Fyctia
#1 - En route
Caroline regardait par la fenêtre de la voiture filant à vive allure sur l'autoroute. Son dos lui faisait mal. Elle avait pris une mauvaise position pour dormir et ses lombaires se rappelaient à elle.
Thomas, son mari, et elle avaient pris la direction de la côte bretonne pour passer quelques temps loin du tumulte de la ville. Son regard attrapa un panneau indicateur "BREST - 275km". Il leur restait moins de 3h de route si tout se passait bien. Elle se tourna vers leurs jumeaux endormis à l'arrière, leurs doudous bien coincés contre leurs visages.
Bien qu’en tout point identiques, pour tout autre qu’elle, elle avait mis un point d'honneur, dès leur naissance, à les laisser exprimer leurs similitudes ou leurs différences. C'est vrai qu'à neuf mois, ils ne pouvaient pas encore lui dire s'ils voulaient ou non porter les mêmes vêtements, elle alternait donc, mais ils avaient déjà su montrer des signes d'indépendance. Le choix de leurs doudous en était un: Lucas avait choisi le lion aux couleurs vives tandis que Théo avait porté son choix sur le renard aux teintes pastel.
Les voir ainsi, si paisibles, lui rappela pour quelle raison, Thomas et elle avaient entrepris ce voyage. Après la confirmation de la grossesse ; une victoire après toutes ces années de procédures médicales ; la première échographie avait montré la présence d'un seul sac embryonnaire dans lequel deux petits cœurs battaient. Sa grossesse n'avait pas été particulièrement difficile. Elle n'avait pas eu de nausée; ni de douleur pelvienne, ni d'envie particulière. En dehors d'un taux de sucre légèrement supérieur à la moyenne et un ventre rond comme une barrique, elle ne présentait aucun des symptômes classiques. Ses copines l'enviaient. Loin de lui permettre de profiter pleinement de sa grossesse, cette absence l'inquiétait et le fait qu’il s’agisse de jumeaux l’angoissait. Il y avait tellement de complications possibles. Elle n'avait été réellement rassurée que lorsqu'ils s'étaient mis à bouger et qu'elle avait pu les sentir. Après quelques semaines, elle était même capable de les reconnaître aux mouvements qu'ils faisaient.
A ces merveilleux moments, partagés avec un Thomas aux anges d'être enfin bientôt papa, avait succédée la dure réalité de devenir parents de jumeaux. Leur vie de couple avait été chamboulée par ces deux petits êtres très demandeurs et qui lui prenait tout son temps. Thomas, d'abord fier qu'elle veuille allaiter, avait commencé par regretter ce choix quand il avait compris que cela impliquait une extrême sensibilité de sa poitrine au point qu'elle refusait qu'il y touche lors des rares moments d'intimité qu'ils réussissaient à trouver.
Cela n'avait été que le début de leurs disputes. Thomas si prévenant et si attentionné était devenu irascible au fur et à mesure du temps et que leur vie sexuelle déclinait. Il faisait des histoires pour un oui ou pour un non. Le soir, il soufflait et pestait qu’elle n’ait pas trouvé le temps de ranger ou nettoyer et qu’il doive le faire en rentrant. Si par miracle, elle réussissait à se dégager un peu de temps pour elle, il était furieux qu’elle préfère le passer au téléphone avec ses amis plutôt qu'avec lui, sous-entendu à s'envoyer en l'air. Elle vivait avec la peur constante de commettre un impair.
Alors, quand elle avait vu cette annonce d’une agence qui recherchait un "couple avec enfants" pour veiller tout l’été sur une résidence perdue en pleine campagne bretonne, elle avait saisi l'occasion en imaginant que cette retraite leur permettrait de sortir de leur pesante et destructrice routine. Thomas pouvait télé-travailler, les jumeaux pourraient profiter du bon air marin et le dépaysement donnerait des airs de vacances à leur quotidien. Elle avait été persuadée que c’était ce qu’il leur fallait pour se retrouver. D’après l’annonce, il s'agissait d'un ancien orphelinat qui avait été racheté par un millionnaire excentrique et qui l’avait réhabilité en résidence pour auteurs en manque de tranquillité. Les travaux étaient achevés et le propriétaire des lieux cherchait un couple de gardiens pour veiller sur son bien avant le lancement officiel. Le but ultime lui importait peu. Pour elle, il s'agissait de deux mois de vacances tous frais payés dans la dépendance d'une sublime résidence.
Thomas avait lorgné l'annonce d'un œil suspicieux. Pour lui, les "heureux pigeons" découvriraient qu’en lieu et place d’une maisonnette rénovée au confort moderne, ils seraient logés serait une hutte sans commodités. Il poussait même le vice à imaginer l’annonce rédigée par des cambrioleurs imaginatifs qui profiteraient de l’occasion pour vider leur maison le temps de leur absence. Mais il ne l'avait pas empêché de postuler tellement il était convaincu qu'ils ne feraient pas l'affaire. Caroline avait alors mis toute sa force de conviction dans le courrier de motivation qu'elle avait rédigé. Quand l'agence l'avait appelée pour lui annoncer que sa famille avait été retenue, photos et contrat en bonne et due forme à l'appui, Thomas avait bien dû admettre qu’il s’était trompé. Finalement, il avait trouvé l’idée plaisante et l’avait même remerciée d’avoir persévéré malgré ses médisances.
Un virage brusque la ramena à la réalité. Ils sortaient de l'autoroute. Elle devait maintenant rester vigilante pour aider Thomas à repérer les panneaux et intersections qui les mèneraient vers ce havre de paix, terreau de la renaissance de leur couple.
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Jean-Marc-Nicolas.G
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Crystaldelune
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Elyxir
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