Fyctia
Humiliation
Je prends une profonde inspiration. Je dois y aller. Pas le choix. Je gagne rapidement mon bureau, sans vraiment lever les yeux sur les personnes que je croise. Comme d’habitude, Gustave est déjà à son poste. Je le salue. Il lève son regard sur moi, fronce les sourcils.
— Ca va Baptiste ?
J’ai une minute d’arrêt. Je le surplombe.
— Ouais et toi ?
— T’as une sale gueule.
— Tu trouves ?
Merde, je ne pensais pas que mon malaise était inscrit sur mon visage.
— Non ça va.
Mais il n’en démord pas. Il me dévisage, une feuille dans sa main suspendue, un stylo entre l’index et le majeur, son autre main posée sur la souris. Je fais mine de m’activer, allume l’ordinateur et tente de me concentrer sur… Quoi au juste ?
L’icône de ma messagerie indique que j’ai trois messages en attente. Je m’empresse de les lire.
Putain, putain, putain, non pas ça ! J’avais oublié ! Oublié la raison pour laquelle Cassy était venue me retrouvée au bar, la raison pour laquelle elle avait fini dans mon jardin secret puis dans mon lit. Pour disparaître.
Je pousse un juron, prends ma tête entre mes mains. Fais chier !
— Quelque chose ne va pas ?
Je ne pense pas que Gustave soit au courant de ce qu’il s’est passé la veille. Peu importe, je lui réponds.
— J’ai un entretien avec le big boss à onze heures.
— Ah bon ? Et en quel honneur. Tu le sais ?
— J’ai ma petite idée.
Gustave me scrute, son regard m’intime de développer. Je soupire, passe une main dans mes cheveux.
— Je risque de me faire virer.
Gus’ écarquille les yeux. La tête de Franck surgit subitement de derrière la séparation opaque de nos bureaux respectifs. Je pourrais en rire tellement sa rapidité est inhabituelle et l'action comique. Mais ce n'est pas le moment.
— Bordel t’as foutu quoi mec ?
Franck, pourtant toujours si discret, semble stupéfait.
— Je ne sais pas si je peux en parler.
— Ca a à voir avec ton taf ? Pourtant vous avez été encensés !
— Non, ça n’a rien à voir.
Un silence, lourd, où j’entendrais presque fuser toutes les questions qu’ils se posent, s’installe. Au bout de quelques minutes, Gustave le rompt.
— Café ?
Je vois où il veut en venir. Nous isoler, peut-être me faire parler dans un cadre moins lourd. Mais aller à la machine à café implique de passer devant le bureau de Cassy. Pour l’heure, je ne me sens absolument pas capable de l’affronter.
— Non merci Gus’.
— Comme tu voudras.
Je baisse les yeux. Je souhaiterais être partout, sauf ici. Je voudrais quitter ce lieu, source de ma plus grande satisfaction et ma plus laborieuse défaite. Je ne veux pas me faire virer. Même si Cassy m’a dit qu’elle avait sauvé le poisson, c’est-à-dire moi, le couillon, sa disparition me laisse présager du pire. Et si elle avait couché avec moi pour se faire pardonner ? Je secoue la tête devant le ridicule de ma pensée. Non mais ça va pas !
Le début de la matinée est interminable. Je n’arrive pas à me concentrer avant que l’heure fatidique n’arrive.
Je me lève difficilement, hésitant, jette un regard vers Gustave, au regard compatissant. Me faire virer ou déguerpir ? Démissionner peut-être plutôt que d’échouer ? Il sera toujours temps d’aviser.
Je prends mon courage à deux mains et file en direction du bureau du big boss, le pas lourd.
Je prends une profonde inspiration avant de frapper. Une voix grave m’invite à entrer. J’ouvre la porte comme si j’arrivais à l’abattoir et la referme derrière moi avant de lever les yeux vers lui pour le saluer. Mon « bonjour » s’étrangle dans ma gorge.
