Fyctia

Nous sommes mercredi, le meilleur jour de la semaine, car c’est celui où Jacob entraîne les enfants, donc pas de boxe pour nous. Avant, j’utilisais ce temps pour être avec Alaric, on allait faire un footing, on tapait dans le sac de frappe qu’il avait installé dans sa chambre. Souvent, on finissait la journée avec nos parents, à discuter tous les quatre devant une émission de télé idiote. À l’époque, je croyais ne pas aimer le mercredi, le club me manquait, maintenant, je sais que c’était déjà mon jour préféré.

Je me lève et enfile un jogging gris que me sert un peu pour tout. J’allume la machine à café qui fait un bruit assourdissant, mais qui m’est devenue essentielle depuis que j’ai commencé à en boire chaque matin. Ensuite, j’ouvre Netflix sur la télévision, c’est la première chose que j’ai achetée avec l’argent de mes combats, j’en ai choisi une très grande pour me sentir en parfaitement en immersion dans les séries que je regarde. Je prépare le bacon et les œufs et je peux enfin profiter tranquillement de cette belle journée en ne faisant strictement rien.

En ce moment, je regarde la chronique des Bridgeton, non pas que j’aime réellement cette série mais j’ai besoin de savoir s’il va vraiment épouser la petite sœur, juste ça, et je ne regarderai pas la prochaine saison. Je reçois une notification de Tinder que je ne lis même pas : hors de question d’être déconcentré maintenant.

Le moment du mariage arrive et je pose mon café, le suspense est à son comble.Quelqu'un sonne. Je fais semblant d’ignorer la première, mais rapidement des dizaines d’autres suivent.

Je prends le téléphone de l’interphone pour pouvoir communiquer avec mon invité surprise :

– C’est qui ?

– C’est moi, ouvre, me répond une voix que je commence à trop bien connaître.

Mais qu’est-ce qu’elle vient foutre ici ? J’hésite à la laisser en bas, mais l’idée qu’elle puisse venir m’annoncer une mauvaise nouvelle concernant son père me traverse l’esprit et je décide de la laisser monter. Je me précipite pour aller changer de série, mais elle est déjà en haut quand je retrouve ma télécommande.

– Qu’est-ce que tu fais ?

– Je déjeune et j’essaie de régler un problème avec ma télé.

Je me retourne vers elle et l’observe poser son regard sur l’écran en fronçant les sourcils.

– T’inquiètes, tout le monde aime cette série.

Elle est presque trop aimable, c’est mauvais signe. Je pose les yeux sur la robe blanche et violette qui dessine ses hanches, si elle n’avait pas son air de chieuse habituel, je dirais qu’elle est plutôt jolie comme ça. Elle porte deux sacs de course qui sont si lourd qu’ils coupent la circulation de ses mains qui ont désormais perdu leur teinte rosée.

– T’as porté ça toute seule Baby Al ?

– Très drôle, ne m’appelle pas comme ça. Plus jamais.

Elle regarde avec consternation l’état de mon appartement. Je fais le ménage, je range un peu, mais c’est vrai que ce n’est pas encore ça.

– Pourquoi est-ce qu’un carton te fait office de table basse ?

J’ai décidé de quitter le domicile familial du jour au lendemain. J’ai la chance de pouvoir vivre de mes combats et j’ai décidé d’en profiter pour habiter plus près du club. J’ai dû improviser quelques trucs en attendant d’aller acheter des meubles, donc cette « table », mon matelas juste posé au sol qui attend toujours son sommier et une cagette-étagère dans la salle de bain.

– Et si on se demandait plutôt pourquoi tu débarques chez moi un mercredi, avec deux sacs remplis de…

– Nourriture, principalement. Et deux, trois autres trucs.

Je crois que je commence à comprendre ce qu’elle veut faire, et je n’aime pas du tout l’idée.

– Mon père trouve que ton mode de vie n’est pas vraiment… Sain. Je viens donc pour faire un peu de tri.

Un rire nerveux s’échappe de ma gorge. Elle est sérieuse ? Hors de question que je change quoi que ce soit, c’est un peu comme si mon patron venait chez moi pour m’indiquer comment vivre en dehors de mes heures de travail.

– Ne t’inquiète pas, je m’y connais. J’ai fait un exposé l’année dernière sur l’importance d’une alimentation saine pour les sportifs.

– Ok, génial, alors, si mademoiselle Alessia a fait un exposé sur le sujet, je n’ai aucun souci à me faire, c’est certain.

Elle ne relève pas et me présente son plan en cinq points, que j’écoute puisque je n’ai pas d’autre choix que de l’accepter.

Comment améliorer ses capacités sportives grâce à son mode de vie ? Par Alessia-la-chieuse

1. Avoir une alimentation équilibrée et riche en protéine.

Comme prévu, Alessia commence par ouvrir mon frigo. Je reste en retrait, appuyé contre le plan de travail à deux mètres derrière elle, en attendant sa réaction.

- Pizza, nuggets, et c’est censé être quoi ça ?

- C’est une pâte à tartiner. Ça ressemble à des chamallows fondus. Tu devrais goûter, un peu de sucre ça ne te ferait pas de mal.

Enfin vu que c’est déjà une tornade à l’état naturel, il vaudrait peut-être mieux qu’elle évite de prendre un truc comme ça en plus. Je n’ai pas envie qu’elle retourne mon appart à la recherche du moindre détail qui pourrait compromettre ma supposée carrière.

– Mais tu manges quoi d’habitude en dehors de ça ? Il n’y a presque rien dans ton frigo…

– Je commande des trucs.

– Des trucs comme ce qu’il y a actuellement dans ton frigo ?

Carrément, des trucs pires même. Après chaque séance, j’ai une faim de loup, et je rentre complétement épuisé. Ma mère me préparait des plats quand j’habitais chez elle, mais je ne me vois pas lui demander de cuisiner pour moi chaque soir, même si elle serait sûrement ravie de le faire.

Alessia prend un sac-poubelle et y jette tout le contenu de mon frigo et d’une bonne partie de mes placards. Je ne sais même pas ce qui me retient de la mettre à la porte.

– Je vais te faire des menus, ça sera plus simple.

– Arrête, t’es pas ma mère, je vais me débrouiller. Au pire, fais-moi une liste avec tes autres points et envoie-la-moi.

Je suis prêt à accepter ce truc pour qu’on en finisse, mais elle ne veut rien entendre et continue de rédiger un menu avec une feuille de mon imprimante et un stylo trouvé sur la table carton. Je jette un œil par-dessus son épaule et je remarque une quinzaine de plats varié, avec beaucoup de viande et d’œufs, mais aussi des légumes et des féculents.

– Pourquoi tu fais tout ça pour moi si tu me détestes ?

– Je ne fais pas ça pour toi. Je fais ça pour mon père et pour le club.

Cette fille est vraiment un ovni.

Je la fixe silencieusement alors qu’elle range les courses et organise à nouveau mes placards. J’ai l’impression que tout a changé dans ma cuisine en une demi-heure.

Alessia, j’ai la sensation que tu vas tout remuer dans ma vie. Et je déteste ça.