
— Tu l’as revue ?
— Dans un bar.
— La Taverne du Graal ?
— Oui, c’était soirée karaoké, en plus… T’imagines le délire, la grosse table en chêne poussée contre le mur, les gens qui montaient dessus pour chanter, et une playlist qui va de « I’m a Barbie Girl » à « Louxor, j’adore » en passant par Iron Maiden et le générique de Pokémon.
— Grosse ambiance ! Comment ça se fait que j’y étais pas ?
— T’étais pas au mieux de ta forme, je crois.
— Ah oui, les joies de l’endométriose…
— Ouais. Enfin bon il y avait la fameuse Hélène.
— Et alors ? Vous avez poussé la chansonnette ?
— Non, même pas. Enfin, pas ensemble. Remarque elle était pas mal à chanter du Britney avec ses copines.
— T’as chanté quoi, toi ?
— Capitaine Flam. Et puis j’ai bu une cervoise.
Maya pouffa. Je sais parfaitement qu’elle visualisait la scène, ma voix chantée approximative, l’ambiance du bar qu’elle connaissait bien.
— Je crois que j’ai fini par l’aborder, en lui demandant si elle se souvenait de moi.
— Et elle se souvenait ?
— Non. J’ai essayé d’éclaircir sa mémoire, sans lui dire qu’on s’était embrassés… Elle m’a répondu qu’elle pouvait parfois boire beaucoup en soirée et ne se rappeler de rien.
— Mince, désolée pour toi.
— Ouais.
— Et ça s’est fini comment ? Tu as quand même tenté d’avoir son numéro ?
— Dix minutes plus tard, elle a attrapé une chope de bière vide, et a vomi dedans. La pinte complète. Donc non, je ne le lui ai pas demandé.
Maya était morte de rire. Il était de notoriété publique que je n’avais jamais de chance avec les filles. C’était une valeur aussi sûre que deux et deux font quatre, ou encore qu’une viennoiserie à base de pâte feuilletée et de barres de chocolat s’appelle chocolatine. J’aurais pu écrire du stand-up juste avec mes anecdotes, mais je manquais d’autodérision. Et puis ça faisait mal, des fois.
Je remontais sur le scooter, ceinturant Maya à l’abdomen, comme si ma vie en dépendait.
La jeunesse et les amours contrariées, les montagnes russes et le cœur qui se débat, le corps qui tremble et n’en peux plus jusqu’au fond des os, envie d’une bouffée d’air, envie que ça accélère, envie d’un oui et d’une immense baffe de la vie, souffler sur les braises, souffler la bonne température et enfin, l’âme dans les étoiles, remercier pour l’or et en vouloir encore.
Roller coaster.
70 commentaires
oooDaphneooo
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Il y a 3 mois
Augellino belverde
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Il y a 3 mois
Manonst
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Il y a 3 mois
Augellino belverde
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.cbh.
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Augellino belverde
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Gottesmann Pascal
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Augellino belverde
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Agathe De pas
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Il y a 4 mois
Augellino belverde
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Il y a 3 mois