Fyctia
#2 - Les Défis du Confinement
C'est fini.
Je n'aurais jamais cru un jour être capable de prononcer ces mots. Comment en étais-je arrivée là ?
J'avais beau me repasser le film des dernières semaines pour comprendre quand les choses avaient commencées à se dégrader, je ne voyais qu'un seul élément susceptible de l'expliquer.
Facebook.
Toutes ces publications pour nous aider à passer le temps durant cette période de crise sanitaire. Par ici, une musique à poster avec une lettre imposée. Par-là, une série de questions nous concernant à poser à nos enfants.
Puis, cette accroche, différente.
J'aurais dû savoir que c'était un piège, grossier en plus, de petits malins qui profitaient de la situation. Mais l'attrait en était trop tentant.
"Les Défis du Confinement"
Le principe en était simple.
Il suffisait de s'inscrire en répondant à un rapide questionnaire et d'attendre qu'un administrateur prenne contact avec nous. Je me suis dit que cela me changerait les idées, entre le (bientôt télé)travail et la continuité pédagogique. Puis cela n'engageait à rien si ce n'est à s'amuser.
Au début les défis étaient plutôt faciles et drôles à réaliser: écrire un texte avec des mots imposés, prendre une photo en se mettant en situation de pénurie de papier WC, imaginer l'après crise du COVID.
Les participants postaient les preuves de la réalisation de leurs défis dans le délai imparti sur la page du groupe. A chaque défi réalisé, une note était attribuée et la page réinitialisée avec un nouveau défi.
Les demandes se sont faites de plus en plus bizarres. Les défis réellement ludiques alternaient avec des défis plus glauques. Tous étaient toujours proposés de façon très positive et amusante.
La réalité était noyée.
Tout le monde continuait de participer et de poster. Chacun s'encourageait. L'esprit de compétition allait bon train. L'ambiance était bon enfant, la surenchère constante.
C'est à ce moment-là que j'ai commencé à douter de la finalité divertissante de ce groupe. J'ai eu la preuve du machiavélisme de ces jeux le jour où un des membres a été éliminé après n'avoir pas posté sa réponse. Son départ a été définitif. Les réseaux relayaient son histoire. Banale. Un homme, dépressif, que la promiscuité constante avec sa famille avait fait craquer. Il s'était levé un matin, il avait étouffé sa femme et ses deux enfants avant de se donner la mort en se jetant du toit de l'immeuble où il habitait.
Et bien sûr, aucune trace de sa participation aux Défis du Confinement. Effacée.
Ce n'est pas tout à fait vrai. Ses écrits les plus morbides - en réponse aux défis - étaient publiés à intervalles réguliers sur sa page. Annonciateurs de son geste.
Aujourd'hui c'est mon tour. J’ai refusé de participer au dernier défi. La page s'est réinitialisée. Les scores ont été publiés. J'ai été éliminée.
J'attends l'exécution de ma sentence d'un moment à l'autre.
0 commentaire