Fyctia

Dès que je suis certaine qu’il est enfermé dans sa chambre, hors de ma vue, je me précipite dans la mienne et saisis mon ordinateur. Sans perdre une seconde, j’ouvre une page de tous les réseaux sociaux possibles et tape le nom Jay Martins.

Puisque c’est un nom assez utilisé aux États-Unis, il me faut quelques minutes pour trouver le bon profil. Mais une fois dessus, je constate que c’est une véritable mine d'informations. Comme je l’avais pressenti, il est actif sur la plupart des plateformes… et ses comptes sont publics. Parfait.

Jay Martins, vingt-sept ans, originaire de Saint-Lin, un coin perdu de la campagne québécoise. Il vit désormais Montréal avec deux colocataires. Un choix curieux, étant donné le luxe de son appartement - il a clairement les moyens de vivre seul. Peut-être déteste-t-il la solitude ?

Je parcours ses photos, lis les commentaires sous ses publications, qu’il n’a pas pensé mettre privées. Il semble avoir au moins une sœur et un cercle d’amis proches, avec qui il sort souvent boire une bière. Il ne fait aucun effort pour cacher sa vie : il publie fréquemment, identifie les lieux où il se trouve… Pourtant, un détail m’échappe. Son travail.

Aucune mention dans sa biographie, pas de photos avec de potentiels collègues, pas le moindre indice sur son employeur. Contrairement au reste, cette partie de sa vie est un mystère total. Je vais devoir creuser davantage. Heureusement, ce n’est pas la première fois que je joue les espionnes. Avec l’âge, j’ai perfectionné l’art de fouiller des profils publics - d’abord pour surveiller les copains de ma soeur, puis mes employés.

J’entre dans plusieurs banques de données confidentielles, qui ne sont normalement pas ouvertes au grand public. J’ai mes propres accès. Curieuse, je lance recherche sur Jay Martins, ciblant les organisations liées au domaine médical.

Rien.

Comme s’il n’existait pas.

Un frisson me parcourt l’échine. Où diable mon père a-t-il trouvé cet homme ? Je sais qu’il ne recruterait jamais un amateur, mais… cette absence totale d’informations me perturbe plus que de raison.

Lassée de tourner en rond, je finis par composer machinalement le numéro de mon supérieur. Il est rare que je l’appelle directement, mais j’ai besoin de réponses concrètes. Il ne peut pas s’attendre à ce que j’accepte un inconnu chez moi sans poser de questions. Il me connait trop bien.

-Qu’est-ce qu’il y a ?

Son ton brusque m’étonne à peine. Je suis la seule à posséder son numéro personnel, donc il sait d’avance que c’est moi - et il n’aime pas être dérangé.

-C’est qui, l’homme que tu as envoyé chez moi ?

-Un infirmier. As-tu déjà oublié notre conversation d’hier ?

-Bien sûr que non, soufflé-je, irritée.

Son ton condescendant m’agace, mais lui ne s’en soucie pas. Il continue, imperturbable.

-J’ai fait des recherches sur lui, insisté-je, en descendant une nouvelle liste où son nom ne figure évidemment pas. Je ne trouve aucune trace de son employeur.

-Parce que l’entreprise qui l’emploie est privée.

Autrement dit, réservée à une élite. Mon père ne s’offre que des services inaccessibles pour le grand commun des mortels. J’ai grandi dans cet univers de luxe et de discrétion, donc ça ne m’a jamais dérangée… mais aujourd’hui, cette opacité me met en position de faiblesse.

-Et quelle est cette société ?

-Je ne te dirai pas son nom.

Je fronce les sourcils. Pourquoi un tel secret ? Ne comprend-il pas à quel point cette situation me met dans une situation vulnérable ?

-J’ai besoin de faire mes recherches sur lui, rétorqué-je sèchement. Et s’il était dangereux ? Et s’il avait des antécédents ?

-J’ai déjà fait mes propres recherches, tranche mon père avec son autorité naturelle. Ne t’occupe pas de telles futilités et, pour une fois, fais-moi confiance.