Ces yeux, que j’ai admirés toute la soirée, qui m’ont envoûté, désiré, possédé, me regardent. Cassy sourit, comme à son habitude, comme si de rien n’était.
— Bonjour Baptiste.
Ils me saluent en cœur. J’en sursaute, perdu dans ma stupeur.
— Prends place.
Le big boss me montre le siège vacant en face de lui, à côté de celui où Cassy est assise. M’en rapprocher est un véritable supplice. Parce que je sens le désir qui m’envahit, mon corps qui frissonne. Parce que, peut-être ont-ils échangé une nouvelle fois sur l’altercation avec Foster et que, finalement, je vais sauter. Un sentiment d'humiliation me submerge.
Je m’installe, tente de ne plus regarder Cassy, pour reprendre mes esprits. Pouvoir me défendre ou contrer l’attaque, en pleine possession de mes moyens. Ce n’est pas gagné !
Le big boss prend la parole, relate les faits, comme si j’étais amnésique. Sait-on jamais, si une bonne nuit de baise pouvait réellement me transformer en poisson. Ca m’agace et je serre les poings pour ne pas l’intimer d’aller droit au but.
— Baptiste, comprenez bien que vous n’aurez pas de seconde chance. Nous n’aurons pas de mal à vous faire travailler sur de nombreux projets en dehors des siens, mais il a la main longue. Tenez vous à carreau à l’avenir.
J’attends. Une suite. Quelque chose.
— Vous pouvez remercier Cassy. Sans elle, je vous aurai mis à la porte.
Pardon ?
Je le regarde, abasourdi. Cassy se lève. Je la suis du regard tandis qu’elle replace la chaise face au bureau. Avant que nos regards ne se croisent, je reviens vers le big boss, qui finit par lever les yeux sur moi.
— Vous pouvez disposer.
Il joint le geste à la parole.
Je me lève subitement, comme si une mouche m’avait piqué et suis Cassy qui me précède. Nous franchissons le pas de la porte que je referme derrière moi. Cassy a la démarche rapide et s'éloigne dans le couloir. Je n'ai même pas le réflexe de la rattraper.
Pourtant je devrais. Pour la remercier c'est ça ? Je devrais peut-être même lui offrir un café n'est-ce pas ? Lui faire des courbettes non ?
C'te blague ! C'est de sa faute si tout ça est arrivé ! Si elle savait mieux gérer ses relations ! Et je devrais la remercier ? Alors qu'elle m'a planté comme un con en plein milieu de la nuit après en avoir bien profité ?
Je serais malhonnête de dire que je regrette ce moment passé avec elle. Mais merde ! Elle n'avait pas le droit de se barrer comme ça ! Et en plus, je devrais la remercier d'avoir sauver mon job que j'ai failli perdre à cause d'elle ?
C'est moi le dindon de la farce là !
Je m'assois à mon bureau, furax. Je réalise que Franck et Gustave sont chacun d'un côté de ma chaise quand ce dernier pose doucement une main sur mon épaule. Je sursaute comme un demeuré.
— Putain !
— Désolé Baptiste. Ca va aller ?
Je vais de l'un à l'autre. Ils ont un air contrit sur le visage. Et je percute.
— Oui, oui ça va aller. Je ne suis pas viré.
— Vraiment ?
Le retour d'un Franck expressif.
— Vraiment oui.
— Oh putain tu nous as fait peur !
Il plaque une main sur sa bouche, l'autre sur sa hanche. Gustave me fixe, comme toujours depuis ce matin, bras ballants.
— Tout va bien mec, c'est cool.
— Dit-il...
Gustave se dirige vers son bureau, s'assoit et reprend son travail. Je le sens agacé, peut-être. Je ne sais pas mais son attitude m'interpelle.
— Je suis désolé de vous avoir inquiété pour rien.
— Pas de souci c'est cool Bapt'.
Franck lève une main que je vois dépassée. Gustave ne réagit pas. Merde. Peut-être qu'effectivement, il faudrait qu'on aille boire un café.
